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23/07/2020 | FRANCE | N°19NC00291

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 23 juillet 2020, 19NC00291


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GSM a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 avril 2017 par lequel le préfet de la région Grand Est a prescrit la réalisation d'une fouille archéologique préventive sur un terrain qu'elle a été autorisée à exploiter sur le territoire de la commune de Hauconcourt, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 30 mai 2017.

Par un jugement n° 1704790 du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa

demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00291...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GSM a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 5 avril 2017 par lequel le préfet de la région Grand Est a prescrit la réalisation d'une fouille archéologique préventive sur un terrain qu'elle a été autorisée à exploiter sur le territoire de la commune de Hauconcourt, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 30 mai 2017.

Par un jugement n° 1704790 du 28 novembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00291 le 28 janvier 2019, complétée par des mémoires enregistrés les 15 octobre 2019 et 4 février 2020, la société GSM, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 novembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la région Grand Est du 5 avril 2017 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 30 mai 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article R. 523-15 du code du patrimoine en ce que seuls des vestiges archéologiques dont la présence est établie par le diagnostic archéologique peuvent donner lieu à des prescriptions et qu'en l'espèce il permet la recherche de certains types de vestiges dont la présence n'est pas établie par le diagnostic ;

- eu égard à l'incertitude quant à la présence de ces vestiges, cet arrêté doit également être regardé comme entaché d'erreur de fait ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce que le périmètre de fouilles prescrit a été doublé, sans justification, par rapport au périmètre de fouilles proposé dans le cadre du diagnostic et qu'une telle extension entrave sérieusement l'exploitation de la carrière dans des conditions économiquement acceptables, en méconnaissance de l'obligation pour l'Etat, en application de l'article L. 522-1 du code du patrimoine, de concilier les objectifs de recherche scientifique et de conservation du patrimoine archéologique avec les exigences du développement économique et social.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2019, complété par des mémoires enregistrés les 23 janvier et 24 février 2020, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du patrimoine ;

- le décret 2004-490 du 3 juin 2004 ;

- l'arrêté du 27 septembre 2004 portant définition des normes de contenu et de présentation des rapports d'opérations archéologiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour la société GSM.

Considérant ce qui suit :

1. La société GSM a été autorisée, par un arrêté préfectoral du 16 juillet 2013, à exploiter une carrière d'extraction de granulats et une installation de traitement au lieu-dit " Haut A... Cugnot, le Pré du Jeune A..., entre deux A... ", à Hauconcourt (Moselle). Un diagnostic archéologique a été prescrit par un arrêté préfectoral du 13 février 2012. Sa réalisation a été confiée à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), lequel a remis son rapport le 16 février 2017 au service régional de l'archéologie de la direction régionale des affaires culturelles de la région Grand Est. Ce rapport ayant conclu à la présence de vestiges archéologiques sur le site d'Hauconcourt, le préfet de la région Grand Est a prescrit, par un arrêté du 5 avril 2017, la réalisation d'une fouille archéologique préventive sur ce site, sur une surface de 223 400 m², divisée en cinq zones sur lesquelles sont répartis les quatorze secteurs comprenant des vestiges identifiés par le diagnostic archéologique. La société GSM fait appel du jugement du 28 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 5 avril 2017 :

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code du patrimoine : " L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie.... Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement... ". Aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " L'Etat veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique, désigne le responsable scientifique de toute opération d'archéologie préventive et assure les missions de contrôle et d'évaluation de ces opérations ". Aux termes de l'article R. 523-15 de ce code : " Les prescriptions archéologiques peuvent comporter : 1° La réalisation d'un diagnostic qui vise, par des études, prospections ou travaux de terrain, à mettre en évidence et à caractériser les éléments du patrimoine archéologique éventuellement présents sur le site et à présenter les résultats dans un rapport ; / 2° La réalisation d'une fouille qui vise, par des études, des travaux de terrain et de laboratoire, à recueillir les données archéologiques présentes sur le site, à en faire l'analyse, à en assurer la compréhension et à présenter l'ensemble des résultats dans un rapport final ...". Enfin, selon l'article R. 523-41 du même code : " Les opérations de fouilles archéologiques prescrites par le préfet de région (...) sont réalisées sous la maîtrise d'ouvrage de l'aménageur ".

En ce qui concerne les moyens liés à la présence de vestiges archéologiques :

3. Il ressort du rapport de diagnostic de l'INRAP du 16 février 2017 que les 1 170 sondages réalisés lors de l'opération de diagnostic " ont permis de mettre au jour un niveau d'occupation daté du Mésolithique, et une importante série d'habitats remontant au Néolithique, à l'Age du Bronze, à 1'Age du Fer et à l'époque romaine ". La requérante fait grief au préfet de la région Grand Est d'avoir, par l'arrêté contesté, étendu les fouilles à des zones ne comportant pas de vestiges de ces différentes périodes ou ne comportant que peu de secteurs dans lesquels ont été découverts de tels vestiges.

S'agissant des vestiges de l'Age du Bronze et de l'Age du Fer :

4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de diagnostic, d'une part, que quatre sondages se sont révélés positifs au sein du secteur 4, situé dans la zone n° 2, et, d'autre part, que " Les deux incinérations découvertes dans le secteur 4 sont sans doute à rattacher à ces deux habitats. Un décapage de grande ampleur devrait permettre de repérer la totalité des tombes présentes et de préciser la durée de son utilisation. Il sera également possible d'étudier la relation avec les habitats environnants, ce qui est rarement le cas lors d'interventions sur des surfaces plus petites ". Le même rapport souligne, à propos de la zone n° 3, que " la phase moyenne et finale de la période [du Bronze] est attestée par deux habitats (secteurs 3 et 1-I) localisés au nord de la zone explorée. Le premier (secteur 3) semble partiellement érodé mais plusieurs fosses subsistent. Ce nombre important de creusements permet d'envisager une occupation relativement longue de ce secteur (sur trois ou quatre générations) ". Le cahier des charges scientifique, annexé à l'arrêté contesté, confirme que " Les phases moyennes et finales [de l'Age de Bronze] sont attestées par deux habitats (secteurs 3 et 1-1) et deux incinérations (secteur -1) ". Enfin, la synthèse du rapport de diagnostic précise, à propos de la zone n° 4 où se situent les secteurs de fouilles 12 et 13, que " Le début de la période (Bronze final) est essentiellement présent dans la partie sud-est du projet sur un espace particulièrement impacté par les circulations hydrologiques. Ainsi, sur les cinq secteurs (8, 9, 10, 12 et 13) où cette période est représentée, seuls les secteurs 10 (une fosse), 12 (une fosse et un foyer à pierres chauffantes) et 13 (un puits et un poteau) sont encore structurés ". Enfin le cahier des charges scientifique indique que " l'occupation de l'étape initiale du Bronze final est sans doute la plus importante en termes de nombres de structures et de richesse du mobilier. Elle est localisée dans la partie sud-ouest de l'emprise (secteurs 8, 9, 12, 13) et est représentée par des structures en creux (fosses, structures de combustion, puits et trous de poteau) et du mobilier retrouvé dans les comblements supérieurs du paléochenal ".

5. Il résulte de ce qui précède que contrairement à ce que soutient la société GSM, l'arrêté contesté ne peut être regardé, s'agissant des vestiges de l'Age du Bronze et de l'Age du Fer, comme ayant illégalement étendu les fouilles, au regard du diagnostic établi, à des zones ne comportant pas de tels vestiges ou ne comportant que peu de secteurs dans lesquels ils auraient été découverts.

S'agissant des vestiges de la période du Néolithique :

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de diagnostic, que des éléments archéologiques datant du Néolithique sont présents au sein de la zone n° 1. La synthèse de ce rapport mentionne en effet que " Le Néolithique Final/Campaniforme est attesté par plusieurs structures : une fosse au moins et vraisemblablement plusieurs poteaux délimitant un bâtiment sur le secteur 6. Les creusements sont peu visibles et se distinguent assez difficilement de l'encaissant ce qui rend la lecture de ces vestiges particulièrement difficile. Il s'agit néanmoins du seul habitat structuré connu en Lorraine actuellement. La fouille et l'étude de ce site apportera donc d'importants renseignements, tant sur l'architecture que sur l'organisation spatiale d'un habitat de cette période ". Le cahier des charges scientifiques annexé à l'arrêté contesté précise que les vestiges néolithiques " s'inscrivent dans un secteur de recherche très étudié dans la vallée de la Moselle (...). Dans ce cadre, il paraît essentiel de bien caractériser leur nature et leur datation. Il s'agira notamment de confirmer la présence d'un bâtiment du Néolithique final/campaniforme, encore inédit en Lorraine ".

7. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait, s'agissant des vestiges de la période du Néolithique, illégalement étendu les fouilles, au regard du diagnostic établi, à des zones ne comportant pas de tels vestiges ou ne comportant que peu de secteurs dans lesquels ils auraient été découverts, doit être écarté.

S'agissant des vestiges de la période du Mésolithique :

8. Il ressort des pièces du dossier et notamment des indications portées dans le cahier des charges scientifique annexé à l'arrêté contesté, que la relative incertitude qui, selon le diagnostic pesait, compte tenu de la configuration des lieux, sur 1'extension de l'occupation du Mésolithique sur le site, impliquait de prévoir une première tranche conditionnelle de recherche dès lors que le modelé topographique, fortement marqué par l'existence de " chenaux archéologiques ", avait vraisemblablement favorisé la conservation des vestiges d'occupation. Ce choix était d'autant plus justifié que selon un phénomène connu, le démantèlement de certains sites lors des réactivations aléatoires des chenaux, implique que de nombreux lambeaux d'occupations mésolithiques, non perçus lors du diagnostic, puissent très bien être conservés sur une grande emprise, sous forme de lambeaux de sites isolés, notamment dans d'autres secteurs que dans le secteur 5. En outre, quand bien même l'arrêté contesté n'exclurait pas la réalisation d'une seconde tranche conditionnelle relative au Mésolithique, il ne ressort pas de ses termes que les fouilles relatives à cette période aient vocation à s'étendre à d'autres zones que la zone n° 1 dans laquelle ont été répertoriés des vestiges du Mésolithique. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait, en ce qu'il a également délimité des zones de fouilles visant la période du Mésolithique, entaché tout à la fois d'erreur de droit et d'erreur de fait, doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen lié à l'étendue du périmètre des fouilles :

9. Si la requérante affirme que l'arrêté contesté lui impose de réaliser des fouilles sur une surface totale de 223 400 m², soit plus de 50 % de la surface exploitable de la carrière, et 63 % du gisement, et que les prescriptions litigieuses sont ainsi disproportionnées, il résulte de ce qui a été indiqué aux points 4 à 8 ci-dessus que le périmètre de fouilles défini par le préfet de la région Grand Est n'est pas excessif au regard des résultats, pour chacune des périodes archéologiques concernées, du rapport de diagnostic archéologique et que les prescriptions correspondantes ne peuvent pas être regardées comme disproportionnées au regard du diagnostic établi par l'INRAP.

10. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conséquences de la campagne de fouilles sur l'activité d'extraction de la société GSM soient telles qu'elles caractériseraient une méconnaissance, par l'Etat de son obligation de concilier, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 522-1 du code du patrimoine, les objectifs de recherche scientifique et de conservation du patrimoine avec les exigences du développement économique et social dans la région alors qu'indépendamment même de l'éventualité d'organiser un phasage de la campagne de fouilles pour en réduire l'impact, il n'est pas démontré d'une part que la société exploitante ne serait pas en mesure de bénéficier des aides financières prévues à l'article L. 524-14 du code du patrimoine ni d'autre part que l'importance de son activité à l'échelon régional n'aurait pas été suffisamment prise en compte.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société GSM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la région Grand Est du 5 avril 2017, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 30 mai 2017.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société GSM demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société GSM est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société GSM et au ministre de la culture.

Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.

N° 19NC00291 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00291
Date de la décision : 23/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

41-03 Monuments et sites. Fouilles archéologiques.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : BUES et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-23;19nc00291 ?
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