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23/07/2020 | FRANCE | N°19NC00057

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 23 juillet 2020, 19NC00057


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal d'assainissement et d'épuration (SIAE) de Boismont-Mercy-Le-Bas a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 2 novembre 2016 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé, d'une part, de déclarer d'utilité publique les travaux nécessaires à la construction d'une station d'épuration sur le territoire des communes de Bazailles et de Mercy-le-Bas et, d'autre part, de déclarer cessibles les parcelles dont l'acquisition s'avère nécessaire à la ré

alisation du projet de station d'épuration.

Par un jugement n° 1700023 du 13 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat intercommunal d'assainissement et d'épuration (SIAE) de Boismont-Mercy-Le-Bas a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les arrêtés du 2 novembre 2016 par lesquels le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé, d'une part, de déclarer d'utilité publique les travaux nécessaires à la construction d'une station d'épuration sur le territoire des communes de Bazailles et de Mercy-le-Bas et, d'autre part, de déclarer cessibles les parcelles dont l'acquisition s'avère nécessaire à la réalisation du projet de station d'épuration.

Par un jugement n° 1700023 du 13 novembre 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00057 le 10 janvier 2019, complétée par des mémoires enregistrés les 5 juillet 2019 et 11 février 2020, le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 13 novembre 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 2 novembre 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de prendre, d'une part, un arrêté déclarant l'utilité publique des travaux nécessaires à la construction d'une station d'épuration sur le territoire des communes de Bazailles et Mercy-le-Bas et, d'autre part, un arrêté de cessibilité de la parcelle nécessaire à la réalisation du projet ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dès lors qu'il partage la passion des abeilles et du miel avec M. C..., apiculteur et propriétaire de la parcelle à exproprier, le commissaire enquêteur ne pouvait pas être impartial et il a, du reste, émis un avis défavorable, alors que l'ensemble des services techniques avaient émis un avis favorable au projet et que la majorité des avis consignés au registre étaient également favorables à ce projet ;

- le préfet a commis une erreur de droit en estimant que le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas ne pouvait pas acquérir par expropriation une parcelle située en dehors de ses limites territoriales ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'annulation de l'arrêté refusant de déclarer l'utilité publique emporte celle de l'arrêté de refusant de constater la cessibilité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2020, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 12 février 2020, M. B... C... a présenté des observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., pour le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas, ainsi que celles de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Le conseil syndical du syndicat intercommunal d'assainissement et d'épuration (SIAE) de Boismont-Mercy-le-Bas a, par une délibération du 11 février 2015, approuvé le principe de la création d'une station d'épuration sur deux parcelles appartenant à M. C..., apiculteur, situées respectivement sur le territoire des communes de Bazailles et de Mercy-le-Bas. Le préfet de Meurthe-et-Moselle a prescrit l'ouverture d'une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à la construction de cette station d'épuration, par arrêté du 22 février 2016. A l'issue de cette enquête, qui s'est déroulée du 17 mars au 5 avril 2016, et après que le conseil syndical eut confirmé, par délibération du 4 juillet 2016, son souhait de poursuivre la procédure, le préfet a refusé, par deux arrêtés du 2 novembre 2016, d'une part, de déclarer d'utilité publique les travaux nécessaires à la construction de la station d'épuration et, d'autre part, de déclarer cessibles les parcelles dont l'acquisition était impliquée par la réalisation du projet. Le SIAE de Boismont-Mercy-le-Bas fait appel du jugement du 13 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne l'impartialité du commissaire-enquêteur :

2. Aux termes de l'article L. 123-5 du code de l'environnement : " Ne peuvent être désignées commissaire enquêteur ou membre de la commission d'enquête les personnes intéressées au projet à titre personnel ou en raison de leurs fonctions, notamment au sein de la collectivité, de l'organisme ou du service qui assure la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre ou le contrôle de l'opération soumise à enquête. / (...) ". Aux termes de l'article R. 123-4 du même code : " Ne peuvent être désignés comme commissaire enquêteur ou membre d'une commission d'enquête les personnes intéressées au projet, plan ou programme soit à titre personnel, soit en raison des fonctions qu'elles exercent ou ont exercées depuis moins de cinq ans, notamment au sein de la collectivité, de l'organisme ou du service qui assure la maîtrise d'ouvrage, la maîtrise d'oeuvre ou le contrôle du projet, plan ou programme soumis à enquête, ou au sein d'associations ou organismes directement concernés par cette opération ".

3. A supposer même que le commissaire enquêteur partagerait la passion des abeilles et du miel avec M. C..., apiculteur et propriétaire de la parcelle à exproprier, cette circonstance, qui au demeurant n'est pas établie par les pièces du dossier, ne serait pas de nature à établir qu'il serait intéressé au projet au sens des dispositions précitées, ni qu'il ne pouvait pas effectuer sa mission en toute impartialité, quand bien même il a émis un avis défavorable au projet, alors que l'ensemble des services techniques avaient émis un avis favorable au projet. Par suite, le moyen tiré de la prétendue partialité du commissaire enquêteur doit être écarté.

En ce qui concerne les motifs de refus opposés par le préfet aux demandes du SIAE :

4. Il ressort de l'arrêté du 2 novembre 2016 que le préfet de Meurthe-et-Moselle a motivé son refus de déclarer d'utilité publique les travaux nécessaires à la construction de la station d'épuration projetée, en relevant notamment que le commissaire enquêteur avait émis un avis défavorable au projet, que la communauté de communes Terre de Lorraine et du Longuyonnais (CCT2L) portait également un projet de station d'épuration, " avec possibilité de raccordement de (...) la commune de Mercy-Le-Bas ", que le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas ne démontrait pas être " dans l'impossibilité de construire dans des conditions équivalentes une station d'épuration située exclusivement sur le territoire des communes membres du SIAE ", qu'il devait être tenu compte de l'" impossibilité de raccorder d'autres communes, notamment la commune de Bazailles, à la station d'épuration projetée par le SIAE de Boismont - Mercy-le-bas " et, enfin, que le SIAE ne démontrait pas que M. C... pourrait déplacer son rucher et ainsi poursuivre son activité.

5. D'une part, il est vrai qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce que la création d'un ouvrage par un groupement de collectivités sur le territoire d'une collectivité non membre de ce groupement soit déclarée d'utilité publique, même sans l'accord de cette dernière collectivité, s'il est constaté que le groupement de collectivités expropriant ne peut trouver sur son propre territoire des terrains présentant la même aptitude à recevoir l'ouvrage. Alors que le ministre ne conteste pas en défense que le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas ne dispose pas de terrains adaptés à son projet de station d'épuration sur le territoire de ses deux communes membres, le motif, entaché d'erreur de droit, tiré de ce que les groupements ne peuvent exproprier que les immeubles situés dans leurs limites territoriales sauf impossibilité manifeste ne pouvait légalement fonder l'arrêté du préfet refusant de déclarer l'utilité publique du projet.

6. Toutefois, et d'autre part, il ressort de l'enquête publique et du document d'études remis par le président de la communauté de communes Terre Lorraine du Longuyonnais (CCT2L), annexé au rapport du commissaire enquêteur, que cette dernière a fait étudier un projet de réseau d'assainissement destiné à traiter les effluents de cinq communes, dont celle de Boismont, qui en est membre. La station d'épuration projetée par la CCT2L, qui serait implantée sur des parcelles de Mercy-le-Bas que son propriétaire, M. C..., est disposé à céder volontairement à l'euro symbolique, permettrait de raccorder cinq cents habitants de cette commune et pourrait être réalisée sans expropriation. Si le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas affirme que la CCT2L n'a plus de compétence d'assainissement collectif depuis le 1er janvier 2020, cette compétence ayant été transférée au syndicat intercommunal des eaux de Piennes (SIEP), et que le projet a donc été " purement et simplement abandonné ", cette circonstance postérieure à l'arrêté contesté n'est, au demeurant, pas établie par les pièces qu'elle produit. A cet égard, la délibération en date du 27 mai 2019 par laquelle le conseil communautaire de la CCT2L a demandé son adhésion au SIEP à compter du 1er janvier 2020, " excepté pour la commune de Boismont ", n'est pas de nature à établir que le SIEP aurait accepté cette adhésion, ni qu'une telle adhésion se traduirait nécessairement par un abandon du projet de station d'épuration du SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas.

7. Par ailleurs, il ressort de l'avis défavorable du commissaire enquêteur visé par l'arrêté contesté, que la station d'épuration projetée se situe dans le périmètre de protection éloignée d'une zone de captage alors qu'ont été mis en évidence la vulnérabilité de la ressource en eau et le risque de pollution de la source ainsi protégée, située en aval du projet, et qu'une partie du terrain d'assiette du projet se situe en zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). En outre et surtout, il est constant que le projet litigieux conduirait à déplacer de quelques dizaines de mètres, sur un terrain situé à environ 100 mètres d'une aire de sport et d'un restaurant, les ruchers de M. C..., implantés sur les parcelles d'assiette, alors que, contrairement à ce qu'affirme le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas, le déplacement des abeilles dont le nombre peut atteindre trois millions en haute saison ne peut être envisagé, selon l'avis de la direction départementale de la protection des populations, à moins de trois kilomètres de l'emplacement antérieur, les abeilles ayant tendance à revenir vers ce dernier et à adopter alors un comportement agressif en l'absence de rucher.

8. Il résulte de ce qui précède qu'en retenant, pour refuser de déclarer l'utilité publique du projet porté par le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas, les motifs tirés de l'existence d'un projet communautaire alternatif et des conséquences de la réalisation du projet sur le sort de l'élevage d'abeilles situé à proximité, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il ne résulte pas de l'instruction qu'il n'aurait pas pris la même décision s'il n'avait retenu que ces motifs, à l'exclusion du motif déclaré illégal au point 5 ci-dessus.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation tant de l'arrêté du 2 novembre 2016 refusant de déclarer d'utilité publique son projet que, par voie de conséquence, de l'arrêté du même jour refusant de déclarer cessibles les parcelles appartenant à M. C....

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

11. Le présent arrêt de rejet n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions du SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de prendre, d'une part, un arrêté déclarant l'utilité publique des travaux nécessaires à la construction d'une station d'épuration sur le territoire des communes de Bazailles et Mercy-le-Bas et, d'autre part, un arrêté de cessibilité de la parcelle nécessaire à la réalisation du projet, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au SIAE de Boismont-Mercy-Le-Bas, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à M. B... C....

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

N° 19NC00057 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00057
Date de la décision : 23/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Expropriation pour cause d'utilité publique - Notions générales - Notion d'utilité publique.

Expropriation pour cause d'utilité publique - Règles générales de la procédure normale - Enquêtes - Enquête préalable - Commissaire enquêteur - Désignation.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : TADIC

Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-23;19nc00057 ?
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