Vu Françoise Sichler
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 3 août 2018 par lequel le préfet de la Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 1801969 du 6 décembre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande de Mme E....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00020 le 6 janvier 2019, Mme E..., représentée par Me C... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 décembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 août 2018 par lequel le préfet de la Marne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de se prononcer sur sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté du préfet de la Marne est insuffisamment motivé ;
- cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3-1 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ainsi que les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire enregistré le 20 février 2019, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 5 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante camerounaise, est entrée en France, selon ses déclarations, le 15 mars 2015. Le 8 février 2017, elle a sollicité son admission au séjour en qualité de parent d'une enfant française sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 août 2018, le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme E... relève appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 3 août 2018 :
2. En premier lieu, Mme E... reprend en appel, sans nouvel élément, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 3 août 2018. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 7 mars 2016 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ".
4. Il résulte de ces dispositions que si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la naissance, le 20 février 2016, de sa fille, A... Béatryce Désirée, Mme E... a sollicité du préfet de la Marne la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en faisant valoir que l'enfant avait fait l'objet d'une reconnaissance anticipée de paternité, le 23 novembre 2015, par un ressortissant français, M. B... D.... Toutefois, le préfet de la Marne a versé au dossier un message électronique du 15 juin 2018 émanant de la direction interdépartementale de la police aux frontières à Strasbourg, établi dans le cadre des instructions du parquet de Strasbourg relatives à des reconnaissances suspectées frauduleuses d'enfants, dont il résulte que, selon les informations que le parquet de Strasbourg a accepté de communiquer, M. D... n'était pas le père biologique de l'enfant et ne contribuait d'ailleurs pas à l'entretien de celle-ci malgré une décision du juge aux affaires familiales l'astreignant au paiement d'une pension alimentaire. La requérante, qui se borne à produire à nouveau le jugement de la chambre de la famille du tribunal de grande instance de Reims du 31 octobre 2017 ayant décidé que l'autorité parentale sur l'enfant A... serait exercée en commun par Mme E... et M. D..., ne formule aucune observation à l'égard des éléments précis, provenant de l'autorité judiciaire, produits par le préfet en vue d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité souscrite par M. D... à l'égard de cette enfant. Elle ne fournit en outre aucun élément de nature à confirmer que l'intéressé serait effectivement le père de celle-ci. Dans ces conditions, le préfet de la Marne doit être regardé comme établissant que la reconnaissance de paternité avait un caractère frauduleux. Par suite, et s'il lui appartenait de faire échec à cette fraude dès lors que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'était pas acquise, il était légalement fondé à refuser, pour ce motif, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par Mme E..., alors même qu'à la date de ce refus, l'enfant A... n'avait pas été déchue de la nationalité française.
6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme E..., entrée en France en 2015, à l'âge de 35 ans, a pour seule attache familiale en France sa fille, née en 2016. Rien ne fait obstacle à ce que celle-ci accompagne la requérante dans son pays d'origine, où résident les parents et la soeur de celle-ci, alors que le préfet établit, ainsi qu'il a été dit, que la reconnaissance de paternité de cette enfant par un ressortissant français présente un caractère frauduleux et qu'il n'est pas établi que l'auteur de cette reconnaissance, qui ne contribue pas à l'entretien de l'enfant, entretiendrait des rapports réguliers avec elle. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment à la durée et aux conditions du séjour en France de la requérante ainsi qu'à la situation de sa fille née en France, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de la requérante à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Par suite, cet arrêté ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
7. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 6, notamment en l'absence d'éléments de nature à établir les liens entretenus avec la fille de la requérante par l'auteur de la reconnaissance de paternité, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la décision d'éloignement prise à son encontre méconnaîtrait l'intérêt supérieur de sa fille, protégé par l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant. Enfin, comme l'ont relevé les premiers juges, Mme E... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 9 de cette convention, qui créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt de rejet n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme E....
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
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N° 19NC00020