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02/07/2020 | FRANCE | N°18NC02389

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 02 juillet 2020, 18NC02389


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 48 516,35 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de l'intervention du 17 janvier 2012.

Par un jugement n° 1601365 du 3 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser

la somme de 33 500 euros à Mme A... en réparation des préjudices résultant de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 48 516,35 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de l'intervention du 17 janvier 2012.

Par un jugement n° 1601365 du 3 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier régional de Metz-Thionville à verser la somme de 33 500 euros à Mme A... en réparation des préjudices résultant de l'infection nosocomiale dont elle a été victime.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 3 septembre 2018 et le 5 octobre 2018, le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 3 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A....

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que Mme A... n'avait pas dirigé de conclusions contre lui ;

- le tribunal a statué ultra petita en le condamnant alors que Mme A... n'avait pas présenté de conclusions contre lui ;

- Mme A... n'a pas été victime d'une infection nosocomiale ;

- en admettant même le caractère nosocomial de l'infection, celle-ci est imputable à une cause étrangère ; le risque d'infection étant inévitable en l'espèce ;

- la fistule digestive constitue un aléa thérapeutique qui doit être réparée au titre de la solidarité nationale ;

- il ne lui appartient pas de réparer des dommages sans lien avec l'infection qui lui est reproché ; le tribunal aurait dû tenir compte notamment de l'état antérieur de Mme A... qui a contribué à 20 % du dommage ; en outre l'infection était guérie au 31 décembre 2012.

Par un mémoire, enregistré le 10 mars 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à sa mise hors de cause.

Il soutient que les conditions d'engagement de sa responsabilité au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies.

Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2019, Mme C... A..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- des fautes ont été commises concernant les actes de prévention, de diagnostic et de soins tant par le médecin qui la suivait que par l'hôpital Bon-Secours qui dépend du CHR de Metz-Thionville ;

- elle a été victime d'une infection due aux soins qui engage la responsabilité de l'ONIAM ; deux des seuils de gravité prévu à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique sont atteints ; les complications survenues ne sont pas normales au regard de son état antérieur ; elle accepte cependant la décision sur ce point du tribunal ;

- l'infection nosocomiale engage la responsabilité du CHR de Metz-Thionville ;

- son préjudice global s'élève à la somme que lui a allouée le tribunal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., née le 3 novembre 1986, souffrant d'obésité morbide depuis plusieurs années, a été opérée le 17 janvier 2012 au centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville pour l'ablation d'un anneau gastrique et la réalisation d'une sleeve gastrique. Dans les suites de cette intervention, elle a présenté une hyperthermie et une hyperleucocytose, nécessitant de l'hospitaliser à nouveau le 15 février 2012. La réalisation d'un scanner, le 21 février 2012, a mis en évidence un abcès sous diaphragmatique sur une fistulette de la partie cardiale de l'estomac qui a été traité par un drainage et la pose d'un stent, retiré en raison d'une intolérance quelques semaines plus tard. Le 14 avril 2012, l'intéressée a été réadmise à l'hôpital pour des douleurs abdominales, un syndrome infectieux et une hyperthymie. Le scanner abdominal, réalisé le 15 avril suivant, a mis en évidence une fistule gastrique et des collections sous le diaphragme et le flanc gauche. L'intéressée a de nouveau subi un drainage. Les prélèvements réalisés lors de cette intervention ont révélé la présence de germes infectieux. A compter du 23 avril 2012, Mme A... a été prise en charge à l'hôpital d'instruction des armées Legouest à Metz. L'infection secondaire à la fistule a guéri à la suite de sa dernière hospitalisation le 31 décembre 2012. Mme A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux d'une demande dirigée contre le centre hospitalier régional de Metz-Thionville. Cette commission a désigné un spécialiste en chirurgie générale et digestive, qui a rendu son rapport le 21 octobre 2014, au terme duquel Mme A... a été victime d'un accident médical non fautif. Par un avis du 15 décembre 2014, la CRCI a estimé que l'ONIAM devait indemniser Mme A... au titre de la solidarité nationale. L'office ayant refusé, Mme A... a présenté devant le tribunal administratif de Strasbourg un recours tendant à la condamnation de l'ONIAM à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices au titre de la solidarité nationale. Par un jugement du 3 juillet 2018, le tribunal a condamné le CHR de Metz-Thionville à verser la somme de 33 500 euros à Mme A... en réparation des préjudices résultant de l'infection nosocomiale dont elle a été victime. Le CHR de Metz-Thionville fait appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Dans ses observations en réponse au moyen d'ordre public soulevé par le tribunal, le CHR de Metz-Thionville avait fait valoir qu'en l'absence de conclusions dirigées contre lui par Mme A..., il devait être mis hors de cause. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal n'a pas répondu à ce moyen qui n'était pas inopérant et s'est borné, après avoir retenu la responsabilité du centre hospitalier sur le fondement du moyen qu'il avait relevé d'office et chiffré les préjudices de la victime, à condamner le CHR de Metz-Thionville à indemniser cette dernière. Par suite, le CHR de Metz-Thionville est fondé à soutenir que le jugement est entaché d'irrégularité et doit, pour ce motif, être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur l'interprétation de la demande de Mme A... :

4. Il résulte de l'instruction qu'en réponse au moyen d'ordre public adressé aux parties et tiré de ce que " la responsabilité sans faute du centre hospitalier régional de Metz-Thionville est susceptible d'être engagée sur le fondement du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique en raison de l'infection nosocomiale dont a été victime Mme A... ", cette dernière a indiqué que la responsabilité de plein droit du CHR de Metz-Thionville était susceptible d'être engagée en raison de l'infection nosocomiale dont elle a été victime puis, dans la partie conclusive de sa réponse, a demandé à la cour de juger que " la responsabilité sans faute du centre hospitalier régional de Metz-Thionville est engagée en raison de l'infection nosocomiale dont a été victime Mme A... ". Elle doit, par suite, être regardée comme ayant demandé que cet établissement hospitalier soit condamné à l'indemniser des préjudices causés par l'infection nosocomiale dont elle a été victime.

Sur la responsabilité du CHR de Metz-Thionville :

5. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissement, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins " sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens du second alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique (CSP) une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

6. Si, dans son rapport d'expertise, l'expert a indiqué que l'infection dont a été victime Mme A... est une infection endogène, en rapport direct et certain avec la fistule digestive à l'origine d'une fuite du liquide digestif, il résulte également de ce rapport que la fistule résulte de l'opération de réalisation d'une sleeve gastrique du 17 janvier 2012 et que l'infection s'est manifestée quelques semaines après la prise en charge de l'intéressée. Cette infection, qui n'était ni présente, ni en incubation lors de la prise en charge de Mme A..., doit ainsi être regardée comme présentant un caractère nosocomial. Si l'expert a relevé que le risque de fistule est inévitable et constitue un aléa thérapeutique, cette circonstance, compte tenu de l'absence d'imprévisibilité de ce risque qui survient dans 6 % des cas, ne saurait être regardé comme constitutif d'une cause étrangère. Dans ces conditions, l'infection nosocomiale dont a été victime Mme A... est de nature à engager la responsabilité du CHR de Metz-Thionville.

Sur les préjudices de Mme A... :

7. S'il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport d'expertise, que l'état antérieur de Mme A... a pu favoriser la survenance de la fistule, dans une proportion évaluée par l'expert à 20 %, cette circonstance n'est pas de nature à faire regarder les dommages qu'elle a subis et dont elle demande la réparation comme résultant de son état antérieur.

En ce qui concerne les préjudices temporaires :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

8. Si Mme A... fait valoir qu'elle a exposé des frais de kinésithérapie et des frais relatifs à des soins infirmiers à domicile, elle n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de ces frais. Par suite, sa demande concernant ce poste de préjudice doit être rejetée.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

En ce qui concerne les préjudices temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

9. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme A... a subi, du fait de l'infection nosocomiale dont elle a été victime, un déficit fonctionnel temporaire total de 121 jours, un déficit fonctionnel temporaire de classe III pendant 45 jours, un déficit fonctionnel temporaire de classe II pendant 132 jours et enfin un déficit fonctionnel temporaire de classe I du 1er décembre 2012 au 1er mars 2014, soit pendant 455 jours. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par Mme A... en l'évaluant, sur la base d'une indemnité de 20 euros par jour de déficit fonctionnel temporaire total, à la somme de 4 572 euros.

Quant au pretium doloris :

10. L'expert a évalué les souffrances endurées par Mme A..., liées notamment aux interventions qu'elle a dû subir en lien avec l'infection nosocomiale, à 5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en accordant à Mme A... la somme de 15 000 euros ;

Quant au préjudice esthétique temporaire :

11. L'expert a évalué le préjudice esthétique de Mme A..., lié à la nécessité d'utiliser un fauteuil roulant et de s'alimenter exclusivement par sonde, à 4,5 sur une échelle de 7. Ce poste de préjudice est en lien direct et certain avec l'infection nosocomiale. Il en sera fait une juste appréciation en allouant à l'intéressée la somme de 5 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

12. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme A..., âgée de 27 ans à la date de sa consolidation, conserve un déficit fonctionnel permanent en lien direct avec l'infection nosocomiale qui a été évalué à 7 %. Il sera fait une juste évaluation du préjudice subi à ce titre en allouant à Mme A... la somme de 8 000 euros.

Quant au préjudice esthétique permanent :

13. Il résulte de l'instruction que le préjudice esthétique subi par Mme A..., caractérisé par les cicatrices résultant des laparotomies et des drains abdominaux et dorsaux nécessaires au traitement de l'infection nosocomiale, a été fixé par l'expert à 1 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.

Quant au préjudice sexuel :

14. L'expert a estimé que Mme A... a subi un préjudice sexuel. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressée une somme de 1 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à demander que le CHR de Metz-Thionville soit condamné à lui verser la somme de 34 572 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'infection nosocomiale.

Sur la responsabilité de l'ONIAM :

16. Il résulte des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que la responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale à l'égard d'une victime d'une infection nosocomiale n'est susceptible d'être engagée qu'en l'absence de responsabilité d'un établissement ou professionnel de santé. Par suite, le CHR de Metz-Thionville étant tenu de réparer l'intégralité des dommages subis par Mme A... à la suite de l'infection nosocomiale dont elle a été victime, l'ONIAM doit être mis hors de cause.

Sur les frais de l'instance :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHR de Metz-Thionville la somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens en appel et en première instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 3 juillet 2018 est annulé.

Article 2 : Le CHR de Metz-Thionville est condamné à verser à Mme A... la somme de 34 572 euros.

Article 3 : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 4 : Le CHR de Metz-Thionville versera à Mme A... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel et de la demande de Mme A... présentée en première instance est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional de Metz-Thionville, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à Me F... pour Mme C... A... en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle.

N° 18NC02389 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02389
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé.

Santé publique - Établissements publics de santé - Responsabilité des établissements de santé (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-02;18nc02389 ?
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