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02/07/2020 | FRANCE | N°18NC01319

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 02 juillet 2020, 18NC01319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 477 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa contamination par voie transfusionnelle par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1601162 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'O

NIAM à verser à M. D... la somme de 17 900 euros.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme totale de 477 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa contamination par voie transfusionnelle par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1601162 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné l'ONIAM à verser à M. D... la somme de 17 900 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 avril 2018, et trois mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 17 août 2018, 9 octobre 2018 et 15 octobre 2018, M. B... D..., représenté par Me A..., doit être regardé comme demandant à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1601162 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 29 mars 2018 ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 494 000 euros ou, subsidiairement, celle de 266 000 euros ;

3°) de condamner l'ONIAM aux dépens et de mettre à sa charge la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a contracté le virus de l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine ;

- l'ONIAM est tenu, au titre de la solidarité nationale, d'indemniser les conséquences dommageables de cette contamination ;

- il est fondé à réclamer la somme de 459 000 euros ou, subsidiairement, celle de 231 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, la somme de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, la somme de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique et la somme de 15 000 euros au titre du préjudice de contamination.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 août 2018, et trois mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 3 octobre 2018, 19 octobre 2018 et 19 décembre 2019, l'ONIAM, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il n'entend pas contester la matérialité des transfusions sanguines reçues par M. D..., ni l'imputation à ces transfusions de la contamination de l'intéressé par le virus de l'hépatite C ;

- l'indemnisation du requérant ne saurait excéder la somme totale de 17 900 euros allouée par les premiers juges ;

- le préjudice de contamination est déjà indemnisé au titre des souffrances endurées ;

- aucun recours de tiers payeurs ne saurait être dirigé contre lui.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse, premier conseiller

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 17 janvier 2013, à l'issue d'un bilan effectué pour l'exploration d'une cytolyse hépatique chronique, M. B... D... a été diagnostiqué porteur du virus de l'hépatite C. Ce diagnostic ayant été confirmé par un examen biologique réalisé le 24 octobre 2013, le requérant a été soigné par trithérapie, du 2 janvier au 30 mars 2014, puis par bithérapie, du 31 mars au 20 juin 2014. Le traitement mis en oeuvre a permis la disparition de la charge virale dès le 18 avril 2014 puis la constatation de la guérison définitive et sans séquelles de l'hépatite à compter du 5 janvier 2015. Estimant que sa contamination trouvait son origine dans une transfusion sanguine administrée lors de l'intervention chirurgicale dont il a fait l'objet le 21 septembre 1973, à la suite d'un accident de la circulation, M. D... a, le 6 décembre 2013, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui a fait droit à sa demande en ordonnant, le 27 mars 2014, une expertise médicale, dont le rapport a été remis le 2 juillet 2015. Sur la base de ce rapport, le requérant a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), sur le fondement des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, d'une demande tendant à la réparation des préjudices causés par cette contamination. Le 24 mai 2016, l'ONIAM a adressé à l'intéressé une offre d'indemnisation d'un montant de 3 100 euros. Jugeant cette proposition insuffisante, M. D... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à lui verser la somme totale de 477 200 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa contamination par voie transfusionnelle par le virus de l'hépatite C. Il relève appel du jugement n° 1601162 du 29 mars 2018 qui limite le montant de l'indemnisation à 17 900 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C (...) causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 (...). / Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus de l'hépatite B ou C (...) et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L'office recherche les circonstances de la contamination. S'agissant des contaminations par le virus de l'hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. / L'offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 1142-17. / La victime dispose du droit d'action en justice contre l'office si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans un délai de six mois à compter du jour où l'office reçoit la justification complète des préjudices ou si elle juge cette offre insuffisante. / (...) ". Aux termes de l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable. ".

3. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 2 juillet 2015 que M. D..., victime d'un accident de la circulation et présentant à son arrivée à l'hôpital une hématurie et des signes d'hémorragie interne, symptômes révélateurs d'une fracture du rein gauche, a, de façon " hautement probable ", été contaminé par le virus de l'hépatite C à la suite de transfusions sanguines, vraisemblablement effectuées le 21 septembre 1973 avant et après l'intervention chirurgicale du même jour qui consistait en la réalisation d'une splénectomie et d'une hémi-néphrectomie gauche. En l'absence de contestation de l'ONIAM, la matérialité de ces transfusions et l'origine transfusionnelle de la contamination doit être tenue pour établie. Par suite, le requérant est fondé à solliciter la condamnation de l'ONIAM à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de cette contamination.

En ce qui concerne le montant de la réparation :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

4. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 2 juillet 2015 que M. D..., du fait sa contamination par le virus de l'hépatite C, a présenté, à compter de 1976, des troubles digestifs accompagnés de nausées, de diarrhées et de pertes de poids et d'appétit, qui ont nécessité des examens biologiques réguliers, ainsi que des troubles de l'humeur, caractérisés par une anxiété persistante et une asthénie, qui ont conduit à un diagnostic de syndrome dépressif en 2005 et en 2011. Selon l'expert, le requérant a ainsi subi un déficit fonctionnel temporaire évalué à 10 % pour la période allant de janvier 1976 à décembre 2013, soit 456 mois. En outre, du fait d'une mauvaise tolérance de l'intéressé au traitement antiviral mis en oeuvre, ce déficit fonctionnel est estimé à 20 % pendant la période allant du 2 janvier au 30 juin 2014, soit six mois. Dans ces conditions, en retenant comme base de calcul un déficit fonctionnel temporaire total de 600 euros par mois, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. D... en lui allouant la somme de 28 080 euros à ce titre.

S'agissant des souffrances endurées :

5. Il résulte de l'instruction que l'expert a estimé que les souffrances endurées par M. D..., évaluées à 2/7, pouvaient être qualifiées de " modérées ". Dans ces conditions, compte tenu notamment de la durée des troubles digestifs et psychiques éprouvés par l'intéressé, qui remontent à 1976, il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par le requérant en lui allouant la somme de 6 000 euros pour ce poste de préjudice.

S'agissant du préjudice esthétique :

6. Il résulte de l'instruction que, pendant la durée du traitement antiviral, de janvier à juin 2014, M. D... a souffert d'un préjudice esthétique temporaire, évalué par l'expert à 2/7 et caractérisé par un amaigrissement de six kilogrammes et par une pâleur marquée. Par suite, eu égard à la durée et à la nature de l'altération physique en cause, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en allouant au requérant une somme de 500 euros à ce titre.

S'agissant du préjudice spécifique de contamination :

7. Contrairement à ce que soutient l'ONIAM, ce poste de préjudice, lié aux inquiétudes légitimes nées de la contamination et des conséquences graves pouvant en résulter pour la personne contaminée par le virus de l'hépatite C, est distinct de celui correspondant aux souffrances physiques et morales endurées et est susceptible d'être indemnisé par le juge administratif, y compris pour la période précédant la consolidation ou la stabilisation de la pathologie. Il n'est pas contesté que, de la date de la révélation de sa contamination par le virus de l'hépatite C le 17 janvier 2013 jusqu'à la date du constat de sa guérison le 5 janvier 2015, M. D... a pu légitiment éprouver des inquiétudes en raison même de sa contamination et des conséquences graves qui pouvaient en résulter. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la pathologie, considérée par l'expert comme guérie de façon définitive et sans séquelles, ait évolué défavorablement depuis sa consolidation. Si le requérant fait valoir qu'il souffre d'un diabète de type II depuis 2016 et qu'il a ressenti en 2019 une proéminence et des douleurs au niveau de la paroi intestinale, il ne résulte pas de l'instruction que ces affections seraient en lien avec sa contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en allouant à M. D... la somme de 2 000 euros à ce titre.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à solliciter la condamnation de l'ONIAM à lui verser la somme totale de 36 580 euros. Par suite, il est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité le montant de l'indemnisation à la somme de 17 900 euros.

Sur les conclusions à fin d'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les premiers juges ont mis à la charge de l'ONIAM les frais d'expertise, taxés à la somme de 1 800 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 18 septembre 2015. La présente instance n'ayant pas généré de dépens, les conclusions présentées par M. D... en application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le requérant à l'occasion de la présente instance et non compris dans les dépens.

D E C I D E

Article 1er : L'ONIAM est condamné à verser à M. D... la somme totale de 36 580 euros (trente-six mille cinq cent quatre-vingts euros).

Article 2 : Le jugement n° 1601162 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 29 mars 2018 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : Il est mis à la charge de l'ONIAM le versement à M. D... de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui pour la présente instance et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour M. B... D... en application des dispositions de l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 modifiée, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne.

N° 18NC01319 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01319
Date de la décision : 02/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : LUDOT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-07-02;18nc01319 ?
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