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26/06/2020 | FRANCE | N°19NC01259

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 26 juin 2020, 19NC01259


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 mars 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert auprès des autorités norvégiennes, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet a prononcé son assignation à résidence et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, subsidiairement de réexaminer sa

situation dans le même délai.

Par un jugement n° 1902007 du 26 mars 2019, le tri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler l'arrêté du 13 mars 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert auprès des autorités norvégiennes, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet a prononcé son assignation à résidence et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, subsidiairement de réexaminer sa situation dans le même délai.

Par un jugement n° 1902007 du 26 mars 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC01259 le 25 avril 2019, complétée par un mémoire enregistré le 9 février 2020, M. D... A..., représenté par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 26 mars 2019 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les deux arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 13 mars 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, subsidiairement de réexaminer sa situation dans le même délai et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert est insuffisamment motivée ;

- l'article 3 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 a été méconnu ;

- le préfet aurait dû, à tout le moins, étudier sa demande d'asile sur le fondement de l'article 17 du même règlement, en usant de la compassion recommandée par cet article ;

- la décision contestée méconnaît son droit à une vie privée et familiale reconnu par le droit de l'Union européenne eu égard à la situation de son épouse, de nationalité norvégienne, qui a trouvé un travail à Huningue et bénéficie donc des règles relatives à la libre circulation des personnes et des travailleurs ainsi qu'aux membres de leurs familles, issus de pays tiers.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2020, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 30 avril 2019.

Par un courrier en date du 23 décembre 2019, les parties ont été informées de ce que la cour était, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, susceptible de soulever d'office le moyen tiré de ce qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fins d'annulation de la décision de transfert attaquée, dès lors que la France devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale à l'expiration du délai de six mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire enregistré le 24 décembre 2019, le préfet du Bas-Rhin a répondu à cette communication en précisant que le requérant avait été déclaré en fuite.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant afghan, est entré en France le 12 février 2019 pour y solliciter l'asile. La comparaison des informations Eurodac a permis de saisir les autorités allemandes, suédoises, danoises et norvégiennes d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Seules les autorités norvégiennes ont donné leur accord le 1er mars 2019, en application de l'article 18-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par un premier arrêté du 13 mars 2019, le préfet du Bas-Rhin a ordonné le transfert de M. A... auprès des autorités norvégiennes et, par un second arrêté du même jour, il l'a assigné à résidence. M. A... fait appel du jugement du 26 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la décision de transfert :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / (...) ".

3. Après avoir cité l'ensemble des textes dont le préfet du Bas-Rhin a fait application, notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013, et en particulier son article 18-1-d, et le règlement (UE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié, l'arrêté de transfert contesté mentionne que l'intéressé, qui avait déjà sollicité le statut de réfugié auprès des autorités allemandes, danoises, suédoises et norvégiennes, est entré irrégulièrement en France, que les autorités norvégiennes ont fait savoir le 1er mars 2019 qu'elles acceptaient de reprendre en charge M. A..., que la situation de ce dernier ne relevaient pas des dérogations prévues aux articles 3-2 et 17 du règlement n° 604/2013 et, enfin, que si l'intéressé déclare être marié avec une ressortissante norvégienne, il ne peut pas se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France. Par suite, l'arrêté du 13 mars 2019 comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, sans que cette motivation présente un caractère stéréotypé. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ".

5. D'une part, ayant constaté, après consultation du fichier Eurodac, que M. A... avait sollicité en vain l'asile en Norvège le 14 novembre 2016, le préfet du Bas-Rhin a, sur le fondement de l'article 23 du règlement précité, saisi les autorités norvégiennes, le 26 février 2019, d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. La Norvège ayant accepté, par décision du 1er mars 2019, de reprendre M. A... en charge en vertu du d) du 1 de l'article 18 du règlement précité, c'est sans erreur de droit que le préfet du Bas-Rhin a prononcé le transfert du requérant vers ce pays.

6. D'autre part, si M. A... soutient que sa demande d'asile en Norvège ayant été rejetée par un jugement définitif du 29 janvier 2019, il sera automatiquement renvoyé à Kaboul en cas de transfert en Norvège, alors qu'il encourt des risques pour sa vie en cas de retour en Afghanistan, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile en Norvège est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que cet Etat est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités norvégiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

7. L'appelant se borne à affirmer que la Norvège a durci l'octroi de l'asile et l'accès au regroupement familial pour les ressortissants afghans, et qu'elle considère l'Afghanistan comme un pays sûr, sans toutefois alléguer qu'il existerait des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Norvège. Il ne produit en tout cas aucun élément donnant de sérieuses raisons de croire, soit que la Norvège ne tiendrait pas compte de son mariage avec une ressortissante norvégienne, Mme B..., soit qu'il existerait en Norvège des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant. En outre, M. A... ne produit aucun élément probant à l'appui de ses allégations selon lesquelles il risquerait, en cas de renvoi dans son pays d'origine, de se faire tuer par l'homme avec lequel on voulait forcer son épouse, Mme B..., à se marier. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 3 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 aurait été méconnu ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". En se bornant à en appeler à la " compassion des Etats membres " M. A... n'établit pas que le refus du préfet du Bas-Rhin de mettre en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement précité serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. En quatrième lieu, la Cour de justice de la Communauté européenne a rappelé, dans un arrêt du 25 juillet 2002, M.R.A.X c/ Etat belge, aff. C-459/99, point 39, que " la réglementation communautaire relative à la libre circulation des travailleurs, à la libre prestation des services et à la liberté d'établissement n'est pas applicable à des situations ne présentant aucun élément de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire. Par conséquent, ladite réglementation ne saurait être appliquée à la situation de personnes qui n'ont jamais fait usage de ces libertés ".

11. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté préfectoral contesté, le requérant n'avait produit qu'une promesse d'embauche de son épouse par un restaurant de Huningue. Un tel document n'était pas de nature à établir que l'intéressée, de nationalité norvégienne et susceptible en conséquence de bénéficier du droit à la libre circulation des travailleurs ressortissant d'Etats membres de l'Espace économique européen (EEE), avait fait, à cette date, usage de cette liberté. En outre, si le requérant produit en appel un " contrat à durée déterminée pour accroissement temporaire d'activité ", ce document, au demeurant non signé, est daté du 25 mars 2019 et ainsi postérieur à l'arrêté préfectoral contesté. Par suite, M. A... ne saurait utilement soutenir qu'il avait droit à un titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante de l'EEE bénéficiant des règles relatives à la libre circulation des personnes et des travailleurs.

Sur la décision d'assignation à résidence :

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de transfert, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'assignant à résidence.

13. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 13 mars 2019. Ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées, par voie de conséquence.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

N° 19NC01259 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01259
Date de la décision : 26/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : RAMENAH

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-26;19nc01259 ?
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