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26/06/2020 | FRANCE | N°19NC00067

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 26 juin 2020, 19NC00067


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SANEF a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'État à lui verser la somme de 49 543,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé une manifestation d'agriculteurs sur l'autoroute A4 le 28 juillet 2015 ainsi qu'à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugeme

nt n° 1701143 du 14 novembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SANEF a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'État à lui verser la somme de 49 543,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice que lui a causé une manifestation d'agriculteurs sur l'autoroute A4 le 28 juillet 2015 ainsi qu'à lui verser une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701143 du 14 novembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, condamné l'État à verser à la société SANEF une somme de 49 543,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 15 novembre 2017 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en réparation de son préjudice, d'autre part, mis à sa charge le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n° 19NC00067 le 11 janvier 2019, complétée par un mémoire enregistré le 17 janvier 2020, le préfet de la Moselle demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 novembre 2018 ;

2°) de condamner la société SANEF au remboursement de la somme de 49 543,71 euros, augmentée des intérêts légaux, qui lui a été versée par l'Etat à titre indemnitaire ;

3°) de condamner la société SANEF au remboursement de la somme de 1 500 euros qui lui a été versée par l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que le tribunal n'a pas explicité le raisonnement au terme duquel il a estimé qu'il y avait attroupement au sens de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;

- la responsabilité sans faute de l'État ne peut pas être engagée, dès lors que les trois conditions cumulatives d'application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas remplies ;

- les préjudices allégués ne sont pas établis et le lien de causalité entre la manifestation et les préjudices allégués n'est pas démontré.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2019, complétée par un mémoire enregistré le 3 février 2020, la société SANEF, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, car elle ne comporte pas de véritable critique du jugement ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un courrier en date du 20 février 2020, les parties ont été informées de ce que la cour était, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité, pour tardiveté, du moyen tiré de l'irrégularité du jugement, soulevé par le préfet de la Moselle dans son mémoire en réplique enregistré le 17 janvier 2020, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel.

Des mémoires en réponse au moyen relevé d'office ont été enregistrés les 21 février et 11 mars 2020 pour le préfet de la Moselle.

Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 27 février 2020 pour la société SANEF.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la route ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me A... C..., pour la société SANEF.

La société SANEF a présenté une note en délibéré enregistrée le 4 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 juillet 2015, des agriculteurs ont bloqué l'accès à l'autoroute A4 au niveau de Phalsbourg ainsi que la section courante de l'axe autoroutier, dans le cadre d'un mouvement de protestation portant sur le montant des prix agricoles. Estimant que la responsabilité sans faute de l'Etat était engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, du fait des dommages que lui a causés ce blocage, la société SANEF, concessionnaire de l'autoroute A4, a adressé au préfet de la Moselle, le 14 novembre 2016, une demande indemnitaire préalable qui a fait l'objet d'une décision explicite de rejet le 23 janvier 2017. Le préfet de la Moselle fait appel du jugement du 14 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'État à verser à la société SANEF une indemnité de 49 543,71 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 15 novembre 2017 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société SANEF :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Contrairement à ce que soutient la société SANEF, la requête d'appel du préfet de la Moselle, en mentionnant notamment que " le jugement contesté est entaché d'une erreur d'appréciation des faits " et que " les juges de première instance ne se sont aucunement prononcés sur l'existence même du rassemblement " comporte une critique suffisante de ce jugement. Par suite, quand bien même reprend elle l'argumentaire développé en première instance dans le mémoire en défense par le préfet, la fin de non-recevoir tirée de l'insuffisante motivation de cette requête doit être écartée.

Sur les condamnations prononcées en première instance :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

4. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ".

5. Il résulte de l'instruction, notamment d'un communiqué de la préfecture de Moselle du 28 juillet 2015 et d'un constat de Me B..., huissier de justice, établi le jour de la manifestation en cause, qu'une centaine d'agriculteurs mosellans avaient bloqué l'autoroute A4 Paris-Strasbourg dans les deux sens, au cours de cette journée, au niveau de Phalsbourg, au moyen de tracteurs et d'engins agricoles, afin de fouiller les camions étrangers transportant des produits agro-alimentaires et d'en confisquer le contenu. Ce blocage avait été annoncé par un tweet publié par la FDSEA de la Moselle la veille de l'évènement, France 3 Lorraine ayant d'ailleurs souligné que cette journée de manifestation s'était faite " à l'appel de la FDSEA ". Eu égard à la mise en oeuvre de tels moyens dans le but assumé de bloquer l'autoroute A4, quand bien même s'agissait-il selon ses promoteurs de faire pression sur le Gouvernement afin qu'il trouve une solution à la crise des prix agricoles, le groupe de manifestants à l'origine des agissements en cause doit être regardé comme s'étant constitué et organisé à seule fin de commettre le délit d'entrave à la circulation puni par l'article L. 412-1 du code de la route. Par suite, les conséquences dommageables de ces agissements ne peuvent être imputés à un attroupement ou un rassemblement au sens de dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat sur ce fondement.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de la régularité du jugement attaqué, que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Strasbourg a retenu la responsabilité de l'État pour le préjudice subi par la société SANEF et l'a condamné à verser à cette dernière une somme de 49 543,71 euros avec intérêts et capitalisation.

En ce qui concerne les frais exposés et non compris dans les dépens :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'Etat ne pouvait être regardé comme partie perdante en première instance et que, par suite, le préfet de la Moselle est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a mis à la charge de l'Etat le versement à la société SANEF d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions en remboursement présentées par l'Etat :

9. Il résulte des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative que les décisions des juridictions administratives sont exécutoires. Par suite, lorsque le juge d'appel infirme une condamnation prononcée en première instance, sa décision, dont l'expédition notifiée aux parties est revêtue de la formule exécutoire prévue à l'article R. 751-1 du code de justice administrative, permet par elle-même d'obtenir, au besoin d'office, le remboursement de sommes déjà versées en vertu de cette condamnation.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions du préfet de la Moselle tendant à la condamnation de la société SANEF à lui restituer le montant des sommes versées en exécution du jugement du 14 novembre 2018 du tribunal administratif de Strasbourg, infirmé en appel, sont sans objet et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance d'appel :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société SANEF demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 novembre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société SANEF devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Moselle et à la société SANEF.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00067
Date de la décision : 26/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux. Attroupements et rassemblements (art. L. 2216-3 du CGCT).


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-Marc FAVRET
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : CARBONNIER LAMAZE RASLE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-26;19nc00067 ?
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