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11/06/2020 | FRANCE | N°18NC01471

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 11 juin 2020, 18NC01471


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... A..., Mme E... B... épouse A... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à M. I... A... la somme de 1 337 145,65 euros et à Mme E... A... et M. C... A... la somme de 96 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subis en raison de fautes commises lors de l'accouchement de Mme A....

La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, intervenant pour le compte de la caisse primaire d'as

surance maladie de la Moselle, a demandé au tribunal administratif de Stras...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... A..., Mme E... B... épouse A... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à M. I... A... la somme de 1 337 145,65 euros et à Mme E... A... et M. C... A... la somme de 96 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subis en raison de fautes commises lors de l'accouchement de Mme A....

La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, intervenant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle, a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'établissement hospitalier à lui verser la somme de 137 083,12 euros correspondant à ses débours, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2011 et la capitalisation des intérêts à compter du 11 mai 2012 ainsi que la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1602792 du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à M. I... A... la somme de 860 849,92 euros, à Mme D... A... la somme de 30 000 euros et à M. C... A... la somme de 30 000 euros.

Le tribunal administratif de Strasbourg a également condamné le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle :

- au titre de ses débours pour la période antérieure au 31 août 2017, la somme de 21 601,90 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016 et de la capitalisation des intérêts au 23 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ;

- pour la période postérieure au 31 août 2017, sur présentation de justificatifs et à chaque échéance annuelle, un montant correspondant à 40 % des débours exposés, au titre du fauteuil roulant pour un montant annuel maximum de dépenses de 2 953,50 euros, du lit médical pour un montant annuel maximum de dépenses de 728 euros, des chaussures orthopédiques pour un montant annuel maximum de dépenses de 2 426,82 euros, du corset pour un montant annuel maximum de dépenses de 1 236,14 euros, de la rééducation pour un montant annuel maximum de dépenses de 1 075 euros, de la pharmacie (médicament Alfuzosine) pour un montant annuel maximum de dépenses de 149,64 euros, de la rémunération annuelle du médecin traitant et de deux consultations par an pour un montant annuel maximum de dépenses de 90 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 mai 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 3 décembre 2019, M. I... A..., Mme E... B... épouse A... et M. C... A..., représentés par Me F..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 mars 2018 en tant qu'il a limité l'indemnité due à M. I... A... à la somme de 860 849,92 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à M. I... A... la somme de 3 486 604 euros ou, subsidiairement la somme de 3 092 294 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Sarrebourg les dépens et la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent dans le dernier état de leurs écritures que :

- le taux de perte de chance d'éviter les dommages subis en raison des fautes commises doit être fixé à 80 % ;

- le préjudice fonctionnel temporaire subi par M. A... peut être évalué à la somme de 87 791,20 euros ;

- les souffrances endurées peuvent être évaluées à la somme de 10 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire peut être évalué à la somme de 15 000 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu un coût horaire de 13 euros pour le calcul de l'indemnité due au titre de l'assistance tierce personne ; ce poste de préjudice doit être évalué à 2 316 879,47 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont fixé le déficit fonctionnel permanent à 75 % ; ce déficit fonctionnel permanent doit être fixé à 80 % ; ce poste de préjudice doit être évalué à la somme de 516 000 euros ;

- le préjudice esthétique permanent peut être évalué à la somme de 8 000 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont évalué le préjudice sexuel à 8 000 euros ; ce poste de préjudice doit être évalué à la somme de 120 000 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont évalué le préjudice d'établissement à 8 000 euros ; ce poste de préjudice doit être évalué à la somme de 80 000 euros ;

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande au titre des pertes de gains professionnels et ont évalué l'incidence professionnelle à la somme de 30 000 euros; le premier poste de préjudice doit être évalué à la somme de 953 110,85 euros compte tenu du versement de l'allocation adulte handicapé perçue par M. A... ; l'incidence professionnelle doit être évaluée à la somme de 150 000 euros ; à titre subsidiaire, si la cour estimait qu'il est dans la capacité de pouvoir accéder au marché du travail, il est fondé à solliciter une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle quant à la dévalorisation sur le marché du travail qui peut être évaluée à hauteur de 610 223,04 euros ;

- les frais divers peuvent être évalués à la somme de 51 474,28 euros.

Par un mémoire, enregistré le 15 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, représentée par Me J..., demande à la cour d'annuler le jugement en tant qu'il a omis de statuer sur sa demande tendant au bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion et de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) à lui verser une somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi qu'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le jugement est entaché d'une contradiction entre les motifs et le dispositif s'agissant de sa demande tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par des mémoires, enregistrés le 2 novembre 2018 et le 27 décembre 2019, le centre hospitalier de Sarrebourg et la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par Me H..., concluent au rejet de la requête et demandent, par la voie de l'appel incident, d'une part, de réduire l'indemnité allouée à M. A... en rejetant sa demande présentée au titre de l'incidence professionnelle et, d'autre part, de réduire à de plus justes proportions les indemnités allouées à Mme E... A... et à M. C... A....

Ils font valoir que :

- aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé ;

- M. A... ne peut pas prétendre à une indemnité au titre de l'incidence professionnelle dès lors que la réalité de ce poste de préjudice n'est pas établie ;

- le montant des indemnités allouées à Mme E... A... et à M. C... A... est excessif.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par le centre hospitalier de Sarrebourg et la Société hospitalière d'assurances mutuelles tendant à ce que la cour réduise à de plus juste proportions les indemnités allouées à Mme E... A... et à M. C... A..., de telles conclusions, relevant d'un litige distinct de celui qui faisait l'objet de l'appel principal, n'étant pas constitutives d'un appel incident mais d'un appel principal enregistré après l'expiration du délai d'appel et, par suite, tardif.

Par un courrier, enregistré le 25 mars 2020, le centre hospitalier de Sarrebourg et la Société hospitalière d'assurances mutuelles ont présenté des observations au moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me J... pour la CPAM de Meurthe-et-Moselle.

Considérant ce qui suit :

1. M. I... A..., qui est né le 6 mars 1984 au centre hospitalier de Sarrebourg, présente une paraplégie sensitivo-motrice. Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a considéré que des fautes avaient été commises lors de l'accouchement de sa mère, Mme D... A.... Les premiers juges ont relevé qu'au moment des faits, une déflexion de la tête foetale était une contre-indication établie à une naissance par voie basse et que, le foetus s'étant en l'espèce présenté en siège avec une déflexion de la tête, il convenait dès lors d'alerter immédiatement et impérativement le médecin de garde et de procéder sans tarder à une césarienne. Ils ont, en conséquence, jugé que le retard à prévenir le médecin de garde et la décision de réaliser un accouchement par voie naturelle étaient constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Sarrebourg. Le tribunal administratif a, par suite, condamné l'établissement hospitalier et son assureur, la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à verser la somme de 860 849,92 euros à M. I... A... et la somme de 30 000 euros à chacun de ses parents. Il a également condamné le centre hospitalier à rembourser ses débours à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle. M. I... A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation à la somme de 860 849,92 euros. La caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant au bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Sarrebourg et la SHAM demandent, d'une part, de réduire l'indemnité allouée à M. A... et, d'autre part, de réduire à de plus justes proportions les indemnités allouées à ses parents.

Sur les conclusions du centre hospitalier de Sarrebourg et de la SHAM tendant à ce que la cour réduise le montant des indemnités allouées à Mme E... A... et à M. C... A... :

2. Les conclusions présentées à l'encontre du centre hospitalier de Sarrebourg et de la SHAM relatives aux préjudices propres des parents de M. I... A... soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal, lequel concerne les préjudices que M. A... a personnellement subis. Dans ces conditions, les conclusions susmentionnées du centre hospitalier et de son assureur ne sont pas constitutives d'un appel incident mais d'un appel principal enregistré après l'expiration du délai d'appel et, par suite, tardif.

Sur la régularité du jugement :

3. Après avoir affirmé, dans ses motifs, qu'il y avait lieu de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal administratif de Strasbourg a, dans le dispositif de son jugement rejeté les conclusions présentées à ce titre par l'organisme de sécurité sociale. Ainsi, ce jugement comporte une contrariété entre ses motifs et son dispositif. La caisse primaire d'assurance maladie de Moselle est, par suite, fondée à en demander l'annulation en tant qu'il rejette lesdites conclusions. L'article 6 dudit jugement doit, dès lors, être annulé en tant que, rejetant le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle, il rejette ses conclusions tendant à l'octroi de ladite indemnité.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant au bénéfice de l'indemnité forfaitaire de gestion et de statuer sur le surplus du litige dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le taux de perte de chance :

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise contradictoire rendu dans le cadre d'une instance en référé que, dès lors notamment que le travail avait commencé depuis plus de quatre heures lorsque le diagnostic de déflexion de la tête foetale a été posé, le risque que le foetus présente un étirement médullaire peut être évalué à 50 %. L'expert indique à cet égard que " les contractions utérines génèrent à elles seules des forces d'étirement pouvant être responsables de lésions médullaires ". Il relève par ailleurs que ce pourcentage se justifie en l'espèce par l'existence d'un oligoamnios et d'une rétractation utérine. Si les requérants contestent ce taux en se prévalant d'un rapport d'expertise non contradictoire qui relève que " la littérature des années 70 à 90, soit à l'époque des faits, ne retrouve des taux de lésions médullaires en cas de voie basse que de l'ordre de 21 à 27 % ", cet élément ne permet pas de remettre en cause le taux retenu par l'expert qui a notamment fondé son appréciation sur les particularités de la situation que présentait Mme A.... Par ailleurs, ainsi que l'a relevé l'expert, la césarienne n'est de nature à éviter la survenance de lésions que dans 80 % des cas. Par suite, le taux de la perte de chance d'éviter que le dommage soit advenu doit être fixé à 40 %, ainsi que l'ont fait les premiers juges.

En ce qui concerne les préjudices scolaire et professionnel :

7. S'il est constant que M. A... n'a jamais été scolarisé et qu'il a uniquement été accueilli au sein d'un institut médico-éducatif, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise contradictoire et des pièces produites par les requérants, que cette absence de scolarisation est imputable à la paraplégie sensitivo-motrice dont il est atteint. Les requérants ne justifient d'aucune démarche relative à la scolarisation de l'intéressé et n'apportent aucun élément médical attestant que le handicap dont était atteint M. A... rendait impossible toute scolarité, en raison des fautes commises. Il ne peut pas davantage être regardé comme établi que M. A... a été privé, en raison de ce handicap, de toute possibilité d'exercer un jour une activité professionnelle. En revanche, les requérants sont fondés à soutenir que ce handicap rend difficile son insertion sur le marché du travail et ne lui permet pas d'espérer un déroulement de carrière normal. Il sera fait une juste appréciation en évaluant ce préjudice à la somme de 200 000 euros. Dans ces conditions et compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, il y a lieu de porter l'indemnisation allouée au requérant au titre de son préjudice professionnel à la somme de 80 000 euros.

En ce qui concerne les frais d'assistance tierce personne :

8. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l'espèce, le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.

9. Il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. A... nécessite une aide non spécialisée pour une durée de cinq heures par jour. Le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier de Sarrebourg et la SHAM à verser à ce titre à M. A..., après application du taux de perte de chance de 40 %, la somme de 224 381,20 euros pour la période antérieure au jugement et la somme de 426 444,72 euros pour la période postérieure au jugement en se fondant sur un taux horaire de 13 euros. Les requérants n'établissent pas, par les documents d'ordre général qu'ils produisent, que ce taux horaire est trop faible et qu'il aurait dû être fixé, comme ils le soutiennent, à 20 euros. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice.

En ce qui concerne les frais de véhicule adapté :

10. Les premiers juges qui ont alloué au requérant une somme de 21 524 euros après application du pourcentage de perte de chance qu'ils ont retenu, ont évalué les frais liés à la nécessité pour M. A... d'acquérir un véhicule adapté à la somme de 53 810 euros. Par suite, en indiquant que ce chef de préjudice pourra être évalué, avant l'application d'un taux de perte de chance, à la somme de 51 474,28 euros, M. A... ne peut être regardé comme contestant l'appréciation portée par les premiers juges sur ce point.

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a souffert, du 6 avril 1984, jour de sa naissance, au 15 novembre 2002, date de la consolidation fixée par l'expert, d'un déficit fonctionnel temporaire qui peut être évalué à 75 %, hormis lors les jours durant lesquels il a été hospitalisé et pour lesquels ce déficit fonctionnel temporaire peut être fixé à 100 %. Les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice en l'évaluant à 85 000 euros et en allouant au requérant, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, une somme de 34 000 euros.

12. En deuxième lieu, le déficit fonctionnel permanent dont souffre M. A... a été évalué par l'expert à 75 %. Les éléments produits par les requérants ne permettent pas d'établir que ce taux devrait être porté à 80 %. En outre, compte tenu de l'âge du requérant à la date de la consolidation, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ce chef de préjudice en l'évaluant à 312 500 euros et en allouant au requérant, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, une somme de 125 000 euros.

13. En troisième lieu, les premiers juges, qui ont alloué au requérant une somme de 6 000 euros après application du pourcentage de perte de chance qu'ils ont retenu, ont évalué les souffrances endurées par M. A..., fixées à 5 sur une échelle de 1 à 7, à la somme de 15 000 euros. Par suite, en indiquant que ce chef de préjudice pourra être évalué, avant l'application d'un taux de perte de chance, à la somme de 10 000 euros, M. A... ne peut être regardé comme contestant l'appréciation portée par les premiers juges sur ce point.

14. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise contradictoire que le préjudice esthétique peut être évalué à 4 sur une échelle de 1 à 7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer ce chef de préjudice, à titre à la fois temporaire et permanent, à la somme de 15 000 euros. Compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, il y a lieu de porter l'indemnisation allouée au requérant à la somme de 6 000 euros.

15. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que M. A... souffre de troubles génito-sexuels. Son préjudice sexuel est ainsi établi. Par ailleurs, l'intéressé, dont la capacité de réaliser un projet de vie familiale est réduite, est fondé à obtenir réparation de son préjudice d'établissement. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évaluer ces deux chefs de préjudices à la somme globale de 150 000 euros. Compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu, il y a lieu de porter l'indemnisation allouée au requérant à la somme globale de 60 000 euros.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le centre hospitalier de Sarrebourg à lui verser soit portée à la somme de 983 349,92 euros.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

17. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget ". Lorsque, par application de cet article, le montant de l'indemnité forfaitaire est relevé par arrêté interministériel, la caisse n'est pas obligée d'actualiser devant le juge le montant de ses conclusions.

18. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2020 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 108 € et 1 091 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2020 ".

19. Compte tenu du montant de l'indemnisation qui a été allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Sarrebourg à verser à cette caisse une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Sarrebourg une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. I... A... et non compris dans les dépens, ainsi qu'une somme de 750 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 6 du jugement n° 1602792 du tribunal administratif de Strasbourg du 13 mars 2018 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle tendant au versement de l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 2 : La somme de 860 849,92 euros que le centre hospitalier de Sarrebourg a été condamné à verser à M. I... A... par le jugement du 13 mars 2018 est portée à 983 349,92 euros.

Article 3 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 mars 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Sarrebourg versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle une somme de 1 091 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Article 5 : Le centre hospitalier de Sarrebourg versera à M. I... A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le centre hospitalier de Sarrebourg versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle une somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A... est rejeté.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle est rejeté.

Article 9 : Les conclusions du centre hospitalier de Sarrebourg présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... pour M. I... A..., Mme E... B... épouse A... et M. C... A... et à Me H... pour la Société hospitalière d'assurances mutuelles en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle et au centre hospitalier de Sarrebourg.

2

N° 18NC01471


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01471
Date de la décision : 11/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : SCP SYNERGIE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-06-11;18nc01471 ?
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