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08/04/2020 | FRANCE | N°18NC01831-18NC02215

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 08 avril 2020, 18NC01831-18NC02215


Vu la procédure suivante :

I- Par une requête enregistrée le 26 juin 2018, sous le n° 18NC01831, la SAS SG Cinéma Le Florival, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Commission nationale d'aménagement cinématographique sur le recours formé devant elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017 autorisant la SAS Cinéville Nord à exploiter un complexe cinématographique de 6 salles et 1 263 places à Wittenheim

;

2°) de mettre à la charge de la SAS Cinéville Nord le versement d'une somme de...

Vu la procédure suivante :

I- Par une requête enregistrée le 26 juin 2018, sous le n° 18NC01831, la SAS SG Cinéma Le Florival, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Commission nationale d'aménagement cinématographique sur le recours formé devant elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017 autorisant la SAS Cinéville Nord à exploiter un complexe cinématographique de 6 salles et 1 263 places à Wittenheim ;

2°) de mettre à la charge de la SAS Cinéville Nord le versement d'une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie d'un intérêt à agir ;

- la commission départementale a retenu une zone d'influence cinématographique erronée ;

- le projet ne respecte pas les dispositions de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée au regard des différents critères qu'elles énoncent ;

- le projet aura des effets négatifs sur la diversité de l'offre cinématographique en raison de la programmation généraliste qui y est prévue, ce qui entraînera un suréquipement défavorable à cette diversité alors que, combiné à l'ouverture du complexe cinématographique " la Croisière " à Cernay, il entraînera une perte de fréquentation et d'attractivité des petits cinémas qui, quant à eux, travaillent en réseau et la favorisent ;

- ce projet aura, de même, des effets négatifs sur l'aménagement culturel, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme dès lors qu'il n'est pas tenu compte de l'ouverture concomitante d'un autre complexe ni de l'impact important qu'il aura sur les autres cinémas existants, que son implantation en périphérie du centre-ville facilitera l'étalement urbain et l'allongement des distances de déplacements ainsi que l'usage de la voiture et que le choix des matériaux entraînera un entretien important.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2019, la SAS Cinéville Nord, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS SG Cinéma Le Florival le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête ne comporte aucun moyen de légalité externe et la société requérante n'est plus recevable à invoquer de tels moyens, le délai de recours étant expiré ;

- la commission départementale n'a pas commis d'erreur dans la délimitation de la zone d'influence cinématographique à prendre en compte ;

- le projet ne compromet pas la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi et participera à l'amélioration de l'offre dans la zone considérée ;

- il ne risque pas de porter atteinte aux autres établissements cinématographiques, dont le modèle économique intègre des soutiens publics ;

- il participera à la requalification d'une friche industrielle et ne favorisera pas l'étalement urbain, ni l'utilisation de la voiture ;

- le choix des matériaux permet une insertion du site dans son environnement.

Par un mémoire en défense, enregistré 10 octobre 2019, la Commission nationale d'aménagement cinématographique, représentée par Me E..., conclut, à titre principal, à ce que la cour prononce un non-lieu à statuer sur la requête et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'autorisation implicite née du silence gardé par la Commission nationale d'aménagement cinématographique sur le recours formé devant elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin.

Elle soutient que :

- le silence gardé pendant plus de quatre mois sur le recours de la SAS SG Cinéma Le Florival ne valait pas autorisation tacite, de sorte que la requête était, dès l'origine, sans objet ;

- à supposer même que son silence ait fait naître une autorisation tacite, celle-ci a été retirée de l'ordonnancement juridique du fait de sa décision explicite du 11 juin 2018, de sorte que la requête est devenue sans objet ;

- au demeurant, l'avis du ministre de la culture n'ayant pas été présenté à la Commission nationale d'aménagement cinématographique, une telle autorisation tacite était illégale ;

- le projet de la SAS Cinéville Nord ne répondait pas davantage aux exigences de l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2020, la SAS Cinéville Nord, représentée par Me D..., conclut au rejet des conclusions de la Commission nationale d'aménagement cinématographique.

Elle soutient que :

- la décision implicite du 26 avril 2018 s'analyse en une nouvelle autorisation, se substituant à la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin ;

- son projet avait des effets positifs pour la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone ainsi que pour l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme.

II- Par une requête enregistrée le 7 août 2018, sous le n° 18NC02215, et deux mémoires enregistrés le 23 décembre 2019 et le 28 février 2020, la SAS Cinéville Nord, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler la décision du 11 juin 2018 par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet des recours formés devant elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017 qui a autorisé la création, à Wittenheim, d'un établissement de spectacles cinématographiques de 6 salles et 1 263 places à l'enseigne "Cinéville " et, d'autre part, admis certains des recours présentés devant elle et rejeté la demande d'autorisation.

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Commission nationale d'aménagement cinématographique n'a pas respecté la procédure contradictoire préalable au retrait de son autorisation implicite intervenue le 26 avril 2018 ;

- elle n'a pas procédé à un examen particulier des circonstances de l'espèce ;

- la décision attaquée est entachée d'insuffisance de motivation ;

- le projet participera à la diversité de l'offre cinématographique proposée dans la zone d'aménagement cinématographique dès lors que le niveau de fréquentation de l'agglomération mulhousienne est particulièrement bas, que ce projet améliorera l'exposition des films ainsi que les services apportés aux spectateurs et qu'il rééquilibrera l'offre cinématographique au sein de l'agglomération ;

- les travaux de modernisation sont surestimés et il n'est pas établi que le projet aura des incidences sur l'accès aux films des salles de la zone ;

- le projet participera également à l'aménagement culturel du territoire, à la protection de l'environnement et à la qualité de l'urbanisme eu égard à la qualité satisfaisante de la desserte routière et l'accessibilité du site par des modes de transports alternatifs à la voiture ;

- la Commission nationale d'aménagement cinématographique a commis une erreur de droit en refusant le projet au motif qu'il favoriserait l'usage de la voiture ;

- c'est à tort qu'elle a estimé que le projet allait créer un déséquilibre au sein de l'agglomération mulhousienne et porter atteinte à son animation culturelle ;

- la localisation du projet est parfaitement conforme aux orientations prévues par les documents d'urbanisme applicables en matière d'aménagement du territoire.

Par deux mémoires en défense, enregistré le 8 octobre 2019 et le 17 février 2020, la SAS Kinépolis Mulhouse, représentée par Me F... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS SG Cinéma Le Florival le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Kinépolis Mulhouse fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2019, la Commission nationale d'aménagement cinématographique, représentée par Me E... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SAS SG Cinéma Le Florival le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La Commission nationale d'aménagement cinématographique fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une communication du 18 octobre 2019, le médiateur du cinéma a transmis à la cour le recours formé par lui devant le Commission nationale d'aménagement cinématographique le 1er juin 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- les observations de Me D..., représentant la SAS Cinéville Nord ;

- les observations de Me C..., représentant la SAS Kinépolis Mulhouse.

La SAS Cinéville Nord a présenté une note en délibéré enregistrée le 5 mars 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 20 novembre 2017, la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin a accordé à la SAS Cinéville Nord l'autorisation préalable requise en vue de la création, au sein du village Décathlon à Wittenheim, d'un établissement cinématographique comportant 6 salles et 1 263 places. La SAS SG Cinéma Le Florival, a, comme le médiateur du cinéma, la SAS Kinépolis Mulhouse et la société Ciné Croisière, formé un recours contre cette décision auprès de la Commission nationale d'aménagement cinématographique. Le silence gardé par la Commission nationale pendant plus de quatre mois sur ce recours, reçu le 26 décembre 2017, a fait naître, à son égard, une décision de rejet le 26 avril 2018 et il en a été de même pour les autres recours. Par décision du 11 juin 2018, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a rapporté ces décisions implicites et, statuant sur les recours dont elle était saisie, a rejeté la demande d'autorisation de la SAS Cinéville Nord. Par une requête n° 18NC01831, la SAS SG Cinéma Le Florival demande l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique du 26 avril 2018 qui a implicitement rejeté son recours. Par une requête n° 18NC002215, la SAS Cinéville Nord demande, quant à elle, l'annulation de la décision du 11 juin 2018.

2. Les requêtes n° 18NC01831 et 18NC02215 étant relatives à la même demande d'autorisation d'exploitation, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la légalité de la décision du 11 juin 2018 :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. En premier lieu, la décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique du 11 juin 2018 expose de manière détaillée les raisons pour lesquelles le projet de création d'un établissement cinématographique porté par la SAS Cinéville Nord ne répondait pas, selon elle, aux exigences de diversité de l'offre cinématographique et d'aménagement culturel du territoire posées par l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée. Elle mentionne ainsi les considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fonde. La circonstance qu'elle reprenne, en les actualisant, des éléments de la décision prise en 2016 à l'égard de la première demande de la société n'est pas de nature à caractériser une insuffisance de motivation, ni à établir que la commission n'aurait pas procédé à un examen particulier de la nouvelle demande de la pétitionnaire et des points sur lesquels elle se distinguait de la demande initiale.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 211-2 de ce code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ".

5. La décision par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique rejette implicitement le recours d'un tiers contre une décision d'autorisation prise par une commission départementale a la nature d'une nouvelle autorisation créatrice de droits délivrée au pétitionnaire, qui se substitue à l'autorisation initiale. Son retrait est dès lors subordonné au respect de la procédure contradictoire prévue par les dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'avant la réunion de la Commission nationale d'aménagement cinématographique du 11 juin 2018, la SAS Cinéville Nord avait été rendue destinataire des recours formés contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017 en particulier par le médiateur du cinéma, la SAS SG Cinéma Le Florival, la SAS Kinepolis Mulhouse et la société Ciné Croisière. La société requérante n'allègue pas ne pas avoir été informée de la réunion du 11 juin 2018, au cours de laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique devait examiner ces recours et statuer définitivement sur sa demande d'autorisation. Au demeurant, elle a présenté à la Commission nationale ses observations écrites par un mémoire du 14 mars 2018 et ses observations orales, par la voie de M. B..., son directeur, lors de la réunion de la Commission du 11 juin 2018 ainsi qu'il ressort du procès-verbal de cette réunion. Par suite, elle a été mise à même, conformément aux dispositions précitées, de présenter ses observations écrites et orales avant que la Commission nationale d'aménagement cinématographique ne procède, par sa décision du 11 juin 2018, au retrait des décisions rejetant implicitement les recours dont elle était saisie.

7. En outre, ni les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration, ni aucun autre texte ou principe n'imposait que la SAS Cinéville Nord soit mise en mesure de répliquer aux observations écrites ou orales formulées par les auteurs des recours formés contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Aux termes de l'article L. 212-6 du code du cinéma et de l'image animée : " Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux exigences de diversité de l'offre cinématographique, d'aménagement culturel du territoire, de protection de l'environnement et de qualité de l'urbanisme, en tenant compte de la nature spécifique des oeuvres cinématographiques. Elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts. ". Aux termes de l'article L. 212-7 du même code : " Sont soumis à autorisation les projets ayant pour objet : / 1° La création d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et plus de 300 places et résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant (...) ". Aux termes de l'article L. 212-9 de ce code : " Dans le cadre des principes définis à l'article L. 212-6, la commission départementale d'aménagement cinématographique se prononce sur les deux critères suivants : / 1° L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) Le projet de programmation envisagé pour l'établissement de spectacles cinématographiques objet de la demande d'autorisation et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits en application des articles L. 212-19 et L. 212-20 ; / b) La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ; / c) La situation de l'accès des oeuvres cinématographiques aux salles et des salles aux oeuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ; / 2° L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants : / a) L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ; / b) La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ; / c) La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ; / d) L'insertion du projet dans son environnement ; / e) La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme. (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement cinématographique ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet d'équipement cinématographique contesté compromet la réalisation des objectifs et principes énoncés par la loi.

10. Il ressort des pièces du dossier que la zone d'aménagement cinématographique dans laquelle s'inscrit le projet de la SAS Cinéville Nord comporte deux multiplexes de, respectivement quatorze et huit salles, implantés à Mulhouse, quatre complexes cinématographiques disposant de deux salles ou plus et six établissements d'une seule salle, situés sur le territoire de diverses communes de l'agglomération mulhousienne. Les commissions d'aménagement cinématographique ont autorisé, en 2016 et 2017, l'agrandissement de trois à cinq salles, du cinéma Le Florival, à Guebwiller, et la création du complexe La Croisière, à Cernay, disposant de sept salles. Les établissements présents dans la zone d'aménagement cinématographique ont par ailleurs fait l'objet de travaux de modernisation, en particulier Le Florival à Guebwiller et le Relais culturel régional à Thann. Il n'est pas contesté que le projet de la SAS Cinéville Nord repose principalement sur une programmation " grand public " et familiale, seuls 10 % de cette programmation devant être consacrés aux films " art et essai ". En outre, si la plupart des établissements cinématographiques de la zone d'aménagement cinématographique proposent une programmation variée, incluant une part importante de films " art et essai ", cette variété est rendue possible par l'importance des entrées liées à la programmation généraliste et aux films porteurs, qui concourt à l'attractivité des différentes salles présentes sur le territoire de la zone.

11. Eu égard au contexte décrit ci-dessus, l'implantation dans le nord de l'agglomération mulhousienne d'un nouveau complexe cinématographique de six salles et de 1 263 places, est de nature à entraîner un partage des films généralistes accru par rapport à celui qu'induisent tout à la fois la présence de deux multiplexes, l'extension d'un établissement à Guebwiller et la création d'un autre complexe à Cernay. Alors que des tensions sur le marché de l'exploitation cinématographique sont perceptibles au sein de la zone, elle est donc de nature à impacter l'équilibre économique de l'ensemble des établissements dont une majorité, de taille modeste, sont des établissements de proximité, implantés dans les centres-villes de diverses communes du Haut-Rhin, et qui verront réduire davantage leur accès aux films porteurs, ce qui affectera également la diversité de l'offre cinématographique qu'ils proposent sur l'ensemble du territoire concerné.

12. Si la société requérante, se prévalant de la faiblesse de l'indice de fréquentation cinématographique observé dans l'agglomération mulhousienne qu'elle impute à l'insuffisante qualité des équipements notamment ceux des multiplexes et au manque d'attractivité ainsi qu'à la localisation géographique des établissements existants, dans une période où les spectateurs privilégient la proximité, soutient que l'implantation de son projet dans une zone commerciale à proximité d'une zone peuplée du nord de l'agglomération, permettrait dès lors d'assurer une meilleure exposition et une meilleure attractivité des films "tous publics" en accroissant le nombre d'entrées annuelles de la zone, dont les deux tiers correspondraient à une création nette, cet effet positif, à le supposer avéré, ne suffit pas, contrairement à ce qu'elle allègue, à exclure le risque de déséquilibre économique et d'atteinte à la diversité cinématographique susceptible d'en résulter, alors d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que le nombre d'entrées réalisées par les établissements existants, dans un contexte concurrentiel appelé à s'accroître, en sera affecté et d'autre part que les engagements souscrits avec certains petits établissements, tel le cinéma Gérard Philippe à Wittenheim, ne peuvent suffire, eu égard à leur modestie, à limiter l'impact sur la diversité de l'offre. Par suite, la Commission nationale d'aménagement cinématographique n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 212-6 et L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée en estimant que le projet en litige ne répondait pas aux exigences de maintien de la diversité de l'offre cinématographique.

13. Il ressort en outre des pièces du dossier que si le site du Village Décathlon, sur lequel la SAS Cinéville Nord projette l'implantation de son établissement cinématographique dispose d'un accès relativement sécurisé à bicyclette et par voie piétonne, cet accès n'est pas des plus commodes. En outre, sa desserte par les transports en commun est compliquée par la distance relativement importante entre le site et les arrêts de bus ainsi que par la faible fréquence des rotations, surtout en soirée. Cette configuration ne permet donc pas de regarder le projet comme encourageant l'accès à l'établissement par des moyens de transports alternatifs à la voiture. Dès lors, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a pu légalement estimer que cet aspect du projet ne répondait pas suffisamment aux exigences de qualité environnementale telles qu'énoncées par les dispositions précitées de l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée.

14. Il résulte enfin de l'instruction que, quel que soit le bien-fondé du troisième motif retenu par la Commission nationale d'aménagement cinématographique pour refuser l'autorisation sollicitée, celle-ci aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls motifs évoqués aux points précédents. La SAS Cinéville Nord n'est par suite pas fondée à demander l'annulation de la décision du 11 juin 2018 par laquelle la Commission nationale d'aménagement cinématographique a retiré les décisions implicites de rejet des recours présentés devant elle et a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploitation en litige.

Sur la décision implicite du 26 avril 2018 :

15. Le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Il en va toutefois différemment lorsque, faisant usage de la faculté dont il dispose dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il joint les requêtes pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations. A ce titre, lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.

16. Par sa décision du 11 juin 2018, la Commission nationale d'aménagement cinématographique a, notamment, rapporté la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de quatre mois sur le recours formé par la SAS SG Cinéma Le Florival contre la décision de la commission départementale du Haut-Rhin du 20 novembre 2017. Il ne ressort d'aucune pièce versée au dossier que cette décision du 11 juin 2018 aurait été portée à la connaissance de la SAS SG Cinéma Le Florival antérieurement à la date d'introduction de sa requête. Il suit de là que les conclusions de la requête de la SAS SG Cinéma Le Florival tendant à l'annulation de cette décision implicite ont perdu leur objet en cours d'instance et qu'il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

En ce qui concerne l'instance 18NC02215 :

18. Il y a lieu, en application des dispositions précitées, de mettre à la charge de la SAS Cinéville Nord, partie perdante, le versement à l'Etat (Centre national du cinéma et de l'image animée) d'une part, et à la SAS Kinépolis, d'autre part, d'une somme de 1 500 euros chacun. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la SAS Cinéville Nord.

En ce qui concerne l'instance n° 18NC01831 :

19. Les dispositions précitées font obstacle à ce soit mis à la charge de la SAS Cinéville Nord, qui n'est pas la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par la SAS SG Cinéma Le Florival et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS SG Cinéma Le Florival, la somme demandée au même titre par la SAS Cinéville Nord.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NC01831 tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Commission nationale d'aménagement cinématographique sur le recours formé devant elle contre la décision de la commission départementale d'aménagement cinématographique du Haut-Rhin du 20 novembre 2017 relative à la SAS Cinéville Nord.

Article 2 : La requête n° 18 NC02215 de la SAS Cinéville Nord est rejetée.

Article 3 : La SAS Cinéville Nord versera, d'une part à la société Kinepolis, d'autre part, à l'Etat (Centre national du cinéma et de l'image animée) la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS SG Cinéma Le Florival, à la SAS Cinéville Nord, à la Commission nationale d'aménagement cinématographique et à la société Kinepolis.

Copie en sera adressée pour information au ministre de la culture, à la société Ciné Croisière et au médiateur du cinéma.

2

N° 18NC01831, 18NC02215


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC01831-18NC02215
Date de la décision : 08/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jean-François GOUJON-FISCHER
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : STE ADDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-04-08;18nc01831.18nc02215 ?
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