La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/03/2020 | FRANCE | N°18NC00261

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 03 mars 2020, 18NC00261


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... G..., M. C... G... et Mme A... G... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier d'Altkirch à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. E... G..., décédé, la somme de 80 000 euros, à verser à Mme H... G..., son épouse, la somme de 47 263,25 euros, à M. C... G..., son fils, la somme de 20 000 euros et à Mme A... G..., sa petite-fille, la somme de 10 000 euros.

Par un jugement n° 1600898 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de St

rasbourg a rejeté leur demande et a partagé par moitié, entre eux et le centre ho...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... G..., M. C... G... et Mme A... G... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le centre hospitalier d'Altkirch à leur verser, en leur qualité d'ayants droit de M. E... G..., décédé, la somme de 80 000 euros, à verser à Mme H... G..., son épouse, la somme de 47 263,25 euros, à M. C... G..., son fils, la somme de 20 000 euros et à Mme A... G..., sa petite-fille, la somme de 10 000 euros.

Par un jugement n° 1600898 du 5 décembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande et a partagé par moitié, entre eux et le centre hospitalier d'Altkirch, les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme totale de 3 145,50 euros par une ordonnance du 23 juin 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 31 octobre 2018, M. C... G... et Mme A... G..., représentés par Me B..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600898 du tribunal administratif de Strasbourg du 5 décembre 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Altkirch à verser à M. C... G... la somme de 147 263,25 euros en réparation des préjudices subis par M. E... G... et Mme H... G..., dont il est l'ayant droit, et de ses propres préjudices et à Mme A... G... la somme de 10 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de condamner le centre hospitalier d'Altkirch aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les consorts G... soutiennent que :

- M. E... G... est décédé d'un surdosage morphinique imputable au centre hospitalier d'Altkirch ;

- aucun élément du dossier médical ne permet de démontrer que, dès le début de son hospitalisation, une issue fatale était proche, justifiant l'arrêt du traitement du cancer du patient et la mise en place de soins palliatifs ;

- eu égard à l'impossibilité pour M. G... d'exprimer sa volonté à la date de l'arrêt du traitement et de la mise en place de soins palliatifs, le centre hospitalier d'Altkirch aurait dû mettre en oeuvre la procédure collégiale prévue aux articles L. 1111-4 et L. 1111-13 du code de la santé publique ;

- compte tenu des fautes commises par le centre hospitalier lors de la prise en charge de M. E... G..., M. C... G... et Mme A... G... sont fondés à réclamer les sommes respectives de 20 000 et de 10 000 euros au titre du préjudice moral et du préjudice d'accompagnement ;

- en sa qualité d'ayant droit de M. E... G... et de Mme H... G..., tous deux décédés, M. C... G... est également fondé à réclamer les sommes de 80 000 euros et de 47 263,25 euros au titre des préjudices subis respectivement par son père et par sa mère.

Par un mémoire, enregistré le 6 juin 2018, la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières indique qu'elle n'a pas subi de préjudice financier dans cette affaire et qu'elle n'a donc aucune créance à faire valoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2018, le centre hospitalier d'Altkirch, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Né le 21 février 1927, M. E... G... était soigné depuis onze ans pour un cancer de la prostate. Son état de santé s'étant fortement aggravé en décembre 2013, il a été admis, le 8 janvier 2014, au pôle de gériatrie du centre hospitalier " Saint-Morand " d'Altkirch, où il est décédé le 26 janvier 2014. A la demande de son épouse, Mme H... G..., de son fils, M. C... G..., et de sa petite-fille, Mme A... G..., le président du tribunal administratif de Strasbourg, par une ordonnance du 22 décembre 2014, a désigné un expert, qui a remis son rapport le 3 avril 2015. Estimant que le décès de M. G... serait lié à plusieurs fautes commises par le centre hospitalier d'Altkirch lors de sa prise en charge médicale, les intéressés ont formé, le 21 décembre 2015, une demande préalable d'indemnisation, qui s'est heurtée au silence de l'administration. Par une requête, enregistrée le 11 février 2016, les consorts G... ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Altkirch à leur verser la somme de 80 000 euros en leur qualité d'ayants droit de M. E... G..., ainsi que les sommes de 47 263,25 euros au bénéfice de Mme H... G..., de 20 000 euros au bénéfice de M. C... G... et de 10 000 euros au bénéfice de Mme A... G..., en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de leur époux, père et grand-père. Mme H... G... étant décédée le 3 juin 2016, M. C... G... et Mme A... G... relèvent appel du jugement n° 1600898 du 5 décembre 2017 qui rejette leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. / Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. / (...) / Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. / Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort. Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. ". Aux termes de l'article L. 1110-9 du même code : " Toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. ". Aux termes de l'article L. 1110-10 du même code : " Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. / (...) / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1111-6 du même code : " Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. / Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions. ". Aux termes de l'article L. 1111-13 du même code : " Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. / Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10 ".

4. Il résulte de ces dispositions, plus particulièrement des articles L. 1110-5 et l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. Lorsque ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter un traitement au motif que sa poursuite traduirait une obstination déraisonnable ne peut, s'agissant d'une mesure susceptible de mettre sa vie en danger, être prise par le médecin que dans le respect des conditions posées par la loi, qui résultent de l'ensemble des dispositions précédemment citées et notamment de celles qui organisent la procédure collégiale et prévoient des consultations de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche. Si le médecin décide de prendre une telle décision en fonction de son appréciation de la situation, il lui appartient de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, qu'il s'agisse notamment du rapport du 3 avril 2015 concernant l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif ou des rapports des 27 août 2015 et 27 décembre 2016 concernant les expertises diligentées dans le cadre de la procédure pénale, initiée par le dépôt de plainte de M. C... G... du 15 juillet 2014 pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger, que M. E... G... souffrait depuis onze ans d'un cancer de la prostate, lequel était traité par hormonothérapie. Son état général s'étant fortement altéré au mois de décembre 2013, il a été admis, le 8 janvier 2014, au service gériatrique du centre hospitalier d'Altkirch. Une scintigraphie osseuse effectuée la veille de l'hospitalisation a mis en évidence la présence de métastases résistantes au traitement. S'il est vrai que M. G... a été examiné, le 16 janvier 2014 au centre hospitalier de Mulhouse par son oncologue, lequel a envisagé la possibilité d'une hormonothérapie de rattrapage, il est constant que, dès le 17 janvier 2014, le patient a commencé à ressentir des douleurs qualifiées d'intenses, qui ont fait l'objet d'une prise en charge antalgique progressive puis, en l'absence d'amélioration, d'un traitement par morphine. Dans ces conditions, compte tenu de la survenance d'une nouvelle dégradation de l'état général du patient, la mise en oeuvre du traitement préconisé par l'oncologue s'est avérée impossible dans l'immédiat et ce dernier, après avoir pris connaissance de la situation clinique, a confirmé, le 21 janvier 2014, la nécessité de recourir à des soins palliatifs. Toutefois, à supposer que le traitement morphinique administré à M. G... au titre de ces soins n'ait pas été indiqué dans des circonstances habituelles, compte tenu de l'ensemble de ses pathologies, et qu'il ait contribué à la survenance de son décès le 26 janvier 2014, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures ainsi prises par le centre hospitalier d'Altkirch n'étaient pas adaptées, eu égard à l'état général du patient et à la nécessité de soulager ses douleurs et de sauvegarder sa dignité. Par suite, aucune faute ne peut être reprochée à l'établissement sur ce point.

6. En second lieu, si le rapport d'expertise du 27 août 2015 indique, sans beaucoup de précision, que M. G... était en mesure d'exprimer sa volonté jusqu'au moment de l'introduction du traitement morphinique, " à savoir autour du 17 janvier 2014 ", il résulte de l'instruction, spécialement du rapport de l'équipe mobile de soins palliatifs du 23 janvier 2014, que le patient, bien que somnolent, est demeuré conscient et cohérent jusqu'à cette dernière date, soit trois jours seulement avant son décès. Il a d'ailleurs indiqué au médecin et à l'infirmière venus lui rendre visite qu'il ne voulait plus de traitement anticancéreux, qu'il souhaitait être tranquille et rentrer chez lui. Ainsi, M. G... ne pouvait être regardé, avant le 23 janvier 2014, comme hors d'état d'exprimer sa volonté et de prendre lui-même les décisions relatives à sa santé. Dans ces conditions, à la date du 21 janvier 2014, le centre hospitalier d'Altkirch n'était pas tenu d'informer les membres de sa famille et, plus particulièrement, son épouse, désignée par lui comme personne de confiance en application de l'article L. 1111-6 du code de la santé publique, ni de les solliciter sur la conduite thérapeutique à suivre, ni encore de mettre en place la procédure collégiale prévue par les articles L. 1111-4 et L. 1111-13 du même code, avant de renoncer à mettre en oeuvre le traitement anticancéreux préconisé par l'oncologue du patient et de décider de recourir aux soins palliatifs. Par suite, l'établissement n'a pas commis de faute à cet égard.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par les consorts G... ne peuvent qu'être rejetées. Par suite, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative doivent elles aussi être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête des consorts G... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... G..., à Mme A... G..., au centre hospitalier " Saint-Morand " d'Altkirch et à la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières.

N° 18NC00261 2


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award