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27/02/2020 | FRANCE | N°18NC02793

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 27 février 2020, 18NC02793


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Artistes Peignant de la Bouche et du Pied (APBP) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la restitution des cotisations de retenue à la source dont elle s'est acquittée au titre des mois de janvier 2013, mai 2013 et novembre 2014.

Par un jugement n° 1502262 du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2018, la SARL APBP,

représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 31 juillet 2018 ;
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Artistes Peignant de la Bouche et du Pied (APBP) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la restitution des cotisations de retenue à la source dont elle s'est acquittée au titre des mois de janvier 2013, mai 2013 et novembre 2014.

Par un jugement n° 1502262 du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2018, la SARL APBP, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 31 juillet 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la retenue à la source instituée par l'article 182 B du code général des impôts est contraire au principe de liberté des prestations de service garanti par les articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce que les sociétés non-résidentes sont soumises à une imposition plus élevée de leurs revenus de source française que celle à laquelle sont assujetties les sociétés résidentes ; cette différence de traitement constitue une entrave à la libre circulation des services ;

- cette imposition est également contraire au principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- en effet, la différence de traitement résulte du caractère plus large de l'assiette de la retenue à la source par rapport à la détermination du bénéfice imposable tel que retenu pour les sociétés résidentes en l'absence de possibilité de déduire les charges et les déficits reportables et par un taux d'imposition supérieur en cas de contrôle fiscal qui est porté à 50 % au lieu de 33,33 %

- ces atteintes aux règles européennes ne sont justifiées par aucun objectif d'intérêt général.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est tardive ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 janvier 2019, le président de la 2ème chambre de la cour a rejeté l'ensemble des conclusions de la SARL APBP relatives à la contestation du refus de transmission par le tribunal administratif de Strasbourg de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée.

La clôture de l'instruction a été fixée au 13 avril 2019.

Un mémoire présenté pour la SARL APBP a été enregistré le 25 janvier 2020, après la clôture de l'instruction.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive n° 88/361 du 24 juin 1988 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... ;

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public ;

- et les observations de Me B..., représentant la société APBP.

Une note en délibéré, présentée par Me C..., pour la SARL APBP a été enregistrée le 7 février 2020.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (société APBP) exerce une activité de reproduction d'oeuvres d'artistes handicapés peignant de la bouche ou du pied, regroupés au sein de l'association "Vereinigung der Mund und Fussmalenden Künstler in aller Welt " (VDMFK), installée au Liechtenstein, à laquelle ils cèdent leurs droits d'auteur en contrepartie d'honoraires mensuels. Aux termes du contrat qu'elle a conclu le 22 mars 2000 avec l'association VDMFK, la société APBP, qui édite et diffuse en France les oeuvres concernées, acquiert, chaque année auprès de cette association, les droits de reproduction d'une partie de ces oeuvres qu'elle utilise pour l'illustration de cartes de voeux et de calendriers. La société APBP s'est acquittée au titre des mois de janvier 2013, mai 2013 et novembre 2014 de la retenue à la source prévue par les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts sur le montant des sommes qu'elle a versées à l'association VDMFK en contrepartie de ces droits de reproduction. La société APBP a réclamé la restitution des sommes dont elle s'est ainsi acquittée au directeur départemental des finances publiques du Bas-Rhin lequel a soumis d'office cette réclamation au tribunal administratif de Strasbourg. Par le jugement attaqué du 31 juillet 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande. La SARL APBP, qui en a reçu notification le 13 août 2018, relève régulièrement appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I.- Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) ; / b. Les produits définis à l'article 92 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur (...) ainsi que tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés (...) ; / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (...) ". Aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. /2. Ces bénéfices comprennent notamment :/ (...) 2° Les produits de droits d'auteurs perçus par les écrivains ou compositeurs et par leurs héritiers ou légataires ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires des articles 6 et 10 de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d'imposition des Français de l'étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France, dont elles sont issues, d'une part, que les produits mentionnés au b) au titre des droits d'auteur sont l'ensemble de ceux que les auteurs d'oeuvres de l'esprit ou leurs ayants droit tirent des droits patrimoniaux attachés à ces oeuvres et, d'autre part, que ne sont au nombre des sommes mentionnées au c) que celles qui ne relèvent pas des autres catégories de revenus mentionnés à cet article. Par suite, c'est à bon droit que la société requérante a déclaré et soumis les sommes versées à la société VDMK à la retenue à la source exigible sur le fondement du b) de l'article 182 B du code général des impôts.

3. Si, à l'appui de son recours, la société requérante soutient que les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts dont il a été fait application sont incompatibles avec le principe de liberté de circulation des capitaux, découlant de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il résulte du point précédent que les sommes qu'elle a versées à la société VDMFK constituent la rémunération de droits d'auteurs et non pas des opérations financières tendant au placement ou à l'investissement des sommes litigieuses. Par suite, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

4. Aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) ". L'article 57 du même traité précise : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / Les services comprennent notamment : / a) des activités de caractère industriel, / b) des activités de caractère commercial, / c) des activités artisanales, / d) les activités des professions libérales. / Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants ".

5. Ces stipulations, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, s'opposent à une législation nationale qui exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident, déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels.

6. La société requérante, à qui la charge de la preuve du mal-fondé des impositions incombe pour avoir été imposée selon ses propres déclarations, n'a porté aucune charge sur ses imprimés relatifs à la retenue à la source. Elle n'en a pas invoqué au stade de sa réclamation ainsi que devant le tribunal administratif. Elle ne fait état devant la cour, avant la clôture de l'instruction, d'aucune dépense correspondant à des frais professionnels que la société VDMK aurait exposés à l'occasion de ses activités en France et qu'elle lui aurait communiqués afin qu'elle les déduise de la base d'imposition à la retenue à la source, alors pourtant qu'elle avait revendiqué, sur la base de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, tout au long de la procédure, l'imposition des sommes litigieuses sur une base nette. Elle ne fait pas état non plus de déficits antérieurs que cette même société VDMK aurait supportés à raison de cette activité en France. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que l'administration, en l'imposant sur les bases qu'elle avait déclarées, aurait méconnu la portée des stipulations ci-dessus reproduites du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

7. Si la société requérante soutient que le taux de retenue à la source en cas de contrôle fiscal est supérieur au taux de l'impôt sur les sociétés qu'une société résidente en France aurait supporté sur les mêmes revenus, il est constant que les impositions litigieuses n'ont pas été établies à la suite d'un contrôle fiscal mais ont été acquittées conformément aux déclarations déposées par elle au taux normal de 33,33 %. Par suite, la société APBP ne saurait utilement invoquer une entrave au principe de libre prestation de service à raison du taux d'imposition appliqué aux rémunérations versées à la société VDMK.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société APBP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la restitution des retenues à la source litigieuses dont elle s'est acquittée. Par suite, sa requête d'appel doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL APBP est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL APBP et au ministre de l'action et des comptes publics.

N° 18NC02793 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02793
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur le revenu. Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ALERION

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-02-27;18nc02793 ?
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