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16/01/2020 | FRANCE | N°18NC02615

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 16 janvier 2020, 18NC02615


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Forge France a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er octobre 2013 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours gracieux formé par M. E..., a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 1er février 2013 autorisant le licenciement de M. E... et a refusé d'autoriser ce licenciement.

Par un jugement n° 1302160 du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a r

ejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15NC0338 du 12 mai 2016, la cour administrative ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Forge France a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er octobre 2013 par laquelle le ministre chargé du travail a retiré sa décision implicite rejetant le recours gracieux formé par M. E..., a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 1er février 2013 autorisant le licenciement de M. E... et a refusé d'autoriser ce licenciement.

Par un jugement n° 1302160 du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15NC0338 du 12 mai 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement et la décision du ministre chargé du travail du 1er octobre 2013.

Par une décision n° 4015510 du 26 septembre 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 février 2015, le 9 mars 2016, le 18 février 2019 et le 18 mars 2019, la société Forge France, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 31 décembre 2014 ;

2°) d'annuler la décision du ministre chargé du travail du 1er octobre 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la contradiction de motifs affectant la motivation ;

- la décision du 1er octobre 2013 a été signée par une autorité incompétente dès lors que la délégation de signature accordée à M. B... ne mentionne pas les matières pour lesquelles elle est accordée ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation en tant que la demande d'autorisation de licenciement indiquait précisément que le licenciement était envisagé pour motif économique alors qu'aucun texte ni aucun principe n'impose d'indiquer expressément la nature de la cause économique du licenciement ;

- elle est entachée d'erreur de droit en tant qu'elle indique que la demande d'autorisation de licenciement n'indique pas la cause économique et se contente de renvoyer à des pièces jointes ;

- le ministre ne pouvait pas retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de M. E... puisqu'elle n'était pas illégale ;

- seul l'original de la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. E... devait être signé ;

- le directeur général de la société était compétent pour présenter la demande d'autorisation, tant en sa qualité propre qu'en vertu d'un pouvoir spécial ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de reclassement est inopérant.

Par des mémoires, enregistrés le 1er juin 2015 et le 8 mars 2019, M. A... E..., représenté par la SCP Dupuis Lacourt Migne Estieux, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Forge France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés ;

- la décision de l'inspecteur du travail n'était pas signée contrairement à ce que prévoit la circulaire du 30 juillet 2012 ;

- la réalité du motif économique allégué n'est pas établie ;

- l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement ;

- la demande d'autorisation de licenciement a été présentée par le directeur général de la société alors que seul son président aurait été compétent pour ce faire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dietenhoeffer, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- les observations de Me D..., représentant la société Forge France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Forge France, qui exerce son activité de fabrication d'engins de levage répartie sur deux sites de production dans les Ardennes, a, le 11 janvier 2013, sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. E..., membre titulaire du comité d'entreprise. Par décision du 1er février 2013, l'inspecteur du travail a autorisé la société à procéder à ce licenciement. M. E... a alors saisi d'un recours hiérarchique le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social lequel a gardé le silence pendant plus de quatre mois sur ce recours faisant naître une décision implicite de rejet. Par décision expresse du 1er octobre 2013, le ministre a retiré cette décision implicite, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 1er février 2013 et rejeté la demande d'autorisation de licencier M. E... présentée par la société Forge France. Celle-ci relève appel du jugement du 31 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre du 1er octobre 2013.

Sur la légalité de la décision du ministre du travail du 1er octobre 2013 :

2. En premier lieu, la décision contestée a été signée par M. C... B..., directeur adjoint du travail, chef du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridiques à la direction générale du travail. En application de l'article 1er de la décision du 18 janvier 2012, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française du 5 février suivant et modifiant l'article 15 de la décision du 31 août 2006 portant délégation de signature, M. C... B... a reçu délégation à l'effet de signer au nom du ministre chargé du travail tous actes et décisions dans la limite des attributions du bureau des recours, du soutien et de l'expertise juridique, à l'exception des décrets. Ainsi, la délégation de signature en cause n'est ni générale ni absolue et la société Forge France n'est pas fondée à exciper de son illégalité. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté.

3. En deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".

4. D'une part, la décision contestée vise les dispositions législatives et réglementaires applicables et indique, après avoir rappelé le contenu de la demande d'autorisation de licenciement présentée le 11 janvier 2013, qu'il n'est pas possible de déterminer la nature de la cause économique du licenciement, pour en déduire que la demande d'autorisation de licenciement est irrecevable et que l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail du 1er février 2013 justifie qu'elle soit annulée. La décision contestée comporte ainsi les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement.

5. D'autre part, la société Forge France ne peut utilement soutenir que la décision méconnaîtrait les exigences légales de motivation du seul fait qu'elle énoncerait des motifs contradictoires. A cet égard, le tribunal n'a donc, en écartant le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision sans répondre à cet argument, entaché son jugement d'aucune omission à statuer.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur ". Dans le cas où l'inspecteur a autorisé le licenciement, la décision ainsi prise, qui a créé des droits au profit de l'employeur, ne peut être annulée ou réformée par le ministre chargé du travail que pour des motifs de légalité, compte tenu des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle s'est prononcé l'inspecteur du travail.

7. Pour annuler la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. E..., le ministre chargé du travail a estimé que la demande d'autorisation de licenciement présentée par la société Forge France le 11 janvier 2013, dès lors qu'elle ne permettait pas de déterminer la nature de la cause économique, n'énonçait pas les motifs du licenciement envisagé, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2421-10 du code du travail.

8. Aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail, " la demande d'autorisation de licenciement (...) énonce les motifs du licenciement envisagé ". Lorsque l'employeur sollicite de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier un salarié protégé, il lui appartient de faire état avec précision, dans sa demande, ou le cas échéant dans un document joint à cet effet auquel renvoie sa demande, de la cause justifiant, selon lui, ce licenciement. Si le licenciement a pour cause la réorganisation de l'entreprise, il appartient à l'employeur de préciser si cette réorganisation est justifiée par des difficultés économiques, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou encore par des mutations technologiques.

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, la société Forge France avait produit une lettre renvoyant elle-même à une note qui lui était annexée concernant le projet de réorganisation. Selon les termes mêmes de la décision contestée, le ministre chargé du travail a considéré que c'est prise dans son ensemble que cette demande d'autorisation de licenciement ne précisait pas la cause justifiant le licenciement. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société Forge France, le ministre n'a, à cet égard, commis aucune erreur de droit.

10. D'autre part, alors que le courrier se bornait à indiquer que la réorganisation de la société Forge France a entraîné l'arrêt de l'activité de l'usine de Nouzonville et la suppression de vingt-trois postes, la note jointe ajoutait que l'objectif du projet réorganisation consistait en la sauvegarde de la compétitivité au-delà des difficultés économiques récurrentes. Compte tenu de l'ambiguïté de la cause économique justifiant la réorganisation de l'entreprise, d'une part, et de l'absence d'indication du lien entre la réorganisation et la demande de licenciement de M. E..., d'autre part, le ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions du code du travail en refusant l'autorisation sollicitée au motif que cette demande n'énonçait pas le motif économique du licenciement avec une précision suffisante et il n'a pas davantage entaché sa décision d'une contradiction de motifs.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Forge France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Forge France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Forge France le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Forge France est rejetée.

Article 2 : La société Forge France versera à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Forge France, à M. A... E... et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

2

N° 18NC002615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02615
Date de la décision : 16/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jérôme DIETENHOEFFER
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : PRIMAVOCAT CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2020-01-16;18nc02615 ?
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