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21/11/2019 | FRANCE | N°18NC00179

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 novembre 2019, 18NC00179


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bourgogne Hélicoptères et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à verser, d'une part, à la société Bourgogne Hélicoptères la somme de 603 299,56 euros, majorée des intérêts de droit capitalisés et, d'autre part, à Mme A... les sommes de 1 684 956,80 euros en réparation de son préjudice matériel et de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral, majorées des intérêts de droit capitalisés.

Par un jugement n° 1503781-15

06239-1601018 du 22 novembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Bourgogne Hélicoptères et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à verser, d'une part, à la société Bourgogne Hélicoptères la somme de 603 299,56 euros, majorée des intérêts de droit capitalisés et, d'autre part, à Mme A... les sommes de 1 684 956,80 euros en réparation de son préjudice matériel et de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral, majorées des intérêts de droit capitalisés.

Par un jugement n° 1503781-1506239-1601018 du 22 novembre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée sous le n°18NC00179 le 19 janvier 2018, complétée par des mémoires enregistrés les 9 février et 13 septembre 2018, la société Bourgogne Hélicoptères et Mme B... A..., représentées par Me C..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 novembre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à verser à la société Bourgogne Hélicoptères la somme de 603 299,56 euros, majorée des intérêts de droit capitalisés ;

3°) de condamner l'Etat à verser à Mme A... les sommes de 1 684 956,80 euros en réparation de son préjudice matériel et de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral, majorées des intérêts de droit capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Bourgogne Hélicoptères et Mme A... soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce que tous les mémoires présentés par les parties n'ont pas été communiqués ;

- le tribunal n'a pas suffisamment explicité les raisons qui l'ont conduit à écarter le moyen tiré de ce que la diffusion auprès d'ERDF, par le préfet de l'Aube, du courrier du 19 septembre 2013, était de nature à compromettre la liberté du commerce et de l'industrie ;

- en transmettant à ERDF le courrier de mise en garde qu'il avait adressé le 19 septembre 2013 à Mme A..., le préfet de l'Aube a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;

- le tribunal administratif aurait dû soulever d'office la responsabilité sans faute de l'administration, car les missions d'intérêt général de maintien de l'ordre public et de la sécurité des populations ont fait peser sur Mme A... et sa société une charge anormale et spéciale ;

- les agissements fautifs du préfet de l'Aube sont à l'origine directe des préjudices subis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 14 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code des transports ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Favret, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., pour la société Bourgogne Hélicoptères et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. La société Bourgogne Hélicoptères, dirigée par Mme A..., exerce une activité de surveillance aérienne, de repérage de sites, de prise de photographies et de vidéos et de traitement des cultures et forêts. Elle bénéficiait notamment, par contrats avec la société ERDF, d'une habilitation pour effectuer des missions de surveillance des lignes électriques à haute tension dans les secteurs Champagne-Ardenne, Lorraine et Alsace. Le 19 septembre 2013, le préfet de l'Aube a adressé à Mme A... un courrier dans lequel lui ont été reprochés des survols à basse altitude de plusieurs communes le 3 septembre 2013, ainsi que, le lendemain, le survol du centre pénitentiaire de Villenauxe-la-Grande qui constitue une zone interdite. Une copie de courrier ayant été transmise, pour information, à la direction de la société ERDF, cette dernière a prononcé, le 9 octobre 2013, la résiliation des trois marchés dont la société Bourgogne Hélicoptères était titulaire et l'a informée de ce qu'elle ne serait plus consultée lors du renouvellement des futurs marchés. La société Bourgogne Hélicoptères et Mme A..., agissant en son nom propre, font appel du jugement du 22 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices consécutifs à la transmission du courrier du 19 septembre 2013.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, si la société Bourgogne Hélicoptères et Mme A... soutiennent que tous les mémoires produits par les parties n'ont pas été communiqués, elles n'assortissent pas ce moyen de précisions permettant à la cour d'en vérifier le bien-fondé. En admettant que ce moyen concerne le mémoire commun de la société Bourgogne Hélicoptères et de Mme A..., qui a été présenté dans le cadre des affaires n° 1503781 et 1601018 mais n'a pas été communiqué aux défendeurs, l'examen du dossier de première instance permet d'établir qu'il a été enregistré par le greffe du tribunal administratif le 25 août 2017, soit postérieurement à la clôture de 1'instruction, fixée, pour chaque affaire, au 24 août 2017 par des ordonnances du 24 juillet 2017 et qu'au regard de son contenu, qui ne faisait état d'aucune circonstance nouvelle de fait ou de droit ou que le juge aurait dû relever d'office, la réouverture de l'instruction n'était pas obligatoire. Le tribunal administratif n'a donc commis aucune irrégularité en s'abstenant de communiquer ce mémoire avant de statuer sur les demandes des requérantes.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Le tribunal administratif de Strasbourg a précisé, au point 9 de son jugement, que le préfet de l'Aube, qui " a la charge de l'ordre public et de la sécurité des populations ", est tenu " de prendre les mesures adéquates pour faire cesser ce danger ou empêcher la réitération des comportements qui en sont à l'origine ", " dès lors qu'il est informé d'incidents susceptibles de faire courir un danger aux populations ou d'affecter la sécurité d'une zone sécurisée, telle qu'un centre pénitentiaire ". Il a également souligné, au point 10 du jugement, que les termes du courrier du 19 septembre 2013 n'imposaient pas à ERDF de prononcer la résiliation des trois marchés dont la société était titulaire. Le tribunal administratif a ainsi suffisamment explicité les raisons qui l'ont conduit à écarter le moyen tiré de ce que la transmission à ERDF de ce courrier était constitutive d'une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de l'Etat :

4. Il résulte de l'instruction que les services préfectoraux ont été destinataires de la part du centre opérationnel de gestion du groupement départemental de gendarmerie, d'un signalement corroboré par les premiers éléments recueillis auprès de la sous-préfecture de Nogent-sur-Seine et le centre de détention de Villenauxe-la-Grande, concernant plusieurs survols ni autorisés ni déclarés, par un hélicoptère, évoluant à basse altitude et réalisant des acrobaties, au-dessus des communes de Clérey, Créssantignes, Mesnil, Saint-Père, Rumilly-les-Vaudes et Vaudes, le 3 septembre 2013, et, le lendemain, au-dessus de la commune de Villenauxe-la-Grande et de son centre de détention. En l'état des informations alors en sa disposition, le directeur de cabinet du préfet de l'Aube a adressé à Mme A..., le 19 septembre 2013, un courrier lui imputant ces faits regardés comme constitutifs d'une infraction aux dispositions de l'article R. 131-1 du code de l'aviation civile et de l'article L. 6211-4 du code des transports, lui rappelant " à toutes fins utiles ", les dispositions des articles R. 151-1 du code de l'aviation civile et L. 6232-2 du code des transports, et l'invitant à l'avenir à respecter la réglementation en vigueur. Dans le même temps, la brigade des transports aériens a été saisie afin de réaliser une enquête préliminaire à l'engagement de poursuites pénales.

5. En premier lieu, alors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la réalité de survols irréguliers susceptibles de mettre en cause la sécurité de personnes et d'établissements sensibles était établie par les signalements adressés au préfet, ce dernier, qui est, aux termes de l'article 11 du décret du 29 avril 2004, en charge de l'ordre public, de la sécurité et de la protection des populations dans le département, n'a commis aucune faute en décidant, à titre conservatoire, dans l'attente des suites pénales apportées à ces incidents, d'adresser pour information et sans autre commentaire, à la société ERDF, cliente de la société Bourgogne Hélicoptères dont la gérante, Mme A..., avait déjà fait l'objet de plusieurs sanctions pour divers manquements à la réglementation aérienne, la copie du courrier adressé à cette dernière le 19 septembre 2013. A cet égard, et contrairement à ce que soutiennent les appelantes, une telle démarche ne peut être regardée comme ayant méconnu le principe de prudence alors que le contrat qui liait la société appelante à ERDF lui donnait pour mission la surveillance de lignes électriques à haute tension.

6. En deuxième lieu, en raison de la nature purement conservatoire de la mesure d'information prise par le préfet en destination d'ERDF, il n'avait pas à la faire précéder d'une procédure contradictoire ni d'une enquête préalable.

7. En troisième lieu, la circonstance que, dans le cadre des suites pénales apportées à cette affaire, le tribunal de grande instance de Troyes ait, par un jugement du 9 avril 2014, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Reims du 15 janvier 2015, relaxé Mme A... des infractions pour lesquelles elle était poursuivie à raison des faits mentionnés dans le courrier litigieux du 19 septembre 2013, ne suffit pas davantage à établir qu'en communiquant à la société ERDF à titre conservatoire, une copie de ce courrier, le directeur de cabinet du préfet de l'Aube, dont au demeurant la bonne foi a été reconnue dans le cadre des poursuites en diffamation engagées contre lui par Mme A... devant la cour d'appel de Reims, aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

8. Il résulte de ce qui précède que les appelantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a refusé de retenir la responsabilité pour faute de l'Etat à leur égard.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :

9. La responsabilité sans faute étant d'ordre public, le juge administratif est tenu, le cas échéant, de statuer d'office en se plaçant sur ce terrain de responsabilité, lorsqu'il ressort des pièces du dossier que les conditions d'application de cette responsabilité sont réunies. Toutefois, si les requérants ne se sont pas placés sur le terrain de la responsabilité sans faute, le juge administratif n'entache pas sa décision d'une insuffisance de motivation en ne se prononçant pas explicitement sur l'existence de cette responsabilité et ne commet pas d'erreur de droit en ne retenant pas l'existence de cette responsabilité, s'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge du fond que les conditions d'une telle responsabilité étaient réunies.

10. Ainsi qu'il a été indiqué, le préfet de l'Aube s'est borné à transmettre à ERDF, pour information et sans lui imposer aucune mesure particulière, le courrier adressé à Mme A... se bornant à relever des manquements aux règles aéronautiques et l'invitant à respecter la règlementation à l'avenir. Les sujétions qu'une telle mesure conservatoire seraient susceptibles d'avoir créées pour la société Bourgogne Hélicoptères ne sont toutefois, et en tout état de cause, pas susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat à son égard, dès lors que les préjudices dont elle demande réparation procèdent exclusivement de la décision d'ERDF de résilier les marchés qui la liaient à cette société.

11. Il s'en suit que les appelantes ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité sans faute de l'Etat, pour rupture d'égalité devant les charges publiques, serait engagée à leur égard ni que les premiers juges se seraient irrégulièrement abstenus d'examiner d'office ce fondement de responsabilité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bourgogne Hélicoptères et Mme A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Bourgogne Hélicoptères et Mme A... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Bourgogne Hélicoptères et de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bourgogne Hélicoptères, à Mme B... A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

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N° 18NC00179


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