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21/11/2019 | FRANCE | N°18NC00079

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 21 novembre 2019, 18NC00079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Lunéville à lui verser la somme totale de 12 626,30 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision de licenciement du 22 juillet 2016 ainsi que d'agissements de harcèlement moral ;

Par un jugement no 1603493 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 22 juillet 2016 par laquelle le centre hospitalier de Lunévil

le a licencié Mme A... et a condamné le centre hospitalier de Lunéville à lui ve...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier de Lunéville à lui verser la somme totale de 12 626,30 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision de licenciement du 22 juillet 2016 ainsi que d'agissements de harcèlement moral ;

Par un jugement no 1603493 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 22 juillet 2016 par laquelle le centre hospitalier de Lunéville a licencié Mme A... et a condamné le centre hospitalier de Lunéville à lui verser la somme de 3 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2019, le centre hospitalier de Lunéville, représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 novembre 2017 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... présentée devant le tribunal administratif de Nancy ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les conclusions aux fins d'annulation étaient irrecevables comme tardives ;

- le centre hospitalier n'a commis aucune erreur d'appréciation en infligeant la sanction de licenciement justifiée par le comportement de Mme A..., à l'encontre de laquelle ont été relevées trois altercations avec ses collègues le 27 février 2015, le 26 avril 2015 et le 24 juin 2016 ;

- Mme A... ne justifie ni le préjudice matériel ni le préjudice moral qu'elle prétend avoir subis.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 1er mars 2018 et le 6 mars 2018, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de porter à la somme de 12 626,30 euros le montant de l'indemnité due par le centre hospitalier de Lunéville au titre des préjudices matériel et moral résultant de son licenciement et des faits de harcèlement ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lunéville la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté des conclusions aux fins d'annulation est inopposable s'agissant d'une demande présentée dans le cadre d'un plein contentieux indemnitaire ;

- subsidiairement, ces conclusions n'étaient pas tardives dès lors que la décision de licenciement a été notifiée oralement et irrégulièrement le 22 juillet 2016 et que le courrier de licenciement du même jour ne lui a pas été notifié ;

- elle a bien adressé, par courrier du 3 mai 2017, une demande préalable indemnitaire au centre hospitalier qui l'a implicitement rejetée ;

- la procédure de licenciement est irrégulière ;

- les fautes alléguées, tirées de ses excès verbaux et de vols, ne sont pas établies ;

- les conditions abusives et vexatoires du licenciement lui ont causé un préjudice moral, qui s'élève à 5 000 euros ;

- elle a subi une perte de revenus qui peut être évaluée à deux mois de salaire, soit 2 626,30 euros ;

- les conditions abusives et vexatoires de son licenciement et les écrits du centre hospitalier de Lunéville en première instance sont constitutifs de faits de harcèlement moral, dont elle évalue les conséquences dommageables à 5 000 euros.

Un mémoire produit par Me D... pour le centre hospitalier de Lunéville a été enregistré le 18 octobre 2019 et n'a pas été communiqué.

La clôture de l'instruction est intervenue le 24 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dietenhoeffer, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été employée à compter du 1er octobre 2014, par le centre hospitalier de Lunéville, en qualité de préparatrice en pharmacie par un contrat à durée déterminée plusieurs fois renouvelé, en dernier lieu, le 15 juin 2016, pour la période courant du 1er juillet au 31 décembre 2016. Par une décision du 22 juillet 2016, le centre hospitalier de Lunéville a toutefois licencié Mme A... qui a saisi le tribunal administratif de Nancy lequel, par un jugement du 9 novembre 2017, a annulé la décision du 22 juillet 2016 et a condamné le centre hospitalier de Lunéville à verser à Mme A... la somme de 3 500 euros en réparation des préjudices subis. Le centre hospitalier de Lunéville, d'une part, et Mme A..., par la voie de l'appel incident, d'autre part, relèvent tous deux appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. La demande de Mme A... devant le tribunal administratif de Nancy tendait uniquement à la condamnation du centre hospitalier de Lunéville à la réparation des préjudices qu'elle soutenait avoir subis en raison de l'illégalité de la décision de licenciement, d'une part, et de faits constitutifs de harcèlement moral, d'autre part. Une telle demande relevait donc exclusivement d'un contentieux de pleine juridiction et par suite, c'est irrégulièrement que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a regardé la demande de Mme A... comme tendant également à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de licenciement du 22 juillet 2016.

3. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Lunéville est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé pour excès de pouvoir la décision du 22 juillet 2016.

4. Il y a lieu de statuer par la voie de l'effet dévolutif sur les autres conclusions de la requête.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Lunéville au titre du licenciement de Mme A... :

S'agissant de l'illégalité fautive de la décision de licenciement :

5. Aux termes de l'article 39 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels fixe l'échelle des sanctions susceptibles d'être infligées aux agents de la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une période déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée. / 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement ". Il appartient au juge administratif, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la faute.

6. Il résulte de l'instruction et notamment des courriers adressés par la cheffe de service au directeur général du centre hospitalier, que Mme A... a adopté, à trois occasions, le 27 février 2015, le 3 mai 2016 et le 4 juillet 2016, une attitude agressive et virulente à l'égard de plusieurs collègues, excédant le comportement normal d'un agent public. Contrairement à ce qu'elle soutient, ces faits sont constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.

7. Toutefois, il résulte également de l'instruction qu'à plusieurs reprises pendant la période en cause, Mme A... a été évaluée positivement par sa hiérarchie en ce qui concerne ses relations avec ses collègues. En particulier, selon le compte-rendu d'évaluation du 2 juin 2016, postérieur aux deux premiers incidents, elle a obtenu la note " très bien " au titre du critère " respect des collègues et des supérieurs " et la note " bien " s'agissant des critères relatifs à la " capacité à travailler en groupe ", au " positionnement dans la relation avec ses pairs " et au " positionnement dans la relation avec la hiérarchie ". A cet égard, la seule circonstance que cette évaluation invitait en outre Mme A... à " améliorer ses capacités de communication avec les collègues et les services de soins " ne suffit pas à établir la persistance de difficultés relationnelles avec l'ensemble des agents du service de nature à perturber gravement le bon fonctionnement du service. Dans ces conditions, la sanction de licenciement prononcée à l'encontre de l'intéressée par le centre hospitalier de Lunéville doit être regardée comme disproportionnée au regard de la gravité des fautes commises.

8. L'illégalité du licenciement de Mme A... est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Lunéville, contrairement à ce que soutient ce dernier.

S'agissant du préjudice :

9. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.

10. D'une part, aux termes de l'article 3 de son dernier contrat de travail du 15 juin 2016, Mme A... devait bénéficier, entre le 1er juillet et le 31 décembre 2016, d'un traitement calculé sur la base d'un indice majoré 327, augmenté du supplément familial de traitement et des indemnités et primes afférentes à son emploi, ce qui correspond à une rémunération mensuelle brute s'élevant à 1 386,88 euros. Il résulte également de l'instruction qu'elle a perçu des allocations de retour à l'emploi d'un montant total de 2 587,04 euros pour la période du 26 juillet au 5 novembre 2016, date à laquelle elle ne conteste pas avoir retrouvé un emploi. Compte tenu de ce qui précède, le centre hospitalier de Lunéville n'est fondé à soutenir ni que le préjudice matériel subi par Mme A... du fait de l'illégalité de son licenciement, ne présenterait pas un caractère certain ni que le tribunal administratif de Nancy en aurait fait une inexacte appréciation en l'évaluant à la somme de 1 500 euros.

11. D'autre part, il résulte de l'attestation médicale produite en appel que Mme A... a été affectée, à la suite de son licenciement, d'épisodes d'anxiété réactionnelle. Compte tenu par ailleurs de la durée de ses contrats successifs et des conditions de son licenciement, c'est par une juste appréciation de ce préjudice moral que les premiers juges ont évalué à la somme de 2 000 euros le montant de la réparation due à Mme A... à ce titre.

12. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Lunéville n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy l'a condamné à verser à Mme A... la somme de 3 500 euros en réparation des préjudices de toute nature subis en raison de l'illégalité de la décision de licenciement du 22 juillet 2016. Mme A... n'est, quant à elle, pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal administratif a limité à cette somme le montant de cette réparation.

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Lunéville au titre des faits de harcèlement moral allégués par Mme A... :

13. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

14. En l'espèce, Mme A..., qui se borne à se prévaloir des conditions de son licenciement et à produire un certificat médical du 25 janvier 2018 établissant une anxiété réactionnelle à sa situation professionnelle, n'apporte aucun élément de nature à faire présumer l'existence d'agissements répétés constitutifs de fait de harcèlement moral. Les écrits produits par le centre hospitalier de Lunéville devant les premiers juges, dont Mme A... pouvait seulement, si elle s'y estimait fondée, demander la suppression des passages injurieux, outrageants ou diffamatoires en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative, ne sont pas davantage de nature à faire présumer de tels faits.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses conclusions aux fins d'indemnisation du préjudice résultant de faits de harcèlement moral.

Sur les frais liés aux instances :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le centre hospitalier de Lunéville demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Lunéville le versement des sommes que Mme A... demande sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Lunéville et l'appel incident de Mme A... sont rejetés.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Lunéville et à Mme C... A....

N° 18NC00079 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NC00079
Date de la décision : 21/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Jérôme DIETENHOEFFER
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : SCP ALEXANDRE LEVY KAHN

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-11-21;18nc00079 ?
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