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19/11/2019 | FRANCE | N°17NC03060

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 19 novembre 2019, 17NC03060


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 1er décembre 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, d'une part, a retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé par lui sur le recours hiérarchique présenté par la société Cora Essey-Lès-Nancy contre la décision de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de Meurthe-et-Moselle refusant d'autoriser son licenciement, d'autre par

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 1er décembre 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, d'une part, a retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé par lui sur le recours hiérarchique présenté par la société Cora Essey-Lès-Nancy contre la décision de l'inspecteur du travail de l'unité départementale de Meurthe-et-Moselle refusant d'autoriser son licenciement, d'autre part, a annulé cette dernière décision et autorisé son licenciement pour faute grave.

Par un jugement n° 1603215, 1603722 du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2017, M. A... D..., représenté par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1603215 et 1603722 du 28 novembre 2017 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler la décision du 1er décembre 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Cora la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité, dès lors que la procédure devant le tribunal administratif de Nancy n'a pas respecté le principe du contradictoire, a méconnu le principe de l'égalité des armes et porté atteinte au droit à un procès équitable garanti au premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision du 1er décembre 2016 est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que les faits concernant son refus d'exécuter les directives de l'employeur et les procédures internes de récupération des heures supplémentaires ne sont pas fautifs ;

- la décision en litige est également entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que les deux griefs retenus contre lui ne sont pas suffisamment graves pour justifier une mesure de licenciement ;

- la demande d'autorisation de licenciement le concernant présente un lien fort avec ses mandats représentatifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 22 juin 2018, la société Cora Essey-Lès-Nancy, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du requérant de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la consommation ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour M. D... et de Me C... pour la société Cora.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D... exerçait les fonctions de boulanger au sein de la société Cora Essey-Lès-Nancy depuis le 5 février 2007. Investi des mandats de délégué du personnel titulaire et de membre suppléant du comité d'établissement, il bénéficiait du statut de salarié protégé. Par un courrier du 26 janvier 2016, son employeur a sollicité auprès de l'administration du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Par une décision du 21 mars 2016, l'inspecteur du travail par intérim de la quatorzième section de l'unité territoriale de Meurthe-et-Moselle a refusé de faire droit à cette demande. La société Cora Essey-Lès-Nancy a formé contre ce refus un recours hiérarchique, par une lettre du 22 avril 2016 reçue le 26 avril suivant. Par une décision du 1er décembre 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré la décision implicite de rejet née le 26 août 2016 du silence gardé par l'administration pendant quatre mois, a annulé la décision de l'inspectrice du travail par intérim du 21 mars 2016 et a autorisé le licenciement de M. D.... Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016, le requérant a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 1er décembre 2016. Il relève appel du jugement n° 1603215, 1603722 du 28 novembre 2017 qui rejette sa demande.

Sur la régularité du jugement de première instance :

2. Il résulte de l'instruction conduite par les premiers juges que le premier mémoire en défense de l'employeur a été communiqué au requérant le 18 mai 2017, soit vingt-neuf jours avant la date de clôture de l'instruction, fixée au 16 juin 2017. Dans ces conditions et alors même que la société Cora aurait disposé d'un délai de six mois pour défendre, la communication de son mémoire est intervenue en temps utile pour permettre à M. D... d'y répondre. Par suite, le tribunal administratif de Nancy a pu, sans méconnaître les principes du contradictoire, de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable, garanti au premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, refuser de faire droit à la demande d'octroi d'un délai supplémentaire adressée par le conseil du salarié le 29 mai 2017.

Sur le bien-fondé du jugement de première instance :

3. En premier lieu, en vertu des dispositions pertinentes du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Il ressort des pièces du dossier que, en application de la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, le paiement des heures supplémentaires au sein de l'établissement Cora d'Essey-Lès-Nancy est limité à cinq heures par an, le reste étant récupéré par un repos compensateur. Si cette pratique n'a pas été formalisée dans un accord collectif ou une note de service, il n'est pas contesté qu'elle est rappelée chaque année aux salariés à la faveur d'une réunion du comité d'établissement et qu'elle ne pouvait, par conséquent, eu égard à son ancienneté, être raisonnablement ignorée de M. D.... Il ressort des pièces du dossier que le requérant justifiait, à la fin de l'année 2015, de l'accomplissement de soixante-quinze heures supplémentaires, dont cinq lui ont été payées au mois de décembre. En méconnaissance des règles applicables au sein de son entreprise, il a sollicité, à plusieurs reprises, le paiement intégral de l'ensemble de ces heures et a persisté, malgré les sollicitations de son employeur l'invitant à se rapprocher de son supérieur hiérarchique pour en planifier la récupération, dans son refus de prendre un repos compensateur complémentaire, notamment dans un courrier du 15 décembre 2015. Se voyant alors imposer par sa direction la prise d'un tel repos, du lundi 11 au samedi 23 janvier 2016, le requérant a refusé d'exécuter cette directive dans un courrier du 6 janvier 2016 et s'est présenté à son travail le mardi 12 janvier 2016. Contrairement aux allégations de l'intéressé, il ne ressort pas des pièces du dossier que certains salariés obtiendraient plus facilement le paiement de leurs heures supplémentaires que d'autres, ni que la prise du repos compensateur complémentaire en fin d'année l'aurait mis en " porte-à-faux " vis-à-vis de ses collègues, contraints de travailler en période de fêtes. Dans ces conditions, à supposer même que M. D... n'aurait nullement eu l'intention de " braver en public " sa hiérarchie en reprenant son poste le 12 janvier 2016, son refus de se conformer, sans motif valable, à une instruction de son employeur présente un caractère fautif.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... entretient des relations conflictuelles avec le nouveau responsable du rayon " boulangerie ", arrivé le 2 novembre 2015 et chargé par sa direction de réorganiser ce rayon, lequel lui reproche notamment son manque de productivité. Par deux courriers des 21 décembre 2015 et 4 janvier 2016, adressés au directeur de l'établissement d'Essey-Lès-Nancy, à l'inspection du travail et à l'organisation syndicale à laquelle il appartient, le requérant a dénoncé son supérieur hiérarchique direct pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 121-80 du code de la consommation, en demandant à ses subordonnés de congeler des kouglofs et des couronnes en brioche et pour s'être livré, le 2 janvier 2016, à une pratique commerciale trompeuse en faisant étiqueter comme " produits frais " deux cents galettes des rois cuites le 31 décembre 2015. Portant sur des faits susceptibles de donner lieu à des poursuites disciplinaires et judiciaires, ces dénonciations, exprimées avec l'intention de dénigrer le professionnalisme de son supérieur hiérarchique, étaient infondées, dès lors, d'une part, que les dispositions de l'article L. 212-80 du code de la consommation, alors en vigueur, qui interdisaient l'appellation de " boulanger " et l'enseigne commerciale de " boulangerie " en cas de congélation ou de surgélation du pain, ne s'appliquaient pas aux kouglofs et aux couronnes en brioche, d'autre part, que la fabrication et l'étiquetage des galettes des rois relevaient de la seule responsabilité du responsable du rayon " pâtisserie ", ainsi qu'il ressort de l'attestation en ce sens faite par ce responsable. M. D... ne saurait sérieusement soutenir qu'il s'est trompé de bonne foi, dans la mesure où, s'agissant de la première lettre de dénonciation, il avait la possibilité de s'assurer de la véracité de ses allégations auprès de son organisation syndicale et, s'agissant de la seconde lettre de dénonciation, il ressort du compte rendu de la réunion extraordinaire du comité d'établissement du 22 janvier 2016 que le requérant savait que l'étiquetage comme " produits frais " des galettes des rois était imputable au responsable du rayon " pâtisserie ". Dans ces conditions, et alors même que les faits allégués n'ont pas été portés à la connaissance du public, le comportement de l'intéressé doit être regardé comme fautif.

6. Eu égard à leur nature et à leur gravité, les griefs retenus à l'encontre de M. D..., qu'il s'agisse du refus d'exécuter les directives de l'employeur ou de la dénonciation infondée de son supérieur hiérarchique, sont de nature à justifier la mesure de licenciement prononcée à son encontre.

7. En troisième et dernier lieu, si M. D... fait valoir que le dirigeant de l'établissement Cora d'Essey-Lès-Nancy ne supporterait pas que l'organisation syndicale à laquelle il appartient se soit implantée dans son établissement, ni qu'il ne fasse pas preuve de docilité à son égard, de telles allégations ne sont étayées par aucun élément du dossier. Par suite, ce dernier moyen ne peut qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du ministre en charge du travail du 1er décembre 2016. Il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu non plus, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Cora Essey-Lès-Nancy au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Cora Essey-Lès-Nancy en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à la société Cora Essey-Lès-Nancy et à la ministre du travail.

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N° 17NC03060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NC03060
Date de la décision : 19/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Illégalité du licenciement en rapport avec le mandat ou les fonctions représentatives.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute - Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : PATE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-11-19;17nc03060 ?
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