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22/10/2019 | FRANCE | N°18NC03011

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 22 octobre 2019, 18NC03011


Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 30 janvier 2018 par lequel le préfet de la Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1800290 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, en

registrée le 8 novembre 2018, M. E... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'a...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 30 janvier 2018 par lequel le préfet de la Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.

Par un jugement n° 1800290 du 15 mars 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 novembre 2018, M. E... D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800290 du 15 mars 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Marne du 30 janvier 2018 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne, sous astreinte de cent euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;

- la décision en litige a été prise à l'issue d'une procédure méconnaissant le droit d'être entendu garanti à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- elle est également entachée d'un vice de procédure, dès lors, d'une part, qu'il n'est pas établi que le collège de médecins de l'Office a été saisi, d'autre part, qu'il n'est pas démontré que les médecins ayant émis l'avis du 8 septembre 2017 étaient compétence pour ce faire, enfin que l'avis du 8 septembre 2017 ne se prononce pas sur la disponibilité effective du traitement dans le pays d'origine ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le préfet s'est estimé à tort lié par l'avis ;

- elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de l'article L. 313-14 et de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant fixation du pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par une décision du 27 septembre 2018, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E... D... est un ressortiss ant kosovar, né le 1er avril 1987. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France le 21 décembre 2014. Il a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée successivement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis par la Cour nationale du droit d'asile. En conséquence de ces rejets, le préfet de la Marne, par un arrêté du 28 janvier 2017, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le 16 mai 2017, le requérant a sollicité une protection contre cette mesure d'éloignement en se prévalant des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 8 septembre 2017, le préfet de la Marne, par un arrêté du 30 janvier 2018, a refusé de faire droit à la demande de l'intéressé, a réitéré son obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Par une requête, enregistrée le 13 février 2018, le requérant a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 janvier 2018. Il relève appel du jugement n°1800290 du 15 mars 2018 qui rejette sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée du 30 janvier 2018 a été signée, pour le préfet et par délégation, par M. Denis B..., secrétaire général de la préfecture de la Marne. Or, par un arrêté du 27 octobre 2017, régulièrement publié le 31 octobre 2017 au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Marne a donné délégation à M. B... à l'effet de signer tous actes relevant de la compétence de l'Etat dans le département, à l'exception de certains d'entre eux au nombre desquels ne figurent pas les décisions prises en matière de police des étrangers. Contrairement aux allégations de M. D..., la circonstance que la décision en litige impliquerait une appréciation sur la régularité de son séjour n'est pas de nature à entacher cette délégation de signature d'irrégularité. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". M. D... ne saurait utilement invoquer une méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui s'adresse uniquement, ainsi qu'il résulte clairement des dispositions en cause, aux institutions, organes et organismes de l'Union. Par suite, le moyen doit être écarté comme inopérant.

4. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 5 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport. ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / (...) / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, à la suite de la demande de protection de M. D..., au titre du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Marne a saisi le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui a rendu son avis le 8 septembre 2017. Contrairement aux allégations du requérant, les mentions figurant sur cet avis permettent l'identification des trois médecins signataires, dont le nom figure sur la liste des médecins désignés pour participer au collège à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, et qui avaient ainsi compétence pour se prononcer sur l'état de santé de l'intéressé. Enfin, il résulte des termes de l'avis du 8 septembre 2017 que l'état de santé de M. D..., non seulement nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais encore lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Compte tenu de son appréciation sur les conséquences résultant d'un éventuel défaut de prise en charge médicale, le collège de médecins n'avait pas nécessairement à se prononcer sur l'existence au Kosovo d'un traitement approprié à la pathologie du requérant, dès lors que le préfet de la Marne, qui n'était pas en situation de compétence liée, pouvait toujours, en cas d'appréciation divergente, interroger ledit collège sur la disponibilité effective du traitement dans le pays d'origine. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté dans ses différentes branches.

6. En quatrième lieu, la décision attaquée énonce, dans ses visas et motifs, l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.

7. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, spécialement des motifs de la décision en litige, que le préfet de la Marne se serait estimé à tort lié par l'avis du 8 septembre 2017. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté.

8. En sixième lieu, M. D... ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la légalité de la mesure d'éloignement prise à son encontre, d'une méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11, de l'article L. 313-14 et de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De tels moyens doivent par suite être écartés comme inopérants.

9. En septième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Si M. D... fait valoir qu'il souffre d'un syndrome post-traumatique, les deux certificats médicaux produits par l'intéressé, établis les 5 octobre 2016 et 27 janvier 2017 par un praticien hospitalier de l'établissement public de santé mentale de la Marne, ne sont pas de nature, eu égard aux termes dans lesquels ils sont rédigés, à remettre en cause l'appréciation du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur les conséquences résultant d'un défaut de prise en charge médicale et sur la capacité à voyager sans risque vers le pays d'origine. Par suite, et alors que le requérant n'établit pas que sa pathologie psychiatrique serait en lien avec des événements traumatisants vécus dans son pays d'origine, le moyen titré de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être favorablement accueilli.

10. En huitième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est entré sur le territoire français le 21 décembre 2014. Il est célibataire et sans enfant à charge. En dehors d'un frère, arrivé en France en même temps que lui, le requérant ne justifie pas posséder des attaches familiales ou même personnelles en France, ni être inséré dans la société française. Il n'établit pas davantage être isolé dans son pays d'origine. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur la situation de l'intéressé ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la légalité de la décision portant fixation du pays de destination :

12 Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Si M. D... fait valoir qu'il risque, en cas de retour au Kosovo, d'être exposé à des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, et alors que, au demeurant, la demande d'asile de l'intéressé a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance desdites stipulations doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 30 janvier 2018. Par suite, il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, ainsi que ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

N° 18NC03011 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC03011
Date de la décision : 22/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : GABON

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-22;18nc03011 ?
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