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17/10/2019 | FRANCE | N°17NC03027

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 17 octobre 2019, 17NC03027


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... née C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le titre de perception exécutoire émis le 27 avril 2015 à son encontre pour un montant de 177 513,33 euros ainsi que la décision implicite portant rejet de sa réclamation préalable.

Par un jugement n° 1600900 du 18 octobre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre de perception précité du 27 avril 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les

15 décembre 2017 et 26 juin 2019, le ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... née C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler le titre de perception exécutoire émis le 27 avril 2015 à son encontre pour un montant de 177 513,33 euros ainsi que la décision implicite portant rejet de sa réclamation préalable.

Par un jugement n° 1600900 du 18 octobre 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre de perception précité du 27 avril 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2017 et 26 juin 2019, le ministre des armées demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 octobre 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la décision de radiation des contrôles prise à l'encontre de Mme B... n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et ne prive donc pas de base légale le titre de perception du 27 avril 2015 émis à l'encontre de l'intéressée ;

- les résultats insuffisants de Mme B... et le fait qu'elle n'était plus motivée par son projet initial de devenir militaire justifient, ainsi qu'il ressort du rapport de l'officier rapporteur au conseil d'instruction et de l'avis de ce conseil du 27 juin 2014, la décision d'exclusion de l'école prise à l'encontre de l'intéressée ;

- les réussites universitaires de Mme B... intervenues postérieurement à la radiation ne peuvent être utilement invoquées ;

- la situation familiale de Mme B... ne saurait lier le conseil d'instruction ;

- les témoignages produits par Mme B... n'attestent pas de sa réelle motivation pour une carrière militaire à la fin de sa scolarité à l'école de santé des armées ;

- Mme B... n'établit pas avoir sollicité une adaptation de ses études en raison de sa situation personnelle, des aménagements de scolarité n'étant, par ailleurs, pas de droit ;

- selon la pratique de l'école de santé des armées, les élèves sont oralement convoqués au conseil d'instruction ;

- Mme B... ne démontre pas ne pas avoir été informée à temps de la réunion du conseil d'instruction et de ses droits ;

- elle n'a fait valoir aucune irrégularité à l'issue de la séance du conseil d'instruction et lors de son recours administratif auprès de la commission des recours des militaires ;

- l'officier rapporteur pouvait régulièrement établir le rapport ;

- le conseil d'instruction n'était pas irrégulièrement composé ;

- il s'en remet à ses autres moyens exposés en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 avril 2018, Mme B..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ainsi que l'a estimé le tribunal administratif, la décision de radiation des contrôles est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation privant de base légale le titre de perception du 27 avril 2015 émis à son encontre ;

- si le ministre soutient pour la première fois en appel que le conseil d'instruction a pris en compte sa " faible motivation militaire ", cette affirmation ne résulte que des appréciations subjectives de l'officier rapporteur au conseil d'instruction et n'est corroborée par aucun élément matériel ;

- elle a toujours fait preuve d'une grande motivation militaire ;

- la décision de radiation a été prise en méconnaissance du principe général du droit interdisant de licencier une femme enceinte ;

- cette décision est entachée d'un détournement de pouvoir ;

- elle est entachée d'un motif à caractère discriminatoire en prenant en compte " un projet familial peu compatible avec ses obligations militaires " ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été convoquée devant le conseil d'instruction par notification de l'ordre d'envoi prévu par l'annexe 2 de l'instruction du 5 août 1994 ;

- en l'absence de cet ordre d'envoi, elle n'a pas été informée de son droit d'être assistée par un officier, un élève-officier ou un sous-officier de son choix pour présenter sa défense, la privant d'une garantie substantielle ;

- l'administration a refusé de lui communiquer son dossier militaire ;

- elle n'a été informée de son droit de faire un compte rendu sur les causes de son échec et de produire les pièces utiles à sa défense que la veille du conseil d'instruction ;

- le rapport de l'officier rapporteur n'a été établi que la veille du conseil d'instruction, dans un délai insuffisant pour lui permettre de préparer sa défense ;

- l'officier rapporteur n'avait pas la qualité requise en vertu des dispositions de l'annexe 2 de l'instruction du 5 août 1994 ;

- ce rapport est irrégulier dès lors qu'il ne comprend pas tous les éléments prévus par l'annexe 2 de cette instruction ;

- la composition du conseil d'instruction est irrégulière au regard des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 17 juillet 2012 ;

- le titre de perception en litige n'est pas signé et la qualité de l'ordonnateur n'était ni compréhensible ni intelligible, en méconnaissance de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- il ne comporte pas les bases de liquidation de la créance en méconnaissance des dispositions de l'article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- il se fonde sur un décret abrogé depuis le 12 septembre 2008 ;

- le montant de la créance ne pouvait légalement prendre en compte, en vertu des dispositions de l'article 7 du décret n° 2008-937 du 12 septembre 2008, le remboursement des années non validées en raison de ses périodes de congés de maternité ;

- la majoration appliquée au montant des sommes à rembourser au titre de ses frais de scolarité est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne pouvait se fonder sur l'article 10 du décret n° 2004-535 du 14 juin 2004, abrogé depuis le 1er janvier 2009 ;

- l'administration ne pouvait légalement appliquer une majoration dès lors qu'elle a suivi ses études de médecine en dehors de l'école du service de santé des armées et assumé elle-même ses dépenses de logement, de nourriture et de déplacement ;

- cette majoration n'est pas justifiée au regard de sa situation pour la période du 27 septembre 2010 au 11 janvier 2015.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2008-429 du 2 mai 2008 ;

- le décret n° 2008-937 du 12 septembre 2008 ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., substituant Me D..., pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a signé le 12 septembre 2006 un acte d'engagement pour servir en qualité d'élève-officier médecin au sein de l'école du service de santé des armées. A la suite d'un échec à la deuxième session des examens de la dernière année du deuxième cycle des études médicales, le ministre de la défense, par décision du 9 janvier 2015, a résilié son contrat d'engagement et l'a radiée des contrôles de l'école de santé des armées à compter du 11 janvier 2015. Une décision implicite de rejet est née le 18 juillet 2015 du silence gardé par le ministre de la défense sur le recours administratif préalable obligatoire formé contre cette décision par Mme B... auprès de la commission des recours des militaires. Par ailleurs, par un courrier du 13 avril 2015, Mme B... a été informée qu'elle était redevable des frais de scolarité d'un montant de 177 515,33 euros. Le 27 avril 2015, un titre de perception exécutoire a été émis à son encontre pour ce montant au titre du remboursement de ses frais de scolarité. Le ministre des armées fait appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre de perception précité du 27 avril 2015.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. L'illégalité d'un acte administratif non réglementaire ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. Cette exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée.

3. Aux termes de l'article R. 4125-10 du code de la défense : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. Cette notification, effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, fait mention de la faculté d'exercer, dans le délai de recours contentieux, un recours contre cette décision devant la juridiction compétente à l'égard de l'acte initialement contesté devant la commission. / L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ". Seule la notification au militaire concerné d'une décision expresse de rejet du recours administratif préalable obligatoire est susceptible de faire courir le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l'article R. 421-2 du code de justice administrative.

4. En l'espèce, la décision par laquelle le ministre de la défense a radié des contrôles de l'armée Mme B... constitue la base légale du titre de perception exécutoire du 27 avril 2015, et n'est pas devenue définitive dès lors que le recours administratif préalable formé par l'intéressée n'a pas fait l'objet d'une décision expresse de rejet notifiée mais a été implicitement rejeté le 18 juillet 2015. Dès lors, Mme B... est recevable à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision de radiation des contrôles du 18 juillet 2015.

5. Aux termes de l'article L. 4139-14 du code de la défense : " La cessation de l'état militaire intervient d'office dans les cas suivants : (...) 5° Pour résultats insuffisants en cours de scolarité, pour les élèves des écoles militaires (...) ". Aux termes de l'article 6 du décret n° 2008-429 du 2 mai 2008 relatif aux écoles et à la formation du service de santé des armées auquel renvoie son article 8 : " Le conseil d'instruction examine la situation des élèves dont les résultats sont insuffisants et propose leur maintien à l'école ou leur exclusion avec résiliation de leur contrat (...) ".

6. Au cours de sa scolarité au sein de l'école de service de santé des armées, Mme B..., après un échec au concours de première année du premier cycle des études médicales au titre de l'année universitaire 2006/2007, a validé ce premier cycle, correspondant aux trois premières années de médecine, en obtenant le DCEM 1 en 2010. L'intéressée a ensuite obtenu sa première année de deuxième cycle au titre de l'année universitaire 2010/2011 mais a échoué à l'examen de DCEM 3 en 2012. Autorisée à redoubler, après un avis en ce sens du conseil d'instruction du 17 octobre 2012, elle a réussi l'examen au titre de l'année universitaire 2012/2013 puis a connu un nouvel échec à celui de DCEM 4 correspondant à la dernière année du deuxième cycle d'études médicales, soit en fin de sixième année. A la suite de cet échec et après avis du conseil d'instruction du 27 juin 2014, le ministre de la défense a décidé de l'exclure définitivement de l'école de santé des armées et l'a radiée des contrôles de l'école.

7. Si, après avoir successivement validé ses quatre premières années de médecine, Mme B... a connu deux échecs en 2012 et 2014 lors du deuxième cycle des études médicales, il résulte de l'instruction qu'elle a été placée en congé de maternité en 2011 et 2012 en poursuivant ses études sans aménagement de scolarité et échoué à l'examen de DCEM 3 au titre de l'année universitaire 2011/2012 alors qu'elle était mère d'un enfant en très bas âge et enceinte de plus de sept mois d'un deuxième enfant. Lors de son échec à l'oral de validation du DCEM 4 au titre de l'année universitaire 2013/2014, Mme B..., qui se trouvait également enceinte de près de sept mois d'un troisième enfant, a toutefois obtenu le module de synthèse clinique et thérapeutique et réussi l'épreuve de type " ECN ". En outre, au cours de ce deuxième cycle, Mme B... a validé ses stages hospitaliers en obtenant des résultats très satisfaisants, obtenant lors de son échec en DCEM 3 des notes de 14/20, 17/20 et 19 /20 et lors de celui de DCEM 4 des notes de 14/20 et 16/20. Les compétences de Mme B... ont d'ailleurs été soulignées par le doyen de la faculté de médecine de Nancy, où elle étudiait alors, faisant état dans ses deux attestations d'un cursus médical honorable et de ses brillantes évaluations de stages, qui, au demeurant, n'ont pas été démenties lors de la poursuite de son parcours après sa radiation de l'école des armées, l'intéressée ayant intégré en qualité d'interne l'université d'Aix-Marseille à la suite de sa réussite aux épreuves du concours de l'internat de médecine en mai 2015.

8. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministre des armées en se prévalant de l'avis du conseil d'instruction du 27 juin 2014 relevant une faible motivation militaire de l'intéressée ainsi que du rapport du 26 juin 2014 de l'officier rapporteur à ce conseil indiquant qu'elle envisage difficilement une carrière militaire et la projection sur des théâtres d'opérations extérieures, il ne résulte pas de l'instruction, alors que ces allégations, contestées par Mme B..., ne sont corroborées par aucune pièce, que Mme B..., à raison de sa situation de mère de famille de trois jeunes enfants, avait perdu sa motivation de devenir médecin militaire.

9. Dans ces conditions, en décidant de radier Mme B... des contrôles de l'école du service de santé des armées à la suite de son échec en dernière année de deuxième cycle des études médicales, le ministre de la défense a commis une erreur manifeste d'appréciation et ainsi entaché d'illégalité sa décision du 18 juillet 2015.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé le titre de perception exécutoire en litige du 27 avril 2015 à raison de l'illégalité de sa décision de radiation de Mme B... des contrôles de l'armée dont elle constituait la base légale.

Sur les frais liés à l'instance :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1 : La requête du ministre des armées est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à Mme A... B... née C....

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No 17NC03027


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