La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/10/2019 | FRANCE | N°19NC01871

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 01 octobre 2019, 19NC01871


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 6 mars 2019 par laquelle le préfet du Bas-Rhin l'a transférée aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement no 1900890 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2019, Mme B... A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement

du tribunal administratif de Nancy du 5 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 6 mars 2019 par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 6 mars 2019 par laquelle le préfet du Bas-Rhin l'a transférée aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement no 1900890 du 5 avril 2019, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 juin 2019, Mme B... A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 5 avril 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 6 mars 2019 par laquelle le préfet du Bas-Rhin l'a transférée aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile ;

3°) de l'autoriser à déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à séjourner sur le territoire français dans l'attente de la réponse de l'office ;

4°) d'ordonner au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une attestation de demande d'asile sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- il n'est pas établi que les autorités italiennes ont été saisies dans les deux mois prévus par les articles 21 et 23 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, ni par suite qu'elles ont implicitement accepté la demande de reprise en charge ; l'accusé de réception généré automatiquement par l'adresse frdub@nap01.fr.dub.testa.eu ne peut faire foi à lui seul de la transmission de la demande de reprise en charge en application de l'article 15 du règlement n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- selon un rapport d'expertise, l'adresse relevée sur l'accusé de réception produit par le préfet a été générée par le point d'accès français au réseau DubliNet et non par celui de l'Italie ;

- la décision de transfert méconnaît les dispositions des articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 et de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu des défaillances systémiques dans la procédure d'asile en Italie.

Par un mémoire, enregistré le 31 juillet 2019, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mai 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., de nationalité nigériane, est entrée irrégulièrement en France en vue de solliciter l'asile. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient été relevées par les autorités italiennes. Une demande de reprise en charge a été adressée le 28 janvier 2019 par le préfet du Bas-Rhin aux autorités italiennes qui l'ont implicitement acceptée en application de l'article 18-1 du règlement du 16 juin 2013. Par un arrêté du 6 mars 2019, le préfet du Bas-Rhin a décidé le transfert de Mme A... vers l'Italie. Mme A... fait appel du jugement du 5 avril 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ". L'article 23 du même règlement prévoit que " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ". L'article 25 de ce même règlement prévoit que : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement. (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Selon l'article 19 de ce même règlement : " 1. Chaque Etat membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé de réception pour toute transmission entrante ".

4. En vertu de ces dispositions, lorsque le préfet est saisi d'une demande d'enregistrement d'une demande d'asile, il lui appartient, s'il estime après consultation du fichier Eurodac que la responsabilité de l'examen de cette demande d'asile incombe à un Etat membre autre que la France, de saisir la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, qui gère le " point d'accès national " du réseau Dublinet pour la France. Les autorités de l'Etat regardé comme responsable sont alors saisies par le point d'accès français, qui archive les accusés de réception de ces demandes. Il ressort des éléments versés au dossier que les demandes émanant des préfectures sont, en principe, transmises le jour même aux autorités des autres Etats membres si elles parviennent avant 16 heures 30 au point d'accès national et le lendemain si elles y parviennent après cette heure. Il ressort, en outre, de ces éléments que si les préfectures n'avaient pas directement accès aux accusés de réception archivés par le point d'accès national, elles peuvent désormais y accéder directement.

5. La décision de transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable au vu de la consultation du fichier Eurodac ne peut être prise qu'après l'acceptation de la reprise en charge par l'Etat requis, saisi dans le délai de deux mois à compter de la réception du résultat de cette consultation. A cet égard, s'il est nécessaire que les autorités françaises aient effectivement saisi les autorités de l'autre Etat avant l'expiration de ce délai de deux mois et que les autorités de cet Etat aient, implicitement ou explicitement, accepté cette demande, la légalité de la décision de transfert prise par le préfet ne dépend pas du point de savoir si les services de la préfecture disposaient matériellement, à la date de la décision du préfet, des pièces justifiant de l'accomplissement de ces démarches.

6. Le juge administratif, statuant sur des conclusions dirigées contre la décision de transfert et saisi d'un moyen en ce sens, prononce l'annulation de la décision de transfert si elle a été prise alors que l'Etat requis n'a pas été saisi dans le délai de deux mois ou sans qu'ait été obtenue l'acceptation par cet Etat de la reprise en charge de l'intéressé. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur ce point au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été informé le 22 janvier 2019 que le passage des empreintes de Mme A... dans le fichier Eurodac avait donné un résultat positif, celles-ci ayant été déjà relevées en Italie, le préfet du Bas-Rhin a adressé le 28 janvier 2019, au point unique d'accès national établi auprès du ministre de l'intérieur, une demande de reprise en charge de Mme A... à transmettre à l'Italie au moyen du réseau de communication " DubliNet ", qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales en charge des demandes d'asile. L'accusé de réception de cette transmission produit par le préfet, bien qu'émis automatiquement le 28 janvier 2019 par l'adresse électronique du point d'accès français au réseau et non par celle du point d'accès italien, permet de regarder les autorités françaises comme ayant saisi dès cette date les autorités italiennes. Mme A... ne contredit pas utilement ce constat en se bornant à soutenir que seul l'accusé de réception transmis par le point d'accès national italien serait de nature à établir la date exacte de leur saisine. Les autorités italiennes ayant gardé le silence durant les quinze jours suivant cette transmission, elles sont réputées avoir donné leur accord implicite à la demande de reprise en charge en application des dispositions précitées du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par ailleurs, les autorités italiennes n'ont pas réagi à la transmission, par l'intermédiaire du réseau DubliNet, du " constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " établi par le préfet le 13 février 2019 et dont le point d'accès national français a accusé réception le même jour à la préfecture. Il s'ensuit que Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'il n'est pas établi que les autorités italiennes ont été saisies dans le délai de deux mois imparti par les dispositions précitées et qu'elles ont, en conséquence, accepté implicitement sa reprise en charge à la date de la décision contestée.

8. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La procédure de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ne peut être engagée dans le cas de défaillances systémiques dans l'Etat considéré mentionné au 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 (...) ".

9. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".

10. Mme A... se prévaut de l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie en raison notamment de la saturation du système d'accueil et de santé résultant de l'afflux de migrants. Toutefois, en se bornant à invoquer des éléments généraux sur la situation des demandeurs d'asile issus de rapports, la requérante n'établit pas que les autorités italiennes ne respecteraient pas les dispositions de la directive 2013/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale. De même, la circonstance que sa seconde demande d'asile, déposée en août 2017, n'aurait pas été examinée par les autorités italiennes ne suffit pas à démontrer l'existence de défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile. Dans ces conditions, le préfet du Bas-Rhin n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En refusant de faire application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 de ce règlement, le préfet du Bas-Rhin n'a pas non plus commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de Mme A....

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Bas-Rhin.

N° 19NC01871 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC01871
Date de la décision : 01/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Stéphane BARTEAUX
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : COCHE-MAINENTE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-01;19nc01871 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award