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01/10/2019 | FRANCE | N°18NC02982

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 01 octobre 2019, 18NC02982


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2017 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée.

Par un jugement n° 1800223 du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devan

t la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2018, Mme E..., représentée par Me A.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 20 novembre 2017 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée.

Par un jugement n° 1800223 du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2018, Mme E..., représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 24 mai 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Marne du 20 novembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer une carte de résident ou, à défaut, une carte de séjour temporaire, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à Me A... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'arrêté est entaché d'incompétence dès lors que son auteur ne justifie pas d'une délégation régulière ;

- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ; il ne contient notamment aucune précision sur sa situation personnelle et mentionne de manière erronée qu'elle est entrée en France en 2009 ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- le droit d'être entendu, consacré par les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux a été méconnu ;

- le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour dès lors qu'elle est entrée en France il y a plus de dix ans ;

- l'arrêté, qui indique qu'elle est entrée en France en 2009, est entaché d'une erreur de fait ;

- le préfet n'a pas examiné sa situation au regard des dispositions de l'accord franco-marocain ; il a méconnu les dispositions des articles 1er, 3 et 5 de cet accord ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;

- l'arrêté litigieux méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- en cas de retour dans son pays, elle sera exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B... épouse E..., ressortissante marocaine née en 1979, s'est vu délivrer le 26 mars 2010 une carte de séjour temporaire qui a été renouvelée jusqu'au 25 mars 2012. Ses demandes tendant à la délivrance d'un nouveau titre de séjour ont toutes été rejetées, en dernier lieu par un arrêté du 20 novembre 2017. Mme E... relève appel du jugement du 24 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Gaudin, secrétaire général de la préfecture de la Marne, était titulaire, à la date de la décision litigieuse, d'une délégation de signature du préfet de la Marne du 27 octobre 2017, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs du 31 octobre 2017, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions du représentant de l'Etat dans le département à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions litigieuses. En outre, contrairement à ce que soutient Mme E..., la circonstance qu'il est mentionné que cette décision a été prise sur proposition du secrétaire général ne permet pas de considérer qu'elle n'aurait pas été prise par le préfet, et demeure sans incidence sur l'exercice de sa propre compétence par le préfet et, par voie de délégation, par le secrétaire général lui-même.

3. En deuxième lieu, l'arrêté litigieux, dont la motivation n'est pas stéréotypée, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivé. Cet arrête comporte ainsi notamment des éléments précis et circonstanciés sur la situation personnelle de Mme E... et vise l'accord franco-marocain ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application. Par ailleurs, Mme E... ne peut pas utilement se prévaloir à cet égard de la circonstance que la date de son entrée en France mentionnée dans l'arrêté litigieux serait erronée. Le moyen tiré d'un prétendu défaut de motivation doit donc être écarté.

4. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de Mme E... avant de prendre les décisions litigieuses.

5. En quatrième lieu, l'étranger, lorsqu'il sollicite la délivrance d'un titre de séjour, est conduit à cette occasion à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu est ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour. Il s'ensuit que Mme E..., qui a demandé un titre de séjour en se prévalant notamment des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qui, ayant fait l'objet de plusieurs obligations de quitter le territoire, ne pouvait pas ignorer qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement, s'est trouvée à même de faire état de l'ensemble des éléments utiles à l'appui de sa demande. Elle n'est ainsi pas fondée à soutenir que son droit d'être entendu, qui constitue un principe général du droit de l'Union européenne, aurait été méconnu.

6. En cinquième lieu, Mme E... soutient qu'elle est entrée en France en 2007 et non en 2009, ainsi que cela est indiqué dans l'arrêté. Toutefois, elle se borne à produire à l'appui de ses allégations son premier titre de séjour qui mentionne le 11 octobre 2007 comme date d'entrée en France ainsi qu'un formulaire de demande de titre de séjour établi sur la base de ses déclarations. Elle ne produit aucun autre élément susceptible d'établir qu'elle serait effectivement entrée en France en 2007, alors que, par ailleurs, elle avait elle-même indiqué, à l'occasion d'un recours contre une précédente mesure d'éloignement, être arrivée en Europe en 2007 et n'être entrée en France qu'en 2009. Dans ces conditions, Mme E... n'établit pas qu'en indiquant qu'elle est entrée en France en 2009 dans l'arrêté litigieux, le préfet aurait commis une erreur de fait.

7. En sixième lieu, aux termes de l'article 1er de l'accord franco-marocain : " Les ressortissants marocains résidant en France et titulaires, à la date d'entrée en vigueur du présent Accord d'un titre de séjour dont la durée de validité est égale ou supérieure à trois ans bénéficient de plein droit, à l'expiration du titre qu'ils détiennent, d'une carte de résident valable dix ans (...) " . L'article 3 de cet accord dispose que : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent (...), sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour (..) portant la mention salarié (...) ". Enfin, l'article 5 du même accord prévoit que : " Quelle que soit la date à laquelle ils ont été admis au titre du regroupement familial sur le territoire (...) le conjoint des personnes titulaires des titres de séjour et des autorisations de travail (...) ainsi que leurs enfants n'ayant pas atteint l'âge de la majorité dans le pays d'accueil sont autorisés à y résider (...) ".

8. L'accord franco-marocain renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. En l'espèce, la requérante, dont il ressort de pièces du dossier qu'elle a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se prévalant de la scolarisation de ses enfants, n'établit, ni même n'allègue avoir déposé une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'accord franco-marocain. Elle ne peut ainsi utilement faire valoir que le préfet a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si elle remplissait les conditions posées par ces stipulations. Au surplus, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait dû se voir délivrer un titre de séjour sur ce fondement. Notamment, ainsi que l'a jugé le tribunal, les dispositions de l'article 1er de cet accord ne prévoient la délivrance d'une carte de résident qu'aux seuls titulaires d'un titre de séjour dont la durée de validité est égale ou supérieure à trois ans à la date d'entrée en vigueur de l'accord.

9. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Mme E... se prévaut du caractère ancien de son entrée sur le territoire national et de la présence de ses frères et son père qui résident en France de manière régulière. Elle indique par ailleurs qu'elle vit en concubinage depuis 2011 avec un ressortissant marocain et que leurs deux enfants, nés en France en 2012 et 2014, sont scolarisés. Toutefois, Mme E... qui a vécu la majeure partie de sa vie au Maroc, s'est maintenue en France de manière irrégulière depuis le mois de mars 2012 et n'a déféré à aucune des mesures d'éloignement dont elle a fait l'objet. Elle ne se prévaut, en outre, d'aucune insertion sociale particulière. Par ailleurs son conjoint se trouve également en situation irrégulière et rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue au Maroc où réside notamment la mère de la requérante. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté litigieux aurait porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont été méconnues. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de Mme E... ou qu'il aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. En huitième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Mme E... n'apporte aucun élément de nature à établir que la cellule familiale ne peut pas se reconstituer en dehors du territoire national et que ses enfants nés en 2012 et 2014, ne pourront pas poursuivre leur scolarité au Maroc. Il ne ressort, par suite, pas des pièces du dossier que les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ont été méconnues.

13. En neuvième lieu, si Mme E... fait valoir qu'elle encourt des risques en cas de retour au Maroc, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision fixant le pays à destination duquel Mme E... pourra être éloignée serait intervenue en violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. En dixième lieu, le préfet n'est tenu de saisir la commission instituée par l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que du cas des étrangers qui remplissent effectivement les conditions posées pour l'obtention de plein droit d'un titre de séjour et de celui des étrangers qui, ayant sollicité un titre sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, justifient par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. Ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme E... ne peut prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit et ne justifie pas être entrée en France avant 2009. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la décision contestée serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière du fait du défaut de consultation de cette commission.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Marne.

2

N° 18NC02982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC02982
Date de la décision : 01/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme Guénaëlle HAUDIER
Rapporteur public ?: Mme SEIBT
Avocat(s) : GABON

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-01;18nc02982 ?
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