Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 janvier 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de la Moselle a autorisé la société AGCO à le licencier, ainsi que la décision du 20 juillet 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1505223 du 19 avril 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 juin 2017, la société AGCO, représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que les enquêtes menées par l'inspecteur du travail n'avaient pas revêtu un caractère contradictoire ; M. C... n'a jamais prétendu ne pas avoir pu utilement présenter sa défense ; il existait des risques de rétorsions qui justifiaient que les témoignages ne soient pas communiqués au salarié ; l'absence de communication de ces témoignages a été sans incidence dès lors que le salarié avait reconnu les faits ;
- les faits invoqués dans la demande de licenciement sont établis, fautifs et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement du salarié.
Par un mémoire, enregistré le 12 septembre 2017, M. C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société AGCO une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- aucun des moyens invoqués par la société requérante n'est fondé ; le principe du contradictoire n'a pas été respecté lors de l'enquête de l'inspecteur du travail ; ni l'inspecteur du travail, ni le ministre n'ont mis en avant l'existence d'un risque de représailles qui aurait justifié que des témoignages ne lui soient pas communiqués ; il n'a pas été informé de la teneur de ces témoignages ;
- les griefs qui lui sont reprochés ne sont pas établis et ne revêtent pas de caractère fautif.
Par un mémoire, enregistré le 20 juin 2019, la ministre du travail demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 avril 2017 et de rejeter la demande présentée par M. C... en première instance, en se référant aux écritures produites en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public.
1. Par une décision du 21 janvier 2015, l'inspecteur du travail de la 6ème section de l'unité territoriale de la Moselle a autorisé la société AGCO à licencier, pour motif disciplinaire, M. D... C..., magasinier-cariste au sein de la société et, par ailleurs, délégué du personnel suppléant et membre du comité d'entreprise. Par une décision du 20 juillet 2015, le ministre chargé du travail a confirmé la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 24 juin 2015 formé par M. C.... La société AGCO relève appel du jugement du 19 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions.
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. A l'effet de concourir à la mise en oeuvre de la protection ainsi instituée, les articles R. 2421-4 et R. 2121-11 du code du travail disposent que l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".
3. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
4. En l'espèce, les griefs de la société portaient sur le comportement de M. C... lors de la journée du 12 décembre 2017. Il était ainsi tout d'abord reproché au salarié de ne pas avoir klaxonné à proximité d'un passage pour piétons lorsqu'il conduisait un chariot, et ce en méconnaissance des consignes de sécurité. Il lui était également reproché d'avoir eu une altercation avec le secrétaire du comité d'établissement lors de la réunion dudit comité qui s'est tenue dans la matinée du 12 décembre. Le troisième grief concernait l'attitude de M. C... à la suite d'un rappel de la consigne de sécurité de klaxonner aux intersections avec les voies de circulation piétonne effectué par la responsable des transports de la société. M. C... aurait eu une attitude provocante et agressive, notamment en klaxonnant à plusieurs reprises. Il lui était enfin reproché son comportement lors de la soirée organisée le soir même par le comité d'entreprise et lors de laquelle il aurait menacé et insulté la responsable des transports ainsi que le secrétaire du comité d'établissement.
5. Tant l'inspecteur du travail que le ministre ont considéré que ces deux derniers griefs étaient établis et fautifs. Ils se sont fondés, pour établir leur matérialité, sur les dires de la responsable des transports et du secrétaire du comité d'établissement mais également sur des témoignages d'autres salariés qui aurait été recueillis lors de l'enquête réalisée par l'inspecteur du travail. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le caractère contradictoire de cette enquête imposait à l'autorité administrative d'informer le salarié concerné non seulement des griefs qui lui étaient reprochés et de la teneur des témoignages relatifs à ces griefs mais également de l'identité des auteurs de ces témoignages. Or, s'il est établi que le salarié a eu connaissance des déclarations de la responsable des transports et du secrétaire du comité d'établissement, notamment par un courrier électronique que l'inspecteur du travail lui a adressé au cours de son enquête, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. C... a été informé de l'identité des personnes qui ont indiqué avoir été témoins de ces faits. Contrairement à ce que soutient la société, il ne ressort pas du compte-rendu des auditions produit par le ministre en première instance que l'identité de ces personnes aurait été portée à la connaissance de M. C... lors de l'enquête réalisée dans le cadre de l'examen du recours hiérarchique. Ni l'inspecteur du travail, ni le ministre n'ont fait état de risques de représailles qui auraient justifié que le salarié doive ignorer le nom de ces témoins. Par ailleurs et en tout état de cause, le salarié conteste la matérialité des faits qui sont reprochés, notamment s'agissant de la soirée du 12 décembre 2015. Enfin, la société ne peut utilement faire valoir que cette irrégularité a été sans influence sur le sens des décisions dès lors que l'accès aux témoignages recueillis par l'inspecteur du travail et l'indication du nom de leurs auteurs constituent une garantie pour le salarié, afin que ce dernier puisse présenter utilement sa défense.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société AGCO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 21 janvier 2015 et la décision du 20 juillet 2015.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société AGCO au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société AGCO une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société AGCO est rejetée.
Article 2 : La société AGCO versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société AGCO, à M. D... C... et à la ministre du travail.
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N° 17NC01343