La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/01/2019 | FRANCE | N°18NC02440-18NC02441

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 17 janvier 2019, 18NC02440-18NC02441


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 24 juillet 2018 par lequel le préfet du Haut-Rhin a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes, ainsi que l'arrêté du 1er août 2018 par lequel il a prononcé son assignation à résidence.

Par un jugement n° 1804833 du 10 août 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a annulé les arrêtés attaqués.

Procédure devant la cour :

I. Par une requêt

e enregistrée le 7 septembre 2018 sous le n° 18NC02440, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 24 juillet 2018 par lequel le préfet du Haut-Rhin a ordonné son transfert aux autorités autrichiennes, ainsi que l'arrêté du 1er août 2018 par lequel il a prononcé son assignation à résidence.

Par un jugement n° 1804833 du 10 août 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a annulé les arrêtés attaqués.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 7 septembre 2018 sous le n° 18NC02440, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'annuler le jugement n° 1804833 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg et de rejeter la demande présentée devant ce tribunal par M. B... C....

Le préfet soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. C... au regard des dispositions communautaires et nationales permettant aux Etats membres de conserver une demande de protection internationale ;

- aucun des autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018, M. B... C..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. C...soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.

II. Par une requête enregistrée le 7 septembre 2018 sous le n° 18NC02440, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement no 1804833 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.

Le préfet, qui fonde sa demande sur l'article R. 811-15 du code de justice administrative, soutient que le moyen qu'il soulève dans le cadre de sa requête d'appel analysée ci-avant est sérieux et de nature à justifier l'annulation du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2018, M. B... C..., représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. C...soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est fondé.

M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions en date du 9 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant afghan, est entré en France le 18 mai 2018, selon ses déclarations. Le 29 mai 2018, il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier européen Eurodac a révélé que l'intéressé avait, le 21 mai 2015, déposé une demande d'asile en Autriche. Saisies par le préfet du Haut-Rhin le 4 juillet 2018, les autorités autrichiennes ont expressément accepté, le 10 juillet suivant, de reprendre en charge M. C.... Par un arrêté du 24 juillet 2018, le préfet du Haut-Rhin a décidé du transfert de l'intéressé vers l'Autriche. Par un second arrêté du 1er août 2018, il a assigné M. C... à résidence.

2. Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02440, le préfet du Haut-Rhin relève appel du jugement du 10 août 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces décisions. Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02441, le préfet du Haut-Rhin demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement.

3. Les deux requêtes, nos 18NC02440 et 18NC02441, sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :

4. Pour annuler la décision de transfert de M. C... aux autorités autrichiennes, le premier juge a estimé que cette décision était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que des articles L. 741-1 et L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour retenir ce moyen, le premier juge s'est fondé, d'une part sur la circonstance que les autorités autrichiennes ont d'ores et déjà rejeté la demande d'asile de M. C..., de sorte que son transfert vers l'Autriche aurait pour conséquence son renvoi vers l'Afghanistan, et d'autre part, que ce renvoi impliquerait nécessairement de passer par Kaboul, seul point d'accès au territoire de son pays depuis l'étranger, alors qu'à la date de la décision en litige, la province de Kaboul était en proie à une situation de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne, et d'une intensité telle que l'intéressé y serait exposé à un risque réel.

5. Aux termes du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : reprendre en charge (...) le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre ". Aux termes du 1 de l'article 17 de ce règlement : " (...) chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (... ) ". Selon l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (...) ". Aux termes de l'article L.742-1 du même code : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre État ".

6. Alors que la décision contestée a seulement pour objet de renvoyer M. C... en Autriche, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas soutenu, que la demande d'asile M. C... aurait fait l'objet d'un rejet définitif en Autriche, ni que les autorités autrichiennes auraient pris une mesure en vue de l'éloigner à destination de l'Afghanistan. En outre, l'Autriche est membre de l'Union Européenne et est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités autrichiennes, à la lumière de ces textes qu'elles se sont obligées à mettre en oeuvre, ne procèderont pas, à la requête de l'intéressé ou même d'office, à une évaluation des risques de mauvais traitements auxquels M. C... pourrait être exposé du fait de son éventuel retour en Afghanistan.

7. Dans ces conditions, le préfet du Bas-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert et, par voie de conséquence, la décision d'assignation à résidence, le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré de ce que la première était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... tant devant le tribunal administratif de Strasbourg que devant la cour en appel.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M.C... :

Sur le moyen commun aux décisions de transfert et d'assignation à résidence :

9. Par un arrêté du 20 septembre 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 21 septembre 2016, le préfet du Haut-Rhin a donné à M. Christophe Marx, secrétaire général de la préfecture, délégation à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires relevant des attributions de l'État dans le département du Haut-Rhin, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions concernant le séjour et l'éloignement des étrangers. M. A...était ainsi régulièrement habilité à signer les décisions attaquées. Dès lors, le moyen tiré de ce que ces décisions auraient été signées par une autorité incompétente doit être écarté.

S'agissant de la décision de transfert :

10. En premier lieu, M. C... soutient que la décision a été prise en méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que les informations prévues par cet article ne lui ont pas été communiquées par écrit en langue russe. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ces informations lui ont été communiquées en farsi, dont il ne conteste pas qu'il correspond à l'afghan persan que, par ailleurs, il déclare parler.

11. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié, le 1er juin 2018, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. S'il soutient que cet entretien individuel n'a pas eu un caractère confidentiel et n'a pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national, il n'assortit ces allégations d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

12. En troisième lieu, si M. C... soutient que la décision par laquelle les autorités autrichiennes ont accepté de le reprendre en charge ne lui a pas été notifiée, aucune disposition de droit communautaire ou national ne prévoit cette notification.

13. En quatrième lieu, M. C... ne peut pas utilement soutenir que le préfet a méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales compte tenu des risques qu'il encourt en cas de retour en Afghanistan, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point 6, la décision litigieuse n'a pas pour objet de l'y renvoyer, et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait un tel effet.

S'agissant de l'assignation à résidence :

14. En premier lieu, M. C... soutient qu'il appartient à l'administration de justifier de la communication des informations prévues par l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes duquel : " Les étrangers assignés à résidence sur le fondement des articles L. 552-4 et L. 561-2 se voient remettre une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, sur les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ".

15. Ces dispositions sont relatives à la publicité de la décision d'assignation à résidence. Leur éventuelle méconnaissance est donc sans incidence sur la légalité de cette décision.

16. En deuxième lieu, la décision litigieuse comporte un énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé. En se bornant à soutenir qu'elle n'est motivée ni en droit ni en fait, sans indiquer en quoi l'énoncé qu'elle comporte est insuffisant, M. C... n'assortit pas son moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

17. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'exception d'illégalité de la décision de transfert ne peut qu'être écartée.

18. En quatrième lieu, si M. C... soutient que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en choisissant de l'assigner à résidence plutôt qu'en lui accordant un délai de départ volontaire, il n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Haut-Rhin est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions attaquées. Dès lors, le préfet du Haut-Rhin est fondé à demander l'annulation de ce jugement, ainsi que le rejet de la demande présentée par M. C... devant le tribunal, tandis que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par ce dernier, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

20. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien fondé du jugement du 10 août 2018, les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu de statuer.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet du Haut-Rhin tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement no 1804833 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : Le jugement no 1804833 du 10 août 2018 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. B... C...devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. B... C...en appel sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C....

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin et M. E...de la République près le tribunal de grande instance de Mulhouse.

2

Nos 18NC02440 et 18NC02441


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC02440-18NC02441
Date de la décision : 17/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme STEFANSKI
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : GAUDRON

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-01-17;18nc02440.18nc02441 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award