Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Richard Pascal a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler pour excès de pouvoir la décision de l'inspecteur du travail de la 1ère section de l'unité territoriale des Vosges du 21 septembre 2012 déclarant Mme C...D...inapte à reprendre son poste de travail au sein de l'entreprise et la décision du 21 décembre 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours contre cette décision. Par un jugement n° 1300369 du 14 avril 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Avant cassation :
Par un arrêt n° 15NC01289 du 5 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la société Richard Pascal, annulé ce jugement et ces deux décisions.
Par une décision n° 405465 du 18 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour du 5 juillet 2016 et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.
Après cassation et renvoi :
Par une lettre du 8 janvier 2018, les parties ont été informées du renvoi devant la cour de la requête présentée par la société Richard Pascal, enregistrée sous le n° 17NC03093, et compte tenu du fait nouveau que constitue la cassation, ont été invitées à produire leurs observations.
Par des mémoires, enregistrés les 26 février et 12 mars 2018, la société Richard Pascal, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1300369 du 14 avril 2015 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler la décision du 21 décembre 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 21 septembre 2012 déclarant Mme C...D...inapte à reprendre son poste de travail au sein de l'entreprise ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Richard Pascal soutient que :
- tant la décision de l'inspecteur du travail du 21 septembre 2012 que celle du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 21 décembre 2012 sont insuffisamment motivées en fait, en ce qu'elles ne font pas mention des griefs précis de Mme D...à son encontre ;
- le rapport du médecin inspecteur régional du travail n'est pas suffisamment motivé ;
- les décisions attaquées ont été prises en méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 dès lors que, faute d'avoir été informée des griefs précis formulés à son encontre, elle n'a pas été en mesure de présenter ses observations en toute connaissance de cause ;
- les décisions attaquées sont fondées sur des faits matériellement inexacts et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 2 mars 2018, Mme C...D..., représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Richard Pascal à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme D...soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 24 mai 2018, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
L'instruction a été close le 25 mai 2018.
Un mémoire a été déposé par la société Richard Pascal le 4 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
- le code du travail ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...D...a été embauchée en 2002 en qualité d'employée toutes mains par la société Richard Pascal, qui gère un hôtel-bar-restaurant à l'enseigne " Aux amis de la route " à Pouxeux. Mme D...a bénéficié d'un arrêt maladie du 7 décembre 2011 au 11 mars 2012 pour se faire opérer des canaux carpiens, pathologie dont le caractère de maladie professionnelle n'a pas été reconnu. Elle a bénéficié d'un nouveau congé de maladie du 26 mars au 24 juin 2012. Après avoir rencontré Mme D...à deux reprises et s'être également rendu dans l'entreprise les 5 et 26 juin 2012, le médecin du travail a, le 27 juin 2012, déclaré l'intéressée apte à la reprise de ses fonctions. Saisie d'un recours formé par MmeD..., l'inspectrice du travail de la 1ère section de l'unité territoriale des Vosges a, par une décision du 21 septembre 2012, annulé cet avis d'aptitude et déclaré Mme D...inapte à reprendre toute activité au sein de la société Richard Pascal. Par une décision du 21 décembre 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a rejeté le recours hiérarchique formé par la société Richard Pascal contre la décision de l'inspectrice du travail.
2. Par un arrêt n° 15NC01289 du 5 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Nancy, saisie en appel d'un jugement du 14 avril 2015 du tribunal administratif de Nancy qui avait rejeté la demande d'annulation de la société Richard Pascal, a annulé ces deux décisions.
3. Par une décision n° 405465 du 18 décembre 2017, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.
Sur la légalité des décisions attaquées :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, alors applicable : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. (...) ". Aux termes de l'article L. 4624-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs. / L'employeur est tenu de prendre en considération ces propositions et, en cas de refus, de faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / En cas de difficulté ou de désaccord, l'employeur ou le salarié peut exercer un recours devant l'inspecteur du travail. Ce dernier prend sa décision après avis du médecin inspecteur du travail ".
5. Ces dispositions, qui fixent le contenu des avis du médecin du travail en matière d'aptitude au poste de travail, définissent entièrement les règles de motivation applicables, tant à ces décisions qu'aux décisions prises, sur recours contre ces avis, par l'inspecteur du travail ou, sur recours hiérarchique, par le ministre chargé du travail, à l'exclusion des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, devenues l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
6. La société Richard Pascal fait valoir que l'avis du médecin inspecteur régional du travail du 17 septembre 2012 ainsi que les décisions attaquées de l'inspecteur du travail et du ministre du travail sont entachés d'une insuffisance de motivation dès lors qu'ils ne comportent pas un énoncé complet des considérations de droit et de fait sur lesquelles ils se sont fondés pour estimer que la réalité de l'inaptitude de Mme D...était liée à la dégradation de ses conditions de travail.
7. Il ressort des pièces du dossier que les décisions contestées, font état des griefs de Mme D...envers son employeur, en particulier concernant les conditions de travail au sein de l'établissement, et indiquent que la dégradation de son état psychologique est liée à ces conditions de travail difficiles et à des conditions relationnelles tendues. Elles mentionnent également l'avis établi par le médecin inspecteur régional du travail le 17 septembre 2012, lequel indique avec suffisamment de précision les circonstances de fait sur lesquelles il s'appuie. Dans sa décision du 21 décembre 2012, le ministre chargé du travail fait part, en outre, de ses préconisations relatives aux capacités professionnelles de la salariée, en indiquant que cette dernière serait " apte à un poste similaire dans une autre entreprise, dans un autre contexte professionnel ". Il résulte de ce qui précède que tant l'inspecteur du travail que le ministre, qui ont tous les deux visé l'article L. 4624-1 du code du travail, ont énoncé les considérations de droit et de fait sur lesquelles ils se sont fondés. Le moyen tiré du défaut de motivation doit, dès lors, être écarté.
8. En deuxième lieu, la requérante soutient que les décisions contestées ont été prises en méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 dès lors que, faute d'avoir été informée des griefs précis formulés à son encontre, elle n'a pas été en mesure de présenter ses observations en toute connaissance de cause.
9. Aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 susvisée, devenu l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (...) ".
10. D'une part, ces dispositions ne sont pas applicables à la décision du ministre qui s'est prononcé sur le recours hiérarchique formé par la requérante à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail. D'autre part, il est constant que l'inspectrice de travail s'est prononcée au vu des résultats d'une enquête contradictoire menée dans les locaux de l'entreprise le 12 septembre 2012, avec le médecin inspecteur régional du travail et que la requérante a été entendue dans le cadre de cette enquête dont elle connaissait l'objet. Dans ces conditions, en admettant même qu'elle n'ait pas été informée avec précision de chacun des griefs formulés par Mme D...à son encontre, la société Richard Pascal n'en a pas moins été mise à même de présenter utilement ses observations. Par ailleurs, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait à l'inspectrice du travail, dans le cadre de la procédure contradictoire, de transmettre à la requérante l'avis du médecin inspecteur régional du travail. La circonstance que cet avis ne lui ait été transmis que le 3 mai 2013 est donc sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 doit être écarté.
11. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme D...a bénéficié d'un suivi médical à partir du mois de mars 2012 pour un syndrome dépressif. Il ressort des décisions contestées que l'inspectrice du travail et le ministre ont tous deux estimé que Mme D... était médicalement inapte à reprendre son poste de travail ainsi que tout autre poste dans la société Richard Pascal, au motif que son état de santé était directement lié à la dégradation de son environnement de travail, en particulier sur le plan relationnel.
12. Selon la requérante, ces décisions reposent sur des faits matériellement inexacts et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail le 27 juin 2012 et des attestations de salariés et de clients témoignant favorablement du climat de travail existant dans l'établissement. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à démontrer que Mme D...était apte à reprendre ses fonctions au sein de l'entreprise, alors qu'il ressort tant de l'examen médical de l'intéressée, réalisé par le médecin inspecteur régional du travail, que des entretiens conduits par l'administration avec les principaux protagonistes et de la visite des locaux que les tensions entre Mme D... et son employeur étaient réelles et préjudiciables à la santé de l'intéressée, en particulier sur le plan psychologique, et faisaient obstacle à la reprise de son poste de travail au sein de l'établissement. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Richard Pascal n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Dès lors, ses conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Richard Pascal demande au titre des frais exposés par elle en appel et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Richard Pascal une somme à verser à Mme D...au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Richard Pascal est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme D...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Richard Pascal, au ministre du travail et à Mme C...D....
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
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N° 17NC03093