Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le Groupement d'intérêt économique (GIE) jurassien de gestion des quotas laitiers a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'état exécutoire de 357 312,81 euros émis à son encontre par France Agrimer le 9 octobre 2015 et de le décharger de la somme correspondante.
Par un jugement n° 1501935 du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 novembre 2017, le GIE jurassien de gestion des quotas laitiers, représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 septembre 2017 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) d'annuler l'état exécutoire émis à son encontre le 9 octobre 2015 par France Agrimer ;
3°) de le décharger de la somme de 357 312,81 euros ;
4°) de mettre à la charge de France Agrimer la somme de 3 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du 21 septembre 2017, qui n'est pas signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, méconnait les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'état exécutoire du 9 octobre 2015 ne revêtant pas un caractère confirmatif en raison de changements survenus dans les circonstances de fait et de droit, c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande comme irrecevable ;
- cet état exécutoire n'indique pas les bases de liquidation de la créance en méconnaissance des dispositions de l'article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- il n'a pas été mis à même de contester les éléments du redressement effectué ;
- l'action en recouvrement de la créance alléguée était prescrite à la date du 9 octobre 2015 ;
- il ne peut être tenu pour responsable de faits d'autrui.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2018, l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (France Agrimer), représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du GIE jurassien de gestion des quotas laitiers ;
2°) de mettre à la charge du GIE jurassien de gestion des quotas laitiers la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué n'est assorti d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
- l'état exécutoire du 9 octobre 2015 constitue une décision confirmative dans la mesure où, contrairement à ce soutient le GIE jurassien de gestion des quotas laitiers, aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit n'est intervenu ;
- l'état exécutoire attaqué mentionne les bases de calcul de la somme demandée au GIE conformément aux dispositions de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 ;
- l'état exécutoire attaqué n'ayant pas à être motivé en application de dispositions de la loi du 11 juillet 1979, il n'avait pas plus à être précédé d'une procédure contradictoire ;
- le versement du prélèvement supplémentaire demandé au GIE ne constitue pas une sanction, mais une simple mesure d'exécution des textes communautaires et n'est donc pas soumis aux dispositions de l'article 3§2 du règlement CE n° 2988/95 ;
- le GIE était le seul redevable du prélèvement supplémentaire à l'égard d'Onilait, en lieu et place des laiteries pour le compte desquelles il effectuait les opérations de gestion administrative et comptable nécessaires au versement du prélèvement.
Par ordonnance du 30 mars 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2018.
Un mémoire présenté pour le GIE jurassien de gestion des quotas laitiers a été enregistré le 11 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement CEE n° 3950/92 du 28 décembre 1992 ;
- le règlement CEE n° 536/93 du 9 mars 1993 ;
- le règlement CEE n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;
- le code civil ;
- le code rural ;
- le décret n° 91-157 du 11 février 1991 relatif à la maîtrise de la production de lait de vache et aux modalités de recouvrement d'un prélèvement supplémentaire à la charge des acheteurs et producteurs de lait de vache ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour le GIE jurassien de gestion des quotas laitiers, ainsi que celles de MeB..., pour France Agrimer.
Une note en délibéré, présentée par France Agrimer, a été enregistrée le 18 octobre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupement d'intérêt économique (GIE) jurassien de gestion des quotas laitiers - également dénommé GIE Jura Quotas- a été créé par des sociétés coopératives agricoles et fromagères du Jura pour effectuer pour leur compte les opérations de gestion administrative et comptable nécessaires au versement des prélèvements éventuellement dus par les producteurs en cas de dépassement de leurs quotas laitiers. En 1996, l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onilait) a procédé à un contrôle d'une coopérative adhérente au GIE, la société coopérative fromagère du Longchaumois, dont il est ressorti que cette société avait procédé, au cours des campagnes 1993/1994, 1994/1995, 1995/1996 et une partie de la campagne 1996/1997, à de fausses déclarations des quantités de lait livrées par ses producteurs. La société coopérative fromagère du Longchaumois avait en effet minoré les quantités livrées par ses adhérents d'environ 10 % de façon à leur permettre de ne pas dépasser les quotas laitiers alors en vigueur et ainsi de ne pas avoir à acquitter un prélèvement supplémentaire au titre des quantités livrées en dépassement de leurs quotas de référence. A l'issue de ce contrôle, l'Onilait a évalué le prélèvement supplémentaire dû à la somme de 4 367 546,37 francs. Les 26 janvier et 26 mars 1998, l'Onilait a émis à l'encontre du GIE jurassien de gestion des quotas laitiers deux titres de recettes d'un montant respectif de 1 938 032,10 francs (295 451,09 euros) pour la campagne 1995/1996 et de 1 473 535,59 francs (224 639,05 euros) au titre de la campagne 1994/1995. Le GIE n'a pas contesté ces titres de recettes mais ne s'est acquitté que partiellement des sommes mises ainsi à sa charge. Par un état exécutoire du 9 octobre 2015, France Agrimer, venant aux droits de l'Onilait, a mis à la charge du GIE jurassien de gestion des quotas laitiers une somme de 357 312,81 euros. Le GIE fait appel du jugement du 21 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet état exécutoire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour rejeter la demande présentée par le GIE Jura Quotas comme irrecevable car tardive, le tribunal a considéré, d'une part, que les titres de recettes émis les 26 janvier et 26 mars 1998 étaient devenus définitifs, d'autre part, que l'état exécutoire émis le 9 octobre 2015, qui présente un caractère purement confirmatif, n'avait pu avoir pour effet de rouvrir le délai de recours.
3. Pour contester l'irrecevabilité qui lui a été opposée en première instance, le GIE Jura quotas soutient que l'état exécutoire du 9 octobre 2015 ne présente pas un caractère purement confirmatif compte tenu des changements de circonstance de fait et de droit intervenus entre 1998 et 2015.
4. Le GIE Jura Quotas fait notamment valoir que la créance pour le recouvrement de laquelle l'état exécutoire du 9 octobre 2015 a été émis est prescrite depuis 2001.
5. Aux termes de l'article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans le cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. / (...) 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 ".
6. L'article 2262 du code civil dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 19 juin 2008 prévoyait : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ". Aux termes de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". L'article 26 de cette loi dispose : " I. - Les dispositions de la présente loi qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. II. - Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. III. - Lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation. / La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat. ".
7. Par un arrêt du 5 mai 2011 Ze Fu Fleischhandel GmbH et Vion Trading GmbH, affaires C-201/10 et C-202/10, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le principe de sécurité juridique s'opposait à ce que le délai de la prescription trentenaire, fixé antérieurement à l'intervention de la loi du 17 juin 2008 par l'article 2262 du code civil, puisse être appliqué aux actions des organismes d'intervention agricole lorsqu'ils établissent un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait, ce délai de prescription ne satisfaisant pas au principe de proportionnalité.
8. Par suite, seul le délai de prescription de quatre années prévu par l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement précité était applicable jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 17 juin 2008.
9. En revanche, postérieurement à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 17 juin 2008, France Agrimer peut se prévaloir du bénéfice du nouveau délai de prescription de cinq ans fixé par l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de cette loi sous réserve que, conformément aux dispositions précitées du I de l'article 26 de ladite loi, le délai de prescription quadriennale fixé par le règlement européen ne soit pas expiré au 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.
10. Le GIE Jura Quotas soutient sans être contesté que l'Onilait, devenu France Agrimer, n'a pas cherché à recouvrer les titres de recette émis à son encontre les 26 janvier et 26 mars 1998 avant les 26 janvier et 26 mars 2002, date d'expiration du délai de prescription quadriennale fixé par le règlement européen.
11. Par suite, le GIE Jura Quotas est fondé à soutenir que la créance pour le recouvrement de laquelle l'état exécutoire du 9 octobre 2015 a été émis était prescrite. Cette circonstance constitue une circonstance de fait nouvelle faisant obstacle à ce que l'état exécutoire du 9 octobre 2015 puisse être regardé comme seulement confirmatif des titres de recettes émis les 26 janvier et 26 mars 1998. La demande par laquelle le GIE Jura Quotas a demandé l'annulation de l'état exécutoire émis le 9 octobre 2015 a été enregistrée au tribunal administratif de Besançon le 10 décembre 2015, soit dans le délai de recours contentieux. Cette demande n'étant pas tardive, c'est à tort que le tribunal l'a rejetée comme irrecevable. Par suite, son jugement du 21 septembre 2017 doit être annulé.
12. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par le GIE Jura Quotas devant le tribunal administratif de Besançon.
13. Ainsi qu'il vient d'être dit, les créances pour le recouvrement desquelles l'état exécutoire du 9 octobre 2015 a été émis par France Agrimer à l'encontre du GIE Jura Quotas sont prescrites depuis les 26 mars et 26 mai 2002. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande et de la requête, le GIE Jura Quotas est fondé à demander l'annulation de l'état exécutoire du 9 octobre 2015 et à être déchargé de la somme de 357 312,81 euros.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du GIE Jura Quotas, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par France Agrimer au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de France Agrimer une somme de 1 500 euros à verser au GIE Jura Quotas sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 21 septembre 2017 et l'état exécutoire émis le 9 octobre 2015 par France Agrimer sont annulés.
Article 2 : Le groupement d'intérêt économique jurassien de gestion des quotas laitiers est déchargé de la somme de 357 312,81 euros.
Article 3 : France Agrimer versera au groupement d'intérêt économique jurassien de gestion des quotas laitiers une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par France Agrimer sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au groupement d'intérêt économique jurassien de gestion des quotas laitiers et à France Agrimer.
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N° 17NC02789