Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G...E...et Mme C...F...ont demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner la commune de Chamagne à leur verser la somme de 73 332,46 euros en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de la délivrance, à tort, d'un certificat d'urbanisme positif.
Par un jugement no 1602323 du 18 avril 2017, le tribunal administratif de Nancy a condamné la commune de Chamagne à verser à M. E...et Mme F...une somme de 56 392,96 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 juin et 16 octobre 2017, la commune de Chamagne, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1602323 du 18 avril 2017 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) de rejeter la demande de M. E...et Mme F...;
3°) de condamner M. E...et Mme F...à lui verser une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Chamagne soutient que :
- sa responsabilité ne saurait être engagée à raison du permis de construire délivré le 7 janvier 1999 ;
- sa responsabilité n'est pas engagée du fait du certificat d'urbanisme pré-opérationnel positif du 13 septembre 2011, lequel était, à cette date, conforme à l'état de la jurisprudence ;
- sa responsabilité n'est plus engagée dès lors qu'un certificat d'urbanisme positif a été délivré le 16 mai 2017 ;
- le préjudice allégué est éventuel et n'est établi ni en droit, ni en fait.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2017, M. G...E...et Mme C...F..., représentés par MeB..., concluent au rejet de la requête et, par voie d'appel incident, à la condamnation de la commune de Chamagne à leur verser une somme de 71 231,99 euros, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 13 juillet 2016 et de la capitalisation de ces intérêts, ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. E...et Mme F...soutiennent que :
- l'illégalité du certificat d'urbanisme pré-opérationnel positif du 13 septembre 2011 constitue une faute engageant la responsabilité de la commune à leur égard ;
- la commune ne peut pas, pour faire échec à leur indemnisation, se prévaloir du certificat d'urbanisme positif du 16 mai 2017, qu'elle s'est délivré à elle-même et qui, en tout état de cause, n'est pas légal ;
- le tribunal a mal apprécié leurs préjudices en ce qui concerne les frais d'acquisition qu'ils ont supportés et leur préjudice moral.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme,
- le code rural et de la pêche maritime,
- le code de l'environnement,
- l'arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement ;
- l'arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101, 2102 et 2111 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour la commune de Chamagne, ainsi que celles de MeB..., pour M. E...et MmeF....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 13 septembre 2011, le maire de la commune de Chamagne a délivré au nom de la commune et à la demande du notaire de M. E...et de Mme F...agissant pour leur compte, un certificat d'urbanisme opérationnel positif portant sur la construction d'une maison d'habitation individuelle sur une parcelle cadastrée section OE n° 111, située 80, rue Saint-Denis à Chamagne. Le 30 mars 2012, M. G... E... et Mme C...F...ont acquis cette parcelle en vue d'y réaliser le projet mentionné dans la demande de certificat d'urbanisme. Ayant ensuite décidé de renoncer à leur projet et de revendre le terrain, M. E...et Mme F...ont, le 8 septembre 2015, sollicité la délivrance d'un nouveau certificat d'urbanisme opérationnel. Par un arrêté du 25 septembre 2015, le maire de Chamagne leur a délivré un certificat d'urbanisme négatif.
2. M. E...et MmeF..., qui ont vainement contesté la légalité de cet arrêté devant le tribunal administratif de Nancy, ont parallèlement présenté à la commune, le 14 avril 2016, une réclamation tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité du certificat d'urbanisme positif délivré le 13 septembre 2011. La commune de Chamagne a implicitement rejeté cette réclamation.
3. La commune de Chamagne relève appel du jugement n° 1602323 du 18 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy l'a condamnée à verser à M. E...et Mme F... la somme de 56 392,96 euros à titre d'indemnisation. Par voie d'appel incident, M. E...et Mme F...demandent que leur indemnisation soit portée à la somme de 71 231,99 euros.
Sur l'appel principal de la commune de Chamagne :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune :
4. Aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme : " Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée : (...) / b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus. (...) ". Aux termes de l'article A. 410-5 du même code : " Lorsque la demande porte sur un certificat délivré en application du b de l'article L. 410-1, le certificat d'urbanisme indique : / a) Si le terrain peut ou non être utilisé pour la réalisation de l'opération précisée dans la demande ; / b) L'état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsqu'il indique que le terrain ne peut pas être utilisé pour la réalisation de l'opération, le certificat précise les circonstances de droit et de fait qui motivent la décision et indique les voies et délais de recours ".
5. Aux termes de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l'implantation ou l'extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d'éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l'exception des extensions de constructions existantes. / (...) Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, une distance d'éloignement inférieure peut être autorisée par l'autorité qui délivre le permis de construire, après avis de la chambre d'agriculture, pour tenir compte des spécificités locales. (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que les règles de distance imposées, par rapport notamment aux habitations existantes, à l'implantation d'un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement sont également applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité d'un tel bâtiment agricole. Il appartient ainsi à l'autorité compétente pour délivrer un certificat d'urbanisme en vue de la réalisation d'une opération déterminée de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu'en soit la nature, et de les mentionner le cas échéant dans le certificat d'urbanisme si elles s'opposent à la réalisation de l'opération envisagée.
7. Aux termes de l'article 2.1.1 de l'annexe I de l'arrêté du 7 février 2005 susvisé, applicable aux élevages de bovins, de volailles et/ou de gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement : " Les bâtiments d'élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers (...) ".
8. Il est constant que le terrain d'assiette du projet de construction faisant l'objet du certificat d'urbanisme positif, délivré par le maire de la commune de Chamagne le 13 septembre 2011 sur le fondement du b) de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme précité, est situé, dans sa totalité, à moins de 100 mètres de plusieurs des bâtiments d'élevage de bovins de l'entreprise agricole Chone, placée sous le régime de la déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement. Or, le certificat d'urbanisme litigieux ne fait pas état de la présence de ces bâtiments qui, en application des dispositions précitées de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et de l'article 2.1.1 de l'annexe I de l'arrêté du 7 février 2005, et sous réserve de la dérogation prévue par le quatrième alinéa de l'article L. 111-3, était de nature à faire obstacle à la réalisation du projet de M. E...et de Mme F...sur la parcelle qu'ils ont acquise.
9. La commune ne peut pas utilement soutenir qu'à la date du certificat d'urbanisme litigieux, la jurisprudence administrative, qui se borne à interpréter, à un moment donné, la règle de droit existante sans conférer de droit acquis au maintien de cette interprétation, n'imposait pas à l'autorité compétente en matière d'urbanisme de vérifier le respect des prescriptions contenues dans l'arrêté du 7 février 2005 précité. Elle ne peut pas non plus utilement se prévaloir du certificat d'urbanisme opérationnel positif qu'elle s'est délivré à elle-même le 16 mai 2017, sans être propriétaire du terrain. Au surplus, ce certificat n'a pas d'effet rétroactif et même s'il est fondé sur l'application d'une dérogation, il ne saurait permettre de regarder comme complètes et exactes les informations mentionnées dans le certificat d'urbanisme délivré le 13 septembre 2011.
10. La commune n'est ainsi pas fondée à soutenir que le certificat d'urbanisme positif délivré le 13 septembre 2011, sans qu'elle ait vérifié la présence de bâtiments d'élevage de bovins dans un rayon de 100 mètres, n'est pas entaché d'une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices :
11. Il résulte de l'instruction que, sur la foi des indications trompeuses du certificat d'urbanisme positif délivré le 13 septembre 2011, M. E...et Mme F...ont acquis la parcelle cadastrée section OE n° 111 au prix du mètre carré constructible, alors que ce terrain ne pouvait permettre la construction de la maison d'habitation que les intéressés projetaient d'y édifier et que, sans la délivrance de certificat qui avait été demandé avant l'achat de la parcelle par le notaire chargé de la vente, M. E...et MmeF..., n'auraient pas acquis ce bien.
12. Si M. E...et Mme F...n'ont pas sollicité la délivrance d'un permis de construire pendant la durée de validité du certificat d'urbanisme, cette circonstance est sans incidence dès lors que, d'une part, leurs préjudices résultent directement de l'achat du terrain au prix d'un terrain permettant la réalisation de leur projet de construction, sur la foi des indications erronées du certificat d'urbanisme positif, et que, d'autre part, leur droit à réparation n'est pas subordonné à l'intervention d'une décision ultérieure. Pour les mêmes raisons, la commune ne peut pas se prévaloir de ce que M. E...et Mme F...n'ont pas, avant de demander réparation de leurs préjudices, tenté d'obtenir la dérogation prévue par le quatrième alinéa de l'article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime.
13. Par ailleurs, le certificat d'urbanisme opérationnel positif que s'est délivré la commune le 16 mai 2017 pour la réalisation du projet envisagé par M. E...et Mme F... sur la parcelle litigieuse est sans incidence sur le droit à réparation des intéressés. En effet, ce certificat ne permet pas, en tout état de cause, eu égard à sa nature et à sa portée, d'établir que M. E...et Mme F...pouvaient réaliser leur projet dès 2012 et qu'ils n'ont subi aucun préjudice en achetant le terrain.
14. Il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a regardée comme seule à l'origine des préjudices subis par M. E...et par Mme F...et qu'il l'a condamnée à réparer ces préjudices.
Sur l'appel incident de M. E...et MmeF... :
15. Le préjudice matériel de M. E...et Mme F...correspond, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Nancy, au montant des sommes engagées pour l'acquisition de la parcelle, déduction faite de la valeur vénale de la parcelle au prix du mètre carré non constructible. Les intéressés peuvent également prétendre à l'indemnisation de leur préjudice moral.
16. En premier lieu, il est constant que la commune a versé à M. E...et Mme F... le montant de la condamnation mise à sa charge à la fin du mois de juillet 2017. A ce moment-là au plus tard, les intéressés, qui ne démontrent pas l'inverse, étaient à même de procéder au remboursement par anticipation de l'emprunt qu'ils avaient contracté en mars 2012 pour l'acquisition de la parcelle litigieuse. Les frais financiers et d'assurances qu'ils ont supportés à compter de l'échéance du 10 août 2017 résultent ainsi exclusivement de leur décision de ne pas mettre fin aux contrats de prêt et d'assurance. Dès lors, M. E...et Mme F...ne sont pas fondés à demander le remboursement de ces frais à la commune.
17. Il résulte de l'instruction, en particulier du tableau d'amortissement du crédit contracté, que, depuis l'échéance du 10 avril 2012 jusqu'à celle du 10 juillet 2017 incluse, M. E... et Mme F...ont payé un montant total de 8 068,60 euros au titre des intérêts d'emprunt. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que Mme F...a en outre réglé une cotisation d'assurance mensuelle de 11,42 euros. Si M. E...soutient que le montant mensuel de sa cotisation d'assurance est de 26,15 euros, cette affirmation est contredite par le contrat d'assurance qu'il produit, qui mentionne également la somme de 11,42 euros en ce qui le concerne. Au total, les cotisations d'assurance versées par M. E...et Mme F...sur la même période s'élèvent ainsi à la somme de 1 438,92 euros. Enfin, il ressort des termes du contrat de prêt, qui en autorise le remboursement anticipé, que celui-ci donne lieu " au paiement d'une indemnité égale à la valeur d'un semestre d'intérêts sur le capital remboursé au taux moyen du prêt, sans dépasser 3 % du capital restant dû avant le remboursement ". Compte tenu du montant total des intérêts mentionné dans le contrat, soit 14 654,17 euros, et de la durée du prêt, 15 ans, soit 30 semestres, le montant de l'indemnité de résiliation s'élève ainsi à la somme de 488,47 euros, qui représente moins de 3% du capital restant dû après l'échéance du 10 juillet 2017, d'un montant de 31 818,22 euros selon le tableau d'amortissement.
18. Au total, les frais financiers et d'assurances ayant directement résulté, pour M. E... et MmeF..., des indications erronées du certificat d'urbanisme du 13 septembre 2011, s'élèvent à la somme de 9 995,99 euros. Dès lors que le tribunal leur a alloué, à ce titre, la somme de 10 003,96 euros, ils ne sont pas fondés à se plaindre de son appréciation.
19. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. E...et Mme F...ont payé la somme de 4 532 euros au titre des frais d'acte et d'enregistrement. Le tribunal, compte tenu des frais qu'ils auraient dû exposer pour l'acquisition d'un terrain non constructible, a fixé à 3 000 euros le montant de leur réparation. Si M. E...et Mme F... soutiennent que cette somme doit être portée à 4 000 euros, ils n'apportent aucun élément concret de nature à remettre en cause l'appréciation du tribunal.
20. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal ait fait une inexacte appréciation du préjudice moral subi par M. E...et MmeF..., qui ont effectué des démarches pour acquérir un terrain qui ne permettait pas l'opération qu'ils projetaient et ont dû engager des actions en justice pour faire reconnaître leurs droits à indemnisation, en le fixant à la somme de 500 euros.
21. En conclusion de tout ce qui précède, la commune de Chamagne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy l'a condamnée à payer à M. E...et Mme F...la somme de 56 392,96 euros et M. E... et Mme F...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a limité la réparation de leurs préjudices à cette somme.
22. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'une ou l'autre des parties une somme à verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Chamagne est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'appel incident de M. E...et Mme F...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Chamagne et à M. G...E...et Mme C...F....
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
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N° 17NC01334