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19/10/2017 | FRANCE | N°16NC02880

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 19 octobre 2017, 16NC02880


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 décembre 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'indemnisation des congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994 en tant que personnel naviguant au sein du groupement d'hélicoptère de la sécurité civile de la base de Strasbourg, et de condamner l'État à lui verser la somme de 66 964,60 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa requête, en

réparation des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par le jugement n° 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 décembre 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'indemnisation des congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994 en tant que personnel naviguant au sein du groupement d'hélicoptère de la sécurité civile de la base de Strasbourg, et de condamner l'État à lui verser la somme de 66 964,60 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de sa requête, en réparation des préjudices financier et moral qu'il a subis.

Par le jugement n° 1102272 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'État à verser à M. C... une somme de 5 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci, en réparation de son préjudice moral.

Par son arrêt n° 14NC00323 du 19 mars 2015, la cour administrative d'appel de Nancy, sur appel de M.C..., a porté à 20 000 euros outre intérêts au taux légal et capitalisation, la somme mise à la charge de l'État en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. C....

Par son ordonnance n° 390427 du 21 décembre 2016, le Conseil d'État statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de l'intérieur, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 19 mars 2015 et renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 février 2014, le 10 mars 2017 et le 21 juillet 2017, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1102272 du 19 décembre 2013 en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 5 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'État en réparation des préjudices qu'il a subis ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 66 970 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 6 septembre 2013, en réparation des préjudices résultant pour lui de ce qu'il a été privé des repos compensateurs accumulés avant le 6 décembre 1994 ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C... soutient que :

- il résulte de la décision du Conseil d'État n° 297702 du 12 décembre 2008 que la suppression de ses repos compensateurs, accumulés avant le 6 décembre 1994, constitue une illégalité engageant la responsabilité de l'administration ;

- les dispositions de l'arrêté du 19 août 1997 lui ouvrent droit à rémunération ;

- il doit être indemnisé sur la base d'un taux horaire calculé au regard des revenus dont il a été privé ;

- les heures supplémentaires donnent lieu à une indemnisation en application du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État ;

- l'administration ne saurait se prévaloir de ce qu'elle n'a pas mis en oeuvre de régime d'indemnisation ;

- il subit un préjudice pécuniaire dès lors qu'il lui a été impossible de profiter de ses repos compensateurs avant son admission à la retraite ;

- l'absence d'indemnisation constituerait une rupture d'égalité par rapport à ses collègues admis à la retraite après le 12 décembre 2008, ainsi qu'un enrichissement sans cause de l'État ;

- il a été privé de 270,5 jours, correspondant à 2110 heures de repos compensateurs, qui doivent être évalués, sur la base d'un taux horaire de 27,3 euros, à 56 970 euros ;

- son préjudice moral et les troubles subis dans ses conditions d'existence doivent être évalués à 10 000 euros ou, si la cour n'admettait pas son préjudice matériel, à 66 970 euros ;

- la publication de l'arrêté du 6 décembre 1994 n'a jamais été établie par le ministre de l'intérieur ; en l'absence de toute preuve d'une publication régulière, aucune prescription quadriennale ne peut être retenue en l'espèce ;

- un arrêté réglementaire ne peut être régulièrement publié dans un bulletin officiel, en application du décret du 22 septembre 1979 relatif à la publication des documents administratifs, et de l'arrêté ministériel du 11 septembre 1980 définissant le bulletin officiel du ministère de l'intérieur ; en l'espèce aucune date de publication n'a été établie par le ministère de l'intérieur ;

- le refus d'indemniser les agents ayant été contraints d'engager une action serait discriminatoire entre les agents du groupement alors qu'il résulte d'une décision réglementaire illégale et que les congés sont à nouveau accordés aux agents partant à la retraite depuis 2009 ; cette situation méconnaît les stipulations des articles 4, 14 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'État devra être condamné à l'indemniser à hauteur de 66 964,60 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2014 et le 27 juin 2017, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de M.C... ;

2°) par la voie de l'appel incident d'annuler le jugement n° 1102272 du 19 décembre 2013.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par M. C...ne sont pas fondés ;

- la créance de M. C...est prescrite.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 ;

- le décret n° 2002-146 du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la direction de la défense et de la sécurité civiles ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur ;

- l'arrêté du 19 août 1997 portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lambing,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public ;

- et les observations de Me D..., substituant MeA..., représentant M. C....

1. Considérant que M. C...a exercé les fonctions de mécanicien opérateur de bord auprès de la direction de la sécurité civile jusqu'au 22 mai 2005, date à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite ; que les agents du groupement d'hélicoptères, en cas de dépassement de la durée de travail hebdomadaire, bénéficiaient de repos compensateurs totalisés chaque année pour leur permettre de bénéficier d'un congé rémunéré à prendre immédiatement avant leur départ à la retraite ; que, toutefois, par un arrêté du 6 décembre 1994, le ministre de l'intérieur a annulé tous " les congés récupérateurs acquis par les personnels navigants du groupement d'hélicoptères et non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 " fixant le régime applicable à ces personnels ; que le Conseil d'État ayant jugé, par une décision du 12 décembre 2008, que cet arrêté du 6 décembre 1994 était illégal, M. C...a, par un courrier adressé au ministre de l'intérieur le 30 septembre 2009, sollicité une indemnisation au titre des jours de repos compensateurs dont il n'a pu bénéficier avant son départ à la retraite ; que M. C... a contesté le refus du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Strasbourg, qui, par jugement du 19 décembre 2013, a fixé à 5 000 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'État en réparation de ses préjudices ; que la cour administrative d'appel de Nancy a porté cette indemnité à 20 000 euros par son arrêt du 19 mars 2015 ; que, sur pourvoi du ministre de l'intérieur, le Conseil d'État a annulé cet arrêt par une ordonnance du 21 décembre 2016 et renvoyé l'affaire à la cour ;

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre de l'intérieur :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, ci-dessus visée, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance " ; que lorsque la créance d'un agent porte sur la réparation du préjudice résultant de l'illégalité d'une disposition réglementaire qui a porté atteinte, par elle-même, aux droits qu'il avait acquis du fait des services accomplis jusqu'alors, son fait générateur doit être rattaché à l'année au cours de laquelle cette disposition a été régulièrement publiée, sans que l'agent ne puisse être regardé comme ignorant légitimement l'existence d'une telle créance jusqu'à ce qu'ait été révélée l'illégalité dont la disposition était entachée ;

3. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas non plus établi par le ministre de l'intérieur, que l'arrêté du 6 décembre 1994, qui n'a fait l'objet d'aucune publication au Journal Officiel, aurait été publié au Bulletin officiel du ministère de l'intérieur ou tout autre recueil ; que, dès lors, M. C... n'a pas eu connaissance du fait générateur des préjudices subis avant le 12 décembre 2008, date de la décision par laquelle le Conseil d'État, statuant au contentieux, a jugé illégal l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 ; que, par suite, le délai de prescription quadriennale n'a pu courir, en l'espèce, qu'à compter du 1er janvier 2009 ; que, comme il a été précédemment rappelé, M. C... a saisi l'administration d'une demande avant la fin de l'année 2009 ; que l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre, par la voie d'un appel incident, doit donc, en l'espèce, être écartée ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne l'existence d'une faute :

4. Considérant que, par un arrêté du 6 décembre 1994, le ministre de l'intérieur a décidé l'annulation de l'ensemble des congés récupérateurs acquis par les personnels navigants du groupement d'hélicoptères, non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile ; que cet acte réglementaire a ainsi porté une atteinte illégale aux droits acquis par M. C...qui avait accumulé 270,5 jours de repos compensateurs avant le 7 décembre 1994, date de publication du décret susmentionné ; que, dès lors, cette illégalité commise dans l'exercice du pouvoir réglementaire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard de M. C...;

5. Considérant, en revanche, que, d'une part, le préjudice invoqué, résultant de la perte de jours de repos compensateurs non pris, qui est susceptible d'être invoqué par l'ensemble des membres du personnel navigant du groupement d'hélicoptères, ne constitue pas un préjudice spécial susceptible d'engager la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que, d'autre part, si le requérant se prévaut d'un enrichissement sans cause de l'État, il est constant que le service effectué au cours de la période précédant son départ à la retraite, au cours de laquelle il aurait souhaité utiliser ses congés récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ;

6. Considérant, enfin, que M. C...se prévaut de la méconnaissance des stipulations des articles 4, 14 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdisant l'esclavage et le travail obligatoire, les discriminations ainsi que l'abus de droit ; que la situation du requérant n'entre pas dans les prévisions des stipulations de ces articles ; que par suite, la responsabilité de l'État ne saurait être engagée pour non respect d'engagements internationaux de la France ;

En ce qui concerne les préjudices :

7. Considérant en premier lieu, qu'aux termes de l'article 20 de la loi 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire " ; que les dispositions de l'arrêté du 19 août 1997 portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères prévoient seulement que les jours de service supplémentaire donnent lieu à des repos compensateurs ;

8. Considérant que M. C...invoque un préjudice financier correspondant à l'absence de rémunération des jours accumulés sur la base du traitement mensuel qu'il percevait avant son départ à la retraite, l'intéressé n'ayant pu profiter des repos compensateurs correspondants ; que l'arrêté du 19 août 1997 ne prévoit aucun complément de rémunération dans l'hypothèse où ces repos ne pourraient être effectivement pris ; que le décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État invoqué par le requérant n'est pas applicable à sa situation dès lors que les agents de la direction de la défense et de la sécurité civile relèvent du décret du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos ; que ce décret ne prévoit qu'une compensation au titre du régime indemnitaire ou l'octroi de repos compensateurs ; que par conséquent, l'absence de possibilité de prendre ces jours avant son départ effectif du service n'a donné lieu à aucune perte de revenu ; que, par suite, le requérant n'établit pas le préjudice financier dont il demande réparation ;

9. Considérant, en second lieu, M. C...a été illégalement privé de la possibilité de prendre ses 270,5 jours de repos compensateurs ; que ces repos devaient compenser une charge de travail importante, réalisée dans des conditions pénibles ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par le requérant dans ses conditions d'existence ainsi que de son préjudice moral en évaluant ces chefs de préjudice à la somme globale de 25 000 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'État à réparer les préjudices subis par M. C...; que celui-ci est fondé à soutenir que l'indemnité allouée en réparation de ses préjudices doit être portée de 5 000 à 25 000 euros ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

11. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la sommation de payer le principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que M. C... demande à ce que les sommes qui lui sont dues portent intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011, date d'enregistrement de sa demande au tribunal ; qu'il y a lieu, dès lors, comme le demande le requérant, de fixer le point de départ des intérêts sur la somme de 25 000 euros au 10 mai 2011 ;

12. Considérant, en second lieu, que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. C... dans un mémoire enregistré le 6 septembre 2013 ; qu'à cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts ; qu'il sera procédé à la capitalisation à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

D É C I D E :

Article 1er : La somme que l'État est condamné à verser à M. C... est portée de 5 000 euros à 25 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011. Les intérêts, échus à la date du 6 septembre 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à M. C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C...et les conclusions d'appel incident du ministre de l'intérieur sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et au ministre de l'intérieur.

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N° 16NC02880


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