Vu la requête, enregistrée le 20 février 2014, présentée pour M. B... C..., demeurant..., par la société d'avocats Huglo Lepage et associés ;
M. C... demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1102272 du 19 décembre 2013 en tant que, par ce jugement, celui-ci a limité à la somme de 5 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation des préjudices qu'il a subis ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 66 970 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2011 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 6 septembre 2013, en réparation des préjudices résultant pour lui de ce qu'il a été privé des repos compensateurs accumulés avant le 6 décembre 1994 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il résulte de la décision du Conseil d'Etat n° 297702 du 12 décembre 2008 que la suppression de ses repos compensateurs, accumulés avant le 6 décembre 1994, constitue une illégalité engageant la responsabilité de l'administration ;
- les dispositions de l'arrêté du 19 août 1997 lui ouvrent droit à rémunération ;
- il doit être indemnisé sur la base d'un taux horaire calculé au regard des revenus dont il a été privé ;
- les heures supplémentaires donnent lieu à une indemnisation en application du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat ;
- l'administration ne saurait se prévaloir de ce qu'elle n'a pas mis en oeuvre de régime d'indemnisation ;
- il subit un préjudice pécuniaire dès lors qu'il lui a été impossible de profiter de ses repos compensateurs avant son admission à la retraite ;
- l'absence d'indemnisation constituerait une rupture d'égalité par rapport à ses collègues admis à la retraite après le 12 décembre 2008, ainsi qu'un enrichissement sans cause de l'Etat ;
- il a été privé de 270,5 jours, correspondant à 2110 heures de repos compensateurs, qui doivent être évalués, sur la base d'un taux horaire de 27,3 euros, à 56 970 euros ;
- son préjudice moral et les troubles subis dans ses conditions d'existence doivent être évalués à 10 000 euros ou, si la cour n'admettait pas son préjudice matériel, à 66 970 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 11 juin 2014 au ministre de l'intérieur, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu l'ordonnance, en date du 16 septembre 2014, fixant la clôture d'instruction au 14 octobre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2014, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête et à l'annulation du jugement attaqué ;
Le ministre fait valoir que :
- le requérant n'a droit à aucune indemnisation à raison des repos compensateurs non pris dès lors qu'aucune disposition n'en prévoit la rémunération ;
- l'action du requérant est prescrite dès lors que ce dernier a eu connaissance du fait générateur de sa créance avant le 6 décembre 1994, en cumulant ses jours de repos compensateurs ;
Vu l'ordonnance en date du 14 octobre 2014 rouvrant l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;
Vu les mémoires, enregistrés les 18 et 23 février 2015, présentés pour M.C... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile ;
Vu le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat ;
Vu le décret n° 2002-146 du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la direction de la défense et de la sécurité civiles ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur ;
Vu l'arrêté du 19 août 1997 portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 février 2015 :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, premier conseiller,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., pour M.C... ;
1. Considérant que M. C...a exercé les fonctions de mécanicien opérateur de bord auprès de la direction de la sécurité civile jusqu'au 22 mai 2005, date à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite ; qu'il a, par un courrier adressé au ministre de l'intérieur le 30 septembre 2009, sollicité une indemnisation au titre des jours de repos compensateurs accumulés avant le 6 décembre 1994, dont il n'a pu bénéficier avant son départ à la retraite ; que M. C...fait appel du jugement du 19 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a limité à 5 000 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat en réparation de ses préjudices et demande une réévaluation de cette indemnité ; que, par la voie d'un appel incident, le ministre de l'intérieur demande l'annulation du jugement attaqué ;
Sur la rémunération des jours de repos compensateurs :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire. " ; que pour obtenir une rémunération au titre des jours de repos compensateurs non pris, M. C...ne saurait se prévaloir des dispositions de l'arrêté du 19 août 1997 portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères, en application desquelles les jours de service supplémentaire donnent lieu à des repos compensateurs, dès lors que ce texte ne prévoit aucun complément de rémunération dans l'hypothèse où ces repos ne pourraient être effectivement pris ; que le requérant ne saurait non plus se prévaloir des dispositions de l'article 4 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, dès lors que les agents de la direction de la défense et de la sécurité civiles relèvent du décret du 7 février 2002 susvisé, dont l'article 4 prévoit que ces agents " bénéficient, en contrepartie de leurs sujétions de fonctions, soit d'une compensation au titre du régime indemnitaire qui leur est applicable, soit de repos compensateurs " ; que, par suite, en l'absence de disposition législative ou réglementaire prévoyant le versement d'une indemnité au titre des jours de repos compensateurs non pris, M. C...n'est pas fondé à en demander le paiement ;
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne l'existence d'une faute :
3. Considérant que, par un arrêté du 6 décembre 1994, le ministre de l'intérieur a décidé l'annulation de l'ensemble des congés récupérateurs acquis par les personnels navigants du groupement d'hélicoptères, non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile ; que cet arrêté a ainsi porté une atteinte illégale aux droits acquis par M. C...qui avait accumulé 270 jours de repos compensateurs avant le 7 décembre 1994, date de publication de ce décret ; que, dès lors, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard ;
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que, lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit et que le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé, la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés ; qu'il en va cependant différemment lorsque, comme en l'espèce, la créance de l'agent porte sur la réparation d'une mesure illégalement prise à son encontre ; qu'en pareille hypothèse, comme dans tous les autres cas où est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché, non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise, mais à celui au cours duquel elle a été régulièrement notifiée ;
5. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que la décision annulant les jours de repos compensateurs accumulés par M. C...avant le 7 décembre 1994 lui aurait été notifiée ; que, par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à opposer l'exception de prescription quadriennale aux créances dont se prévaut le requérant et qui trouvent leur cause dans l'annulation illégale de ses jours de repos compensateurs ;
En ce qui concerne le préjudice financier :
6. Considérant, en premier lieu, que si M. C...invoque un préjudice financier correspondant à la valorisation des jours accumulés sur la base du traitement mensuel qu'il percevait avant son départ à la retraite, l'absence de possibilité de prendre ces jours avant son départ effectif du service n'a donné lieu à aucune perte de revenu ; qu'ainsi, le requérant n'établit pas le préjudice financier dont il demande réparation ;
7. Considérant, en deuxième lieu, ainsi qu'il a déjà été dit, qu'aucune disposition ne prévoit une rémunération sous une forme pécuniaire des repos compensateurs au bénéfice des agents de la direction de la défense et de la sécurité civiles, que ceux-ci soient en activité ou aient été admis à la retraite ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'absence d'indemnisation du préjudice financier qu'il prétend subir constituerait une rupture d'égalité à l'égard de ses collègues encore en activité ; qu'au surplus, si M.C..., désormais retraité, se trouve privé de la possibilité de bénéficier de ses repos compensateurs, contrairement à ses collègues en activité, il est en mesure de demander l'indemnisation de ce préjudice, ainsi qu'il sera précisé ci-après ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'il est constant que le service effectué par le requérant avant son départ à la retraite, au cours duquel il ne lui a pas été possible de bénéficier de ses repos récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ; que, dans ces conditions, il n'est pas fondé à se prévaloir d'un prétendu enrichissement sans cause de l'Etat ;
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
9. Considérant que l'annulation illégale des jours de repos compensateurs accumulés par M. C...avant le 7 décembre 1994 est à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être évalués, dans les circonstances de l'espèce, à 20 000 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à réparer les préjudices subis par M. C...; que celui-ci est fondé à soutenir que l'indemnité allouée en réparation de ses préjudices doit être portée de 5 000 à 20 000 euros ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à M. C...en réparation de ses préjudices est portée de 5 000 euros à 20 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de l'intérieur.
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N° 14NC00323