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20/07/2017 | FRANCE | N°16NC02161

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 20 juillet 2017, 16NC02161


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Quadran a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les deux arrêtés du 17 septembre 2014 par lesquels le préfet de la Meuse a rejeté ses demandes de permis de construire pour la réalisation d'un parc éolien comportant un total de dix aérogénérateurs et trois postes de livraison, sur le territoire des communes de Montzéville et d'Esnes-en-Argonne.

Par un jugement no 1403108 du 29 juillet 2016, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant

la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 septembre 2016 et 3 avril 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Quadran a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler les deux arrêtés du 17 septembre 2014 par lesquels le préfet de la Meuse a rejeté ses demandes de permis de construire pour la réalisation d'un parc éolien comportant un total de dix aérogénérateurs et trois postes de livraison, sur le territoire des communes de Montzéville et d'Esnes-en-Argonne.

Par un jugement no 1403108 du 29 juillet 2016, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 septembre 2016 et 3 avril 2017, la société Quadran, représentée par MeN..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement no 1403108 du 29 juillet 2016 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) d'annuler les deux arrêtés du 17 septembre 2014 ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer les permis de construire sollicités dans un délai d'un mois ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Quadran soutient que :

- les arrêtés sont insuffisamment motivés ;

- les arrêtés sont entachés d'une erreur de fait et d'une erreur de droit en ce qu'ils sont motivés par un risque de remise en cause du classement des sites mémoriels au patrimoine mondial de l'Unesco ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme ;

- les arrêtés sont entachés de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2017, le ministre chargé de l'environnement conclut au rejet de la requête.

Le ministre soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 3 et 20 avril 2017, l'association Meuse Argonne environnement, MM. A...P..., C...E..., L...D..., B...I...O..., MM. M...K..., Q...-A... F...et J...H..., représentés par Me G..., concluent au rejet de la requête.

Par un mémoire, enregistré le 20 avril 2017, la société Quadran conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.

Elle soutient, en outre, que les personnes physiques intervenantes sont dépourvues d'intérêt pour agir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, premier conseiller,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de Me N...pour la société Quadran, ainsi que celles de Me G...pour l'association Meuse Argonne environnement et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 septembre 2013, la société Quadran a sollicité la délivrance de deux permis de construire en vue d'édifier six éoliennes et deux postes de livraison sur le territoire de la commune d'Esnes-en-Argonne et quatre éoliennes et un poste de livraison sur celui de la commune de Montzéville, le tout formant un parc éolien. Par deux arrêtés du 17 septembre 2014, le préfet de la Meuse a refusé de délivrer les autorisations sollicitées.

2. La société Quadran relève appel du jugement du 29 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la recevabilité de l'intervention de MM. A...P..., C...E..., L...D..., B...I...O..., MM. M...K..., Q...-A... F...et J...H... :

3. Il ressort des pièces du dossier que MM. P..., E..., D..., K..., F...et H...et B...O...résident soit dans la commune de Montzéville, soit dans la commune d'Esnes-en-Argonne, sur le territoire desquelles la société Quadran projette d'implanter les éoliennes litigieuses. Leurs maisons d'habitation sont situées à une distance de 1 150 mètres à 1 800 mètres des endroits où ces dispositifs seraient érigés. En outre, plusieurs d'entre eux seront visibles depuis leurs résidences.

4. Dès lors, ces personnes physiques justifient d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué pour leur permettre d'intervenir à l'instance au soutien des conclusions tendant au rejet de la requête.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe des arrêtés attaqués :

5. Les arrêtés attaqués mentionnent qu'ils sont pris sur le fondement de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme. Ils indiquent que plusieurs sites mémoriels liés aux champs de bataille de Verdun, tels le fort de Douaumont, la tour de Montfaucon et la butte de Vauquois, se situent en co-visibilité partielle avec le parc éolien envisagé, ajoutent que l'implantation d'éoliennes risque de remettre en cause le classement de ces sites au patrimoine mondial de l'Unesco " paysages et sites de mémoires de la Grande Guerre ", avant de conclure que le caractère industriel du parc d'aérogénérateurs dans un secteur dédié aux lieux de mémoire est de nature à porter atteinte à l'intérêt des sites actuellement préservés sur le plan paysager.

6. Ainsi, les arrêtés attaqués rappellent les dispositions réglementaires dont le préfet a fait application et énoncent les considérations de fait se rapportant à ces dispositions, tenant à la nature des constructions projetées et au caractère des sites concernés, qui constituent le fondement de ses décisions.

7. Dès lors, la société Quadran n'est pas fondée à soutenir qu'ils sont insuffisamment motivés.

En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés attaqués :

8. Aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales ".

9. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites ou aux paysages naturels, l'autorité administrative peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte aux sites ou paysages naturels de nature à justifier le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il appartient à cette autorité d'apprécier, dans un premier temps, la qualité des sites ou paysages naturels avoisinants et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses dimensions, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance des intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-21 cité ci-dessus.

10. En premier lieu, il ressort des termes des deux arrêtés que les décisions sont fondées sur un motif unique, tiré de l'atteinte à l'intérêt de sites actuellement préservés sur le plan paysager. La mention du risque de remise en cause du classement de ces sites au patrimoine mondial de l'Unesco " paysages et sites de mémoires de la Grande Guerre " est faite " au surplus ", selon les termes des arrêtés, et ne peut donc être regardée comme un motif des décisions contestées. Au demeurant, un tel classement est de nature à renforcer l'intérêt des sites en cause pour l'application de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme et la formulation adoptée par le préfet doit s'entendre comme signifiant non que le classement est déjà effectif mais que l'implantation du parc éolien projeté est de nature à y faire obstacle.

11. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les arrêtés attaqués sont entachés d'une erreur de fait et d'une erreur de droit du fait de la mention de ce classement.

12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, qui porte sur l'implantation de dix éoliennes, d'une hauteur de 150 mètres en bout de pales, sur le territoire des communes de Montzéville et Esnes-en-Garonne, est situé à 8 kilomètres à l'est de la butte de Vauquois, à 7 kilomètres au sud-est de la butte de Montfaucon et à 15 kilomètres à l'ouest de l'ossuaire de Douaumont et du fort de Douaumont.

13. La butte de Vauquois, le fort de Douaumont et le monument américain situé sur la butte de Montfaucon sont classés au titre des monuments historiques. Quant à l'ossuaire et le fort de Douaumont, qui dominent le champ de bataille de Verdun, il était, à la date des arrêtés attaqués, projeté d'engager une procédure en vue de leur classement au patrimoine mondial de l'Unesco.

14. Il ressort des pièces du dossier que les éoliennes, situées à seulement 7 kilomètres de la butte de Montfaucon, seront identifiables à l'horizon depuis le pied du monument américain et que les éoliennes de la partie nord du parc seront visibles en superposition de la plateforme d'observation, en haut de la tour du monument américain, qui offre à la vue un panorama ouvert à 360° sur un territoire d'environ 30 kilomètres, tandis que les machines nos 9 et 10 se détacheront sur l'horizon. Les éoliennes, masquées seulement en partie par un écran boisé, seront également visibles, de manière frontale, depuis l'une des tables d'orientation de la butte de Vauquois. Le projet sera aussi visible dans son ensemble, par temps dégagé, depuis la tour d'observation de l'ossuaire de Douaumont et le fort de Douaumont.

15. La requérante soutient que trois autres parcs éoliens sont déjà construits dans le secteur, qui ne mériterait ainsi pas la qualification de site préservé. Elle ajoute que l'impact visuel du parc projeté est d'autant plus réduit que, depuis la tour du monument américain, il s'inscrit dans le même angle de vision que ces trois parcs. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ces trois parcs sont nettement plus éloignés et donc, moins visibles, puisque celui de Souilly est situé à une vingtaine de kilomètres de la tour, celui de Mulsonnier à 25 kilomètres et celui de la Haie Jolie, à 29 kilomètres, alors que le parc litigieux n'est qu'à 7 kilomètres. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces trois parcs soient également visibles depuis les autres sites.

16. Le parc éolien en litige est ainsi visible, en tout ou partie, depuis quatre sites mémoriels emblématiques. Si la distance qui le sépare de ces sites atténue l'impact de sa présence dans le paysage, il ressort néanmoins des pièces du dossier qu'il est de nature, eu égard à l'intérêt culturel et historique particulièrement remarquable de ces sites, à leur porter atteinte.

17. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet a commis une erreur d'appréciation en refusant, pour ce motif, de lui délivrer les permis de construire sollicités.

18. En troisième et dernier lieu, si la requérante soutient que le préfet, après avoir dans un premier temps envisagé de lui délivrer ces autorisations, aurait brutalement changé d'avis par un revirement " visiblement politique ", le détournement de pouvoir ainsi allégué n'est pas établi.

19. En conclusion de tout ce qui précède, la société Quadran n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation des deux arrêtés du 17 septembre 2014 par lesquels le préfet de la Meuse a rejeté ses demandes de permis de construire pour la réalisation d'un parc éolien comportant dix aérogénérateurs et trois postes de livraison, sur le territoire des communes de Montzéville et d'Esnes-en-Argonne. Ses conclusions à fin d'annulation ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, dès lors, être rejetées.

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de l'association Meuse Argonne environnement, MM. A...P..., C...E..., L...D..., B...I...O..., MM. M...K..., Q...-A... F...et J...H...est admise.

Article 2 : La requête de la société Quadran est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Quadran, au ministre de la transition écologique et solidaire, à l'association Meuse Argonne environnement, à M. A... P..., à M. C...E..., à M. L...D..., à Mme I...O..., à M. M... K..., à M. Q...-A... F...et à M. J...H....

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N°16NC02161


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC02161
Date de la décision : 20/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-025-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Nature de la décision. Refus du permis.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : SELARL DLGA

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-07-20;16nc02161 ?
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