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30/03/2017 | FRANCE | N°16NC02477-16NC02478

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 30 mars 2017, 16NC02477-16NC02478


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2016 par lequel le préfet du Doubs a décidé de le remettre aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante cinq jours.

Par un jugement n° 1601712 du 26 octobre 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires compléme

ntaires, enregistrés les 10 novembre 2016, 16 et 23 janvier 2017 sous le n° 16NC02477, M. C...A..., re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2016 par lequel le préfet du Doubs a décidé de le remettre aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante cinq jours.

Par un jugement n° 1601712 du 26 octobre 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 10 novembre 2016, 16 et 23 janvier 2017 sous le n° 16NC02477, M. C...A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1601712 du 26 octobre 2016 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2016 par lequel le préfet du Doubs a décidé de le remettre aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile dans un délai de 5 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. A...soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il avait sollicité la présence à l'audience d'un interprète en langue pachtou et qu'il n'a pas été fait droit à sa demande ;

- le préfet a fait une inexacte application de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en ne poursuivant pas l'examen des critères de détermination de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile, alors qu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Hongrie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, entraînant le risque d'un traitement contraire à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le préfet aurait dû faire application des dispositions du § 1 de l'article 17 du même règlement ;

- la décision du préfet de l'assigner à résidence est illégale du fait de l'illégalité de la décision de le remettre aux autorités hongroises.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2017, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

II. Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 10 novembre 2016, 16 et 23 janvier 2017 sous le n° 16NC02478, M. C...A..., représenté par MeB..., demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1601712 du 26 octobre 2016 du tribunal administratif de Besançon ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que l'exécution de la décision de remise aux autorités hongroises risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et que les moyens énoncés dans sa requête - qui sont visés au I ci-dessus - sont sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2017, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

Par décision du 8 décembre 2016 du bureau d'aide juridictionnelle, M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C...A..., ressortissant afghan, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, le 15 juillet 2016. Le 16 août 2016, il a présenté une demande d'asile. La consultation du fichier Eurodac a fait apparaître qu'il avait été préalablement identifié en Hongrie. Le 20 septembre 2016, le préfet du Doubs a saisi les autorités hongroises d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Cette demande a été implicitement acceptée le 5 octobre 2016. Le 18 octobre 2016, le préfet du Doubs a donc décidé de remettre M. A...aux autorités hongroises et, dans l'attente, de l'assigner à résidence pour une durée maximale de 45 jours.

2. M. A...relève appel du jugement du 26 octobre 2016 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

3. Les requêtes nos 16NC02477 et 16NC02478 de M. A...étant dirigées contre un même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement :

4. En vertu du chapitre III du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 fixant les critères de détermination de l'Etat responsable d'une demande d'asile et notamment du paragraphe 1 de son article 13, " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n°603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ". Aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 de ce règlement : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Enfin, aux termes de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

5. Il résulte de ces dispositions que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans " l'État membre responsable " de la demande d'asile au sens du règlement précité, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

6. La Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que quelques jours avant l'adoption par le Parlement européen, le 16 décembre 2015, d'une résolution faisant état de la situation critique des demandeurs d'asile en Hongrie, la Commission européenne a ouvert, le 10 décembre 2015, une procédure d'infraction à l'encontre de ce pays, en relevant notamment que sa procédure d'asile était incompatible sur plusieurs points avec le droit de l'Union européenne, et en particulier avec la directive n° 2013/32/UE relative aux procédures d'asile.

8. La Commission européenne relève que les demandeurs d'asile en Hongrie ne peuvent présenter de faits et circonstances nouveaux à l'appui de leur recours, que la Hongrie n'applique pas d'effet suspensif à l'introduction des recours, contraignant les demandeurs d'asile à quitter le territoire hongrois avant l'expiration du délai de recours ou avant qu'il n'ait été statué sur ce dernier, que leur droit à l'interprétation et à la traduction est méconnu, et que la nouvelle législation hongroise sur le contrôle juridictionnel des décisions de rejet est susceptible de méconnaître le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

9. Par ailleurs, se fondant sur les constatations faites en Hongrie à la fin du mois de novembre 2015 par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ledit Conseil a relevé dans un communiqué du 13 janvier 2016 la pratique des autorités hongroises consistant à placer les demandeurs d'asile dans des centres de rétention administrative - où s'applique un régime de détention restrictif - sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention.

10. Sans préjudice de la réalité des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs en Hongrie, ces différents éléments fournissaient, au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement précité, des raisons suffisamment sérieuses de croire à l'existence de telles défaillances à la date de la décision attaquée.

11. Le préfet se prévaut d'un arrêt C-695/15 du 17 mars 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne estimant conformes au droit européen plusieurs dispositions de la législation hongroise et ne sanctionnant pas les autres. Cependant, il ressort de cet arrêt que la Cour s'est bornée, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, à répondre aux seules questions qui lui étaient soumises, dont aucune ne se rattachait aux points mentionnés ci-dessus. L'arrêt invoqué n'a donc en rien permis de dissiper les doutes sérieux mentionnés aux points précédents et existants à la date de la décision attaquée.

12. Il en va de même de la circonstance qu'à cette même date, la Commission européenne n'avait pas encore donné suite à la procédure d'infraction à la législation européenne en matière d'asile engagée contre la Hongrie le 10 décembre 2015.

13. Dans ces conditions, M. A...est fondé à soutenir qu'en décidant de le remettre aux autorités hongroises, le préfet du Doubs a méconnu les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement précité, entachant d'illégalité cette décision ainsi que, par voie de conséquence, la décision par laquelle il l'a assigné à résidence.

14. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Doubs du 18 octobre 2016 décidant de le remettre aux autorités hongroises et de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

15. La cour se prononçant par le présent arrêt sur le bien fondé du jugement du 26 octobre 2016, les conclusions de M. A...tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu de statuer.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me B... de la somme de 1 500 euros.

Par ces motifs,

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1601712 du 26 octobre 2016 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 18 octobre 2016 par lequel le préfet du Doubs a décidé de remettre M. C... A...aux autorités hongroises ainsi que l'arrêté du même jour l'assignant à résidence dans le département du Doubs pour une durée de quarante cinq jours, sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à Me B... la somme de 1 500 (mille cinq-cents) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 16NC02478.

Article5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Doubs et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Besançon.

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Nos 16NC02477 - 16NC02478


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC02477-16NC02478
Date de la décision : 30/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : DRAVIGNY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-03-30;16nc02477.16nc02478 ?
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