Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...A...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner le département du Bas-Rhin à lui verser la somme globale de 22 644,85 euros au titre des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la décision du 17 avril 2013 par laquelle le président du conseil général a suspendu son agrément en qualité d'assistante maternelle.
Par un jugement no 1403242 du 24 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné le département du Bas-Rhin à verser à Mme A...une somme de 2 039,80 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 avril 2016, le département du Bas-Rhin, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1403242 du 24 février 2016 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter la demande de Mme A...;
3°) de condamner Mme A...à lui verser une somme de 1 500 euros en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Le département du Bas-Rhin soutient que :
- eu égard à l'intérêt supérieur des cinq enfants alors placés sous la garde de Mme A... et compte tenu des éléments dont il disposait à la date de sa décision, le président du conseil général a légalement suspendu l'agrément de l'intéressée et n'a donc commis aucune faute ;
- la circonstance que le procureur de la République ait estimé que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée ne fait pas obstacle à ce que soient relevées des fautes à l'encontre de Mme A...qui, en l'espèce, sont établies ; la responsabilité sans faute du département ne peut donc être engagée ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis dans leur principe et leur montant ; en outre, ils ne sont pas anormaux ;
- la demande d'injonction et d'astreinte présentée par Mme A...n'est pas recevable et est infondée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet et 19 septembre 2016, Mme A..., représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation du département du Bas-Rhin à lui verser une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête d'appel, qui se borne à reproduire les écritures du mémoire en défense de première instance du département, sans comporter la moindre critique du jugement, ne satisfait pas à l'exigence de motivation de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;
- les manquements que lui reproche le département ne justifiaient pas le prononcé d'une mesure de suspension de son agrément ;
- aucun des moyens soulevés par le département n'est fondé.
Par des mémoires, enregistrés les 13 et 22 septembre 2016, le département du Bas-Rhin conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.
Il soutient, en outre, que :
- sa requête d'appel est suffisamment motivée et est par suite recevable ;
- en déléguant la garde des enfants à des tiers, Mme A...a commis une faute professionnelle qui aurait pu justifier un retrait d'agrément ; elle doit l'assumer ; son préjudice n'est ainsi pas anormal.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., pour le département du Bas-Rhin.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 17 avril 2013, le président du conseil général du Bas-Rhin a suspendu l'agrément de Mme E...A..., assistante maternelle, qui accueillait alors cinq enfants. La mesure de suspension a été levée le 12 août 2013. Le 18 mars 2014, Mme A...a présenté une réclamation indemnitaire au département du Bas-Rhin, qui n'y a pas donné suite.
2. Mme A...a alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la condamnation du département du Bas-Rhin à lui verser une somme globale s'élevant, dans le dernier état de ses écritures, à 22 644,85 euros, au titre des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de la décision de suspension de son agrément.
3. Le département du Bas-Rhin relève appel du jugement du 24 février 2016 par lequel le tribunal a donné partiellement satisfaction à la demande de Mme A...en le condamnant à verser à cette dernière la somme de 2 039,80 euros, augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
4. Mme A...soutient que le recours en appel formé par le département du Bas-Rhin n'est pas recevable dès lors qu'il se borne à reprendre à l'identique son argumentation de première instance sans critiquer le jugement.
5. En vertu des dispositions de l'article R. 411-1 du même code, une requête doit, à peine d'irrecevabilité, contenir l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge.
6. En l'espèce, si le requérant reprend l'argumentation qu'il a développée devant le tribunal, non seulement il ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement ses écritures de première instance, mais encore il critique expressément la réponse qu'y a apportée le tribunal.
7. La fin de non-recevoir soulevée par Mme A...manque ainsi en fait et doit donc être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'injonction :
8. Le département du Bas-Rhin soutient que la demande d'injonction et d'astreinte présentée par Mme A...n'est pas recevable et est infondée. La discussion à ce sujet est toutefois sans objet puisque le tribunal a rejeté les conclusions à ces fins présentées par l'intéressée.
En ce qui concerne la responsabilité :
9. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside. (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". L'article L. 421-6 du même code prévoit que : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié (...) ".
10. Le tribunal a estimé que la préoccupation de l'intérêt des enfants accueillis par Mme A...a conduit l'administration à faire peser sur cette dernière une charge anormale en lui faisant supporter les conséquences, financières et morales de cette décision qui, si elle était légale lorsqu'elle est intervenue, s'appuyait sur des faits dont la réalité n'a par la suite pas été établie.
11. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le département du Bas-Rhin n'a commis aucune faute est sans incidence sur le bien-fondé du jugement dès lors que le tribunal, pour retenir sa responsabilité, n'a retenu aucune faute à son encontre.
12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la suspension de l'agrément a été prononcée après que des faits d'attouchements sexuels de la part du compagnon de sa fille, sur une des enfants gardées par MmeA..., ont été signalés le 1er février 2013, sur les déclarations de la fillette concernée, et qu'une enquête a été confiée à la gendarmerie de Benfeld. Cette enquête a toutefois donné lieu à un classement sans suite le 28 octobre 2013 par le procureur de la République du parquet de Strasbourg, en l'absence d'infraction suffisamment caractérisée. La préoccupation de l'intérêt des enfants a ainsi conduit l'administration à faire peser sur Mme A...une charge anormale en lui faisant supporter les conséquences, financières et morales, d'une décision de suspension légale s'appuyant sur des faits matériellement inexacts.
13. Le département du Bas-Rhin fait valoir que Mme A...ne peut pas se plaindre d'avoir supporté une charge anormale du fait de la décision de suspension dès lors qu'elle a commis, dans l'exercice de ses fonctions, plusieurs fautes qui étaient de nature à justifier le retrait de l'agrément, en laissant les enfants placés sous sa garde seuls avec sa fille et le compagnon de celle-ci, ou avec ce dernier et son fils.
14. Toutefois, le département n'établit pas la gravité des manquements allégués ni que ceux-ci n'ont pas été ponctuels et limités dans le temps. Ces manquements n'ont d'ailleurs pas été sanctionnés par le département du Bas-Rhin.
En ce qui concerne les préjudices :
15. Le tribunal a fixé la réparation des préjudices subis par Mme A...à la somme de 1 739,80 euros en ce qui concerne la perte de revenus pendant la période de suspension et à la somme de 300 euros en ce qui concerne la perte de chance de percevoir les revenus des contrats de travail qui n'ont pu être poursuivis, après la fin de la période de suspension de son agrément.
16. En premier lieu, le département du Bas-Rhin conteste le caractère direct et certain, ainsi que le caractère anormal et spécial des préjudices invoqués par MmeA....
17. Cette contestation est sans objet en ce qui concerne le préjudice moral que le tribunal a refusé d'indemniser.
18. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit aux points 12 à 14, les préjudices invoqués par Mme A... présentent un caractère anormal et ils sont, par définition, spéciaux puisqu'elle en est l'unique victime.
19. Il résulte également de l'instruction que la suspension de son agrément a eu pour effet direct et immédiat d'interdire à Mme A...de poursuivre son activité de garde d'enfants et, par suite, de la priver des rémunérations qu'elle tirait de cette activité. Quant à la poursuite des contrats de travail en cours au-delà de la période de suspension, le requérant soutient que ces contrats sont précaires et n'offrent aucune garantie de renouvellement. Toutefois, ces considérations, qui n'apparaissent pas prépondérantes au regard de la nature du service rendu par l'assistante maternelle aux parents qui lui confient leur enfant et au lien qui s'établit entre eux, ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère sérieux de la chance qu'avait Mme A...de voir ses contrats reconduits et qu'elle a certainement perdue du fait de la suspension de son agrément.
20. En second lieu, le département du Bas-Rhin conteste le montant des préjudices invoqués.
21. Toutefois, contrairement à ce qu'il soutient, le tribunal a retenu, comme période d'indemnisation du manque à gagner, la période exacte de la suspension, du 18 avril au 14 août 2013, et il a déduit des rémunérations que Mme A...aurait dû percevoir pendant cette période les indemnités pour perte d'emploi dont elle a bénéficié ainsi que les indemnités pour les actes d'entretien ou de fournitures courantes puisqu'elle n'a pas eu à supporter ces frais. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en fixant, sur ces bases, la réparation due à l'intéressée à la somme de 1 739,80 euros, le tribunal n'a pas procédé à une juste appréciation de ce poste de préjudice. Il ne résulte pas non plus de l'instruction qu'il n'a pas procédé à une juste appréciation du préjudice résultant de la perte de chance sérieuse de voir se poursuivre les contrats de travail en cours en fixant sa réparation à la somme de 300 euros, après avoir pris en compte le fait que Mme A...avait accueilli de nouveaux enfants à partir d'octobre 2013.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le département du Bas-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg l'a condamné à verser à Mme A...une somme de 2 039,80 euros en réparation des préjudices par elle subis.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le département du Bas-Rhin demande au titre des frais exposés par lui en appel et non compris dans les dépens.
24. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département du Bas-Rhin une somme de 2 000 euros en application de ces dispositions.
Par ces motifs,
DECIDE :
Article 1er : La requête du département du Bas-Rhin est rejetée.
Article 2 : Le département du Bas-Rhin versera à Mme E...A...une somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département du Bas-Rhin et à Mme E...A....
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N° 16NC00738