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15/12/2016 | FRANCE | N°16NC00800

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 15 décembre 2016, 16NC00800


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2015 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1502322 du 7 août 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2016, MmeD..., représentée pa

r Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1502322 du 7 août 2015 du tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 29 janvier 2015 par lequel le préfet du Haut-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1502322 du 7 août 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 mai 2016, MmeD..., représentée par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1502322 du 7 août 2015 du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 29 janvier 2015 ;

3°) d'ordonner au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir ou de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois, cette injonction devant être assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à Me F...d'une somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Mme D...soutient que :

S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que les violences conjugales dont elle a été victime sont établies et qu'elle possède des attaches privées et familiales en France, en la personne de son nouveau compagnon et de leur enfant qui était à naître à la date de la décision ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation privée et familiale ;

- elle a porté atteinte à ses droits acquis du fait de la position adoptée par le préfet à l'occasion du premier renouvellement de son titre de séjour ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de son intégration et de ses attaches familiales en France ;

- le préfet a méconnu l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 en omettant de se prononcer sur son droit au séjour au regard de ses stipulations, alors qu'elle avait invoqué ce fondement à l'appui de sa demande ;

- elle avait droit à un titre de séjour sur le fondement de cet article ; le préfet a méconnu les dispositions des articles 16A et 20 de la loi du 12 avril 2000 ainsi que l'article 2 du décret du 6 juin 2001 en se fondant sur le défaut de visa de son contrat de travail sans l'avoir préalablement invitée à régulariser cette omission ;

- le préfet a méconnu les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;

- elle porte atteinte à sa vie privée et familiale, méconnaît l'article 3-1 de la convention de New York et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

S'agissant de la décision octroyant un délai de départ volontaire de trente jours :

- le préfet, qui ne lui a pas accordé un délai de départ volontaire plus long que celui fixé par la loi, n'a pas motivé son refus de le faire ;

- il a également commis une erreur de droit en omettant d'exercer son pouvoir d'appréciation à cet égard.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2016, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mars 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 modifié ;

- la directive n° 008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 modifiée ;

- le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Rees, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Une note en délibéré, présentée par Me F...pour Mme D...a été enregistrée le 6 décembre 2016.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B...D..., née le 13 juin 1990, ressortissante marocaine, est entrée en France le 17 novembre 2012 avec un passeport revêtu d'un visa D de long séjour valant titre de séjour en qualité de conjointe de Français, valable du 19 septembre 2012 au 19 septembre 2013, suite à son mariage le 15 avril 2011 au Maroc avec M.E..., de nationalité française. Le préfet du Haut-Rhin a renouvelé son titre de séjour pour la période du 19 septembre 2013 au 18 septembre 2014.

2. Le 12 septembre 2014, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour pour une année supplémentaire. Par un arrêté du 29 janvier 2015, le préfet du Haut-Rhin a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.

3. Mme D...relève appel du jugement du 7 août 2015 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 29 janvier 2015 :

En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté :

4. Mme D...soutient que l'arrêté litigieux n'a pas été signé par le préfet lui-même mais par M. Christophe Marx, secrétaire général de la préfecture, ce qui entache d'incompétence le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français.

5. Cependant, par un arrêté du 31 janvier 2014, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 5 février 2014, le préfet du Haut-Rhin a donné à M. Christophe Marx, secrétaire général, délégation à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception d'un nombre limité d'entre elles parmi lesquelles ne figurent pas les décisions attaquées. M. A... était ainsi régulièrement habilité à signer l'arrêté litigieux, portant ces décisions.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

S'agissant du non-renouvellement du titre de séjour en qualité de conjointe de Français :

6. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire postant la mention ''vie privée et familiale'' est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger , qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) ". Selon l'article L. 313-12 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf si elle résulte du décès du conjoint français. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et peut en accorder le renouvellement. (...) ".

7. Si les dispositions précitées de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne créent aucun droit au renouvellement du titre de séjour d'un étranger dont la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française a été rompue en raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de ce dernier, de telles violences, subies pendant la vie commune, ouvrent la faculté d'obtenir, sur le fondement de cet article, un titre de séjour, sans que cette possibilité soit limitée au premier renouvellement d'un tel titre. Il incombe à l'autorité préfectorale, saisie d'une telle demande, d'apprécier, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'intéressé justifie le renouvellement du titre à la date où il se prononce, en tenant compte, notamment, du délai qui s'est écoulé depuis la cessation de la vie commune et des conséquences qui peuvent encore résulter, à cette date, des violences subies (Conseil d'Etat, 26 septembre 2014, Mme I..., n° 366041).

8. Mme D...soutient en premier lieu que la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur de fait déterminante, dès lors que les violences conjugales commises à son encontre sont établies et constituent la cause de la rupture de la communauté de vie avec M.E..., désormais son ex-époux suite au jugement de divorce prononcé le 16 février 2015.

9. Il est constant qu'au soir du 1er août 2013, Mme D...s'est rendue, accompagnée d'une amie, MmeC..., au domicile conjugal afin d'y récupérer ses affaires personnelles. Une dispute a éclaté entre les deux époux vers 23 heures 30 et la police nationale est intervenue peu avant minuit. Le lendemain, Mme D...s'est rendue chez le Dr G..., médecin généraliste, à qui elle a déclaré avoir été victime de coups la veille au soir ; dans son certificat médical, le médecin a relevé la présence de douleurs lombaires et à l'avant-bras droit ainsi que des ecchymoses douloureuses au bras droit. Le 5 août 2013, Mme D... a déposé auprès du commissariat de police de Wittenheim une plainte pour violences volontaires aggravées à l'encontre de M.E....

10. Dans l'attente des conclusions de l'enquête de police qui a fait suite à ce dépôt de plainte, le préfet du Haut-Rhin a procédé au renouvellement du titre de séjour de la requérante en qualité de conjointe de Français pour la période du 19 septembre 2013 au 18 septembre 2014.

11. Contrairement à ce que soutient MmeD..., le choix du préfet de renouveler son titre de séjour n'a été dicté que par l'insuffisance des éléments en sa possession à cette date et la perspective de disposer ultérieurement d'éléments plus consistants, ainsi que par le souci de ne pas pénaliser la requérante du fait de cette incertitude. Ce choix ne saurait donc le faire regarder comme ayant entendu procéder sans attendre à une appréciation définitive et irrévocable des faits.

12. Si Mme D...soutient que M. E...s'était déjà montré violent avec elle par le passé, elle se borne à produire, à l'appui de cette affirmation, un certificat médical établi par le Dr G...le 29 avril 2013. Celui-ci constate la présence de douleurs et d'hématomes au bras gauche et à la cuisse droite, après avoir indiqué que " cette personne déclare avoir été victime de coups le 27 et le 28 avril 2013 ". Le certificat ne mentionne toutefois pas l'auteur allégué des coups et il est constant que Mme D...ne les a pas signalés à la police. Elle ne s'en est pas davantage ouverte à son amie, MmeC..., qui dans son témoignage recueilli le 10 décembre 2013 a répondu par la négative à la question : " est-ce qu'Amira vous a déjà dit qu'elle était victime de violences de la part de Mourade ' ". En outre, il est constant que M. E...ne présente aucun antécédent judiciaire de violences, conjugales ou autres. Enfin, Mme D...s'était rendue au domicile conjugal déjà animée par l'intention de quitter définitivement son époux après avoir récupéré ses affaires personnelles.

13. Par conséquent, la rupture de la communauté de vie ne peut être regardée comme trouvant sa cause dans les violences alléguées.

14. Dès lors, Mme D...n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. Mme D...soutient en second lieu qu'en lui refusant le droit au séjour sur le fondement de l'article L. 313-12 précité, le préfet a remis en cause ses droits acquis du fait du renouvellement de son titre en 2013. Selon elle, il avait alors subordonné le renouvellement suivant aux seules conclusions de l'enquête judiciaire quant à la réalité des violences ; or, cette enquête a conclu à leur réalité. Elle en conclut que le préfet était tenu de renouveler son titre de séjour.

16. Toutefois, le préfet a accordé le premier renouvellement de titre de séjour dans l'attente des résultats de l'enquête de police. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a déjà été dit au point 11 ci-dessus, qu'il entendait les utiliser pour éclairer son appréciation de la situation de la requérante et non pour lier cette appréciation à ces résultats. La décision du préfet relative au premier renouvellement du titre de séjour n'a ainsi conféré à Mme D...aucun droit à un nouveau renouvellement de ce titre.

S'agissant du refus de séjour au regard des attaches privées et familiales de Mme D... :

17. Mme D...fait valoir qu'elle était enceinte depuis le 5 septembre 2014 de son nouveau compagnon, M.H..., ressortissant turc titulaire d'une carte de résident, avec lequel elle vit depuis le 16 septembre 2014. Elle précise que l'enfant est né le 11 juin 2015 et qu'elle et son compagnon se sont mariés le 29 août suivant.

18. Elle soutient en premier lieu que le préfet, qui n'a pas tenu compte de sa grossesse et de son concubinage, n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation au regard de ses attaches privées et familiales. Cependant, il est constant que le préfet n'avait pas connaissance de ces éléments à la date à laquelle il s'est prononcé. Dès lors, il ne saurait lui être reproché de n'en avoir pas tenu compte.

19. Elle soutient en deuxième lieu que le préfet a méconnu l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, aux termes duquel : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Cependant, ces stipulations ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre du refus de séjour litigieux dès lors qu'à la date de son édiction, l'enfant de Mme D...et M. H...n'était pas né.

20. Mme D...soutient en troisième lieu que le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle vivait déjà avec son nouveau compagnon, dont elle était enceinte.

21. Aux termes des stipulations qu'elle invoque : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

22. Mme D...produit une échographie du 3 février 2015 et un certificat médical du 24 février suivant qui, s'ils sont postérieurs à l'arrêté attaqué du 29 janvier 2015, n'en sont pas moins probants et admissibles puisqu'ils fixent au 5 septembre 2014 la date du début de sa grossesse. Elle produit également un acte de reconnaissance de l'enfant du 16 février 2015, lui aussi postérieur à l'arrêté, mais dont les mentions ne sont pas contestées par le préfet et qui permet de regarder M. H...comme étant le père de l'enfant.

23. En revanche, s'agissant de l'ancienneté de la vie de couple alléguée, l'avenant au bail de MmeD..., établi par la société Immobilière 3F le 8 juin 2015, ne mentionne le rajout de M. H...au contrat qu'à compter du 10 avril 2015 et ne permet au mieux de tenir pour établie la communauté de vie alléguée qu'à compter de cette date. Par ailleurs, l'acte de reconnaissance établi le 16 février 2015, mentionne l'adresse de M. H...au 46, rue Albert Camus à Mulhouse tandis que celle de Mme D...est située 9, rue Eugène Delacroix dans la même ville.

24. A hauteur d'appel, Mme D...explique pour la première fois qu'en réalité, M. H... se partageait dès le 16 septembre 2014 entre cette adresse et le 46, rue Albert Camus, où réside son fils issu d'une première union. A l'appui de cette affirmation, elle n'apporte toutefois aucun élément de nature à étayer la présence de M. H...au 9, rue Eugène Delacroix avant la date de l'arrêté litigieux, si ce n'est une attestation de domiciliation établie par la société Immobilière 3F, indiquant que M. H...et l'intéressée sont domiciliés au 9, rue Eugène Delacroix depuis le 16 septembre 2014. Toutefois, cette attestation datée du 11 avril 2016, postérieurement au jugement contesté qui n'a pas retenu l'ancienneté de la vie de couple invoquée par la requérante, mentionne une date bien antérieure à celle figurant sur l'avenant au bail du 8 juin 2015, sans que la requérante ne justifie les éléments au vu desquels elle a été établie. Cette attestation, à la valeur probante douteuse, n'est corroborée par aucun élément concret. Au contraire, à l'occasion de son audition par les services de police le 5 novembre 2014, soit près de deux mois après le début allégué de son concubinage et deux mois après le début de sa grossesse, Mme D...n'a pas fait état de cette situation et a répondu ne pas savoir si elle allait rester en France. Elle n'apporte, devant la cour, aucune explication au sujet de ces déclarations qui sont en contradiction avec ses allégations actuelles.

25. Dès lors, il ne peut être tenu pour établi que Mme D...et M. H...vivaient déjà en concubinage à la date de l'arrêté attaqué.

26. Dans ces conditions, compte tenu de la faible ancienneté du séjour de Mme D... en France et de ce qui vient d'être dit au sujet des attaches dont elle se prévaut, le préfet n'a pas, à la date à laquelle il s'est prononcé, porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

27. En quatrième lieu, Mme D...soutient que le préfet a fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts dès lors qu'il n'a pas pris en compte les considérations relatives à sa grossesse et à son concubinage. Toutefois, ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent, seule la grossesse de la requérante était établie à la date de la décision et il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision s'il en avait eu connaissance. Dès lors, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que la décision est illégale au seul motif que le préfet n'a pas pris en compte sa grossesse et son concubinage.

S'agissant du droit au séjour en qualité de salarié :

28. Mme D...soutient en premier lieu que le préfet, qui a rejeté sa demande sur le fondement du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'elle l'avait présentée sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987, a méconnu les stipulations de ce dernier article.

29. Aux termes de l'article 3 de l'accord : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles ". Aux termes de l'article 9 de l'accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ".

30. Il résulte de ces stipulations que c'est sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain, et non sur celui du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le titre de séjour portant la mention salarié est délivré aux ressortissants marocains.

31. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que de ses propres déclarations, que Mme D... a produit un contrat de travail à durée indéterminée à l'appui de sa demande de renouvellement de son titre de séjour en qualité de conjointe de Français. Le préfet s'est néanmoins estimé saisi d'une demande de titre de séjour en qualité de salarié puisqu'il s'est prononcé à cet égard. Il l'a toutefois fait sur le fondement du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non sur celui de l'article 3 de l'accord franco-marocain.

32. Cependant, les premiers juges se sont expressément prononcés au regard de l'article 3 de l'accord franco-marocain et ont ainsi procédé à une substitution de base légale que la requérante ne conteste pas. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le préfet n'est plus fondée et doit être écarté.

33. Mme D...soutient en deuxième lieu que le préfet a méconnu les articles 16 A et 20 de la loi du 12 avril 2000 ainsi que l'article 2 du décret du 6 juin 2001 susvisés en fondant son refus de séjour sur la circonstance que son contrat de travail n'était pas visé favorablement par le ministre chargé du travail sans l'avoir préalablement mise à même de satisfaire à cette formalité.

34. D'une part, aux termes de l'article 20 de la loi du 12 avril 2000, alors applicable : " Lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé ".

35. Le préfet, qui était l'autorité compétente pour se prononcer sur la demande de titre de séjour de la requérante, n'a pas méconnu ces dispositions en conservant cette demande.

36. D'autre part, aux termes de l'article 16 A de la loi du 12 avril 2000, alors applicable : " (...) Une autorité administrative chargée d'instruire une demande présentée par un usager ou de traiter une déclaration transmise par celui-ci fait connaître à l'usager les informations ou données qui sont nécessaires à l'instruction de sa demande ou au traitement de sa déclaration et celles qu'elle se procure directement auprès d'autres autorités administratives françaises, dont elles émanent ou qui les détiennent en vertu de leur mission (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 6 juin 2001 : " Lorsque la demande est incomplète, l'autorité administrative indique au demandeur les pièces manquantes dont la production est indispensable à l'instruction de la demande et celles des pièces rédigées dans une langue autre que le français dont la traduction et, le cas échéant, la légalisation sont requises. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces. (...) ".

37. Conformément à son article 9, cité au point 29 ci-dessus, l'accord franco-marocain renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va notamment ainsi, pour le titre de séjour " salarié " mentionné à l'article 3, qui est délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ".

38. Le visa favorable du ministre chargé du travail, lequel constitue l'autorisation de travail requise à l'article L. 5221-2, L. 5221-5 ou R. 5221-1 du code du travail, constitue toutefois une condition de fond pour se voir délivrer le titre de séjour sollicité et non une pièce manquante au sens des dispositions précitées. Par suite, Mme D...ne peut pas utilement se prévaloir de ces dispositions pour contester le refus que lui a opposé le préfet.

39. Mme D...soutient en troisième lieu que le caractère récent de son contrat de travail, dont fait état le préfet dans son arrêté, ne constitue pas une condition de délivrance du titre de séjour mentionné à l'article 3 de l'accord franco-algérien.

40. Le préfet n'aurait pas pu légalement refuser la délivrance du titre de séjour sollicité pour ce motif, qui ne correspond à aucune des conditions fixées par ces stipulations, mais cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision critiquée dès lors qu'elle est fondée, de manière légale et justifiée, sur le défaut de visa du contrat de travail ou d'autorisation de travail.

S'agissant de la faculté de régularisation dont dispose le préfet :

41. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date à laquelle il s'est prononcé, le préfet s'est livré à une appréciation manifestement erronée de la situation personnelle de la requérante et des conséquences d'un refus de séjour pour l'intéressée.

41. En conclusion de l'ensemble de ce qui précède, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision du préfet lui refusant la délivrance d'un titre de séjour est illégale.

En ce qui concerne la décision relative à l'obligation de quitter le territoire français :

43. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'exception tirée de l'illégalité du refus de séjour, invoquée à l'encontre de la décision obligeant l'intéressée à quitter le territoire français, doit être écartée comme infondée.

44. En second lieu, pour les raisons développées aux points 19 à 26, Mme D...n'est pas fondée à soutenir qu'à la date à laquelle il a édicté l'obligation de quitter le territoire français à son encontre, le préfet a méconnu l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou commis une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision relative au délai de départ volontaire :

45. Mme D...soutient en premier lieu que le préfet, qui lui a accordé un délai de départ volontaire de 30 jours, n'a pas motivé sa décision de ne pas lui accorder un délai supplémentaire, alors même que sa grossesse lui permettait d'y prétendre.

46. Le délai de droit commun de trente jours dont dispose l'étranger pour satisfaire à l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français, est fixé par le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne prévoit pas qu'il fasse l'objet d'une motivation spécifique, distincte de celle du principe même de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Cette motivation spécifique n'est requise que lorsque l'étranger a expressément demandé le bénéfice d'une prolongation de ce délai ou justifie d'éléments suffisamment précis sur sa situation personnelle, susceptibles de rendre nécessaire, au sens desdites dispositions du code de l'entrée et du séjour et des étrangers et du droit d'asile, une telle prolongation.

47. Il est constant que Mme D...n'a ni sollicité une prolongation du délai de départ volontaire, ni informé préalablement le préfet de circonstances susceptibles de justifier son octroi, en particulier sa grossesse. Par suite, elle ne peut pas utilement faire valoir l'insuffisance de motivation de la décision.

48. Mme D...soutient en deuxième lieu que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit dès lors que son absence de motivation démontre qu'il s'est abstenu d'exercer son pouvoir d'appréciation quant à la possibilité de lui accorder une prolongation de délai.

49. Toutefois, la seule circonstance que le préfet ne se soit pas expressément prononcé sur des éléments dont il ignorait l'existence ne suffit pas à établir qu'il s'est cru obligé de s'en tenir au délai de droit commun fixé par les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

50. Enfin, à supposer que Mme D...ait entendu soutenir qu'une prolongation du délai de départ volontaire aurait dû lui être accordée en raison de sa grossesse, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer que son état de santé ne lui permettait pas de satisfaire à l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de droit commun.

51. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 29 janvier 2015.

Sur l'injonction :

52. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de MmeD..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction de la requérante ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

53. L'Etat n'étant pas la partie perdante, la demande de Me F...tendant à l'application de ces dispositions ainsi que de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peut qu'être rejetée.

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.

11

N° 16NC00800


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC00800
Date de la décision : 15/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-12-15;16nc00800 ?
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