Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner la commune de Gresswiller à leur verser une somme de 24 402 euros en réparation des préjudices causés par la réalisation de travaux d'élargissement de la voie publique en empiètement sur leur propriété et d'enjoindre à la commune, sous astreinte, de produire ses plans d'occupation des sols et d'alignement.
Par un jugement n° 1304644 du 16 décembre 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné la commune de Gresswiller à verser à M. et Mme A... une somme de 1 000 euros à titre de réparation et a rejeté le surplus de leurs conclusions indemnitaires ainsi qu'à fin d'injonction.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 15 février 2016 sous le n° 16NC00278, M. et Mme A..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1304644 du 16 décembre 2015 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a limité leur indemnisation à la somme de 1 000 euros ;
2°) de condamner la commune de Gresswiller à leur verser une somme de 24 402 euros à titre de dommages et intérêts ;
3°) de condamner la commune de Gresswiller à leur verser une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif a admis que le maire avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;
- la dépossession dont ils ont été victimes produit les mêmes effets qu'une expropriation et si la procédure avait été respectée, ils auraient obtenu une indemnisation à hauteur de 218 euros du m², soit 19 402 euros ; ils ont, en outre, subi un préjudice moral qu'ils évaluent à 5 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2016, la commune de Gresswiller, représentée par MeD..., conclut :
- à titre principal à l'annulation du jugement en tant que le tribunal administratif s'est estimé compétent pour connaître du litige et au rejet de la demande de M. et Mme A... ;
- à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;
- à titre plus subsidiaire, à ce que la cour renvoie au juge judiciaire la question préjudicielle de la propriété de la parcelle litigieuse et sursoie à statuer dans l'attente de sa réponse ;
- en tout état de cause, à la condamnation de M. et Mme A... à lui verser une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le litige relatif à l'indemnisation du préjudice allégué ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- la commune est devenue propriétaire de la parcelle en litige par l'effet de la prescription acquisitive ; la question préjudicielle de la propriété de la parcelle doit être renvoyée au juge judiciaire si la cour n'en est pas convaincue ;
- M. et Mme A...ne peuvent se plaindre de l'emprise irrégulière alléguée dès lors qu'ils sont demeurés inactifs pendant plus de 40 ans ;
- le préjudice subi n'excède pas la somme de 1 000 euros, s'agissant d'une partie de terrain que sa forme et sa surface rendent inconstructible.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 16 septembre 2016, M. et Mme A... concluent aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.
Ils soutiennent, en outre, que :
- la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige ;
- la prescription n'est pas acquise dès lors que l'emprise est récente ;
- il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle au juge judiciaire, alors qu'ils justifient d'un titre de propriété.
II. Par une requête enregistrée le 18 février 2016 sous le n° 16NC00307 et un mémoire complémentaire du 6 septembre 2016, la commune de Gresswiller, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1304644 du 16 décembre 2015 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) de rejeter la demande de M. et MmeA... ;
3°) subsidiairement, de renvoyer au juge judiciaire la question préjudicielle de la propriété de la parcelle litigieuse ;
4°) de condamner M. et MmeA... à lui verser une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Gresswiller soutient que :
- le litige relatif à l'indemnisation du préjudice allégué ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative ;
- la commune est devenue propriétaire de la parcelle en litige par l'effet de la prescription acquisitive ; la question préjudicielle de la propriété de la parcelle doit être renvoyée au juge judiciaire si la cour n'en est pas convaincue ;
- M. et Mme A...ne peuvent se plaindre de l'emprise irrégulière alléguée dès lors qu'ils sont demeurés inactifs pendant plus de 40 ans.
L'instruction a été close le 20 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, premier conseiller,
- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour la commune de Gresswiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A...sont propriétaires d'une maison d'habitation située 30 A, rue de Rosenwiller à Gresswiller. Estimant qu'à la suite des travaux d'élargissement auxquels la commune a procédé en 2012 dans cette rue, la voie publique empiète sur la parcelle cadastrée section 3 n° 623 leur appartenant, ils ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg en vue d'obtenir réparation des préjudices, évalués à 24 402 euros, qu'ils estiment avoir subis de ce fait.
2. Par une requête enregistrée sous le n° 16NC00278, ils relèvent appel du jugement n° 1304644 du 16 décembre 2015 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a limité leur indemnisation à la somme de 1 000 euros.
3. Par une requête enregistrée sous le n° 16NC00307, la commune de Gresswiller relève aussi appel du même jugement.
4. Les requêtes susvisées concernent le même jugement, présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative soulevée par la commune :
5. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'Etat ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. Cette compétence, qui découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ne vaut toutefois que sous réserve des matières dévolues à l'autorité judiciaire par des règles ou principes à valeur constitutionnelle.
6. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété (Tribunal des conflits 9 décembre 2013, n° 3931).
7. Les requérants demandent réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'occupation irrégulière d'une partie de leur propriété privée par la commune de Gresswiller. Si cette occupation porte atteinte au libre exercice de leur droit de propriété, elle n'a pas, par elle-même, pour effet l'extinction de leur droit de propriété sur ce bien. Par conséquent, la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige relatif à la réparation des préjudices causés par cette occupation.
Sur la question préjudicielle :
8. Il est constant que les aménagements réalisés par la commune dans le cadre de l'élargissement de la voirie de la rue de Rosenwiller empiètent sur la parcelle n° 623 figurant sur le titre de propriété de M. et MmeA.... La commune de Gresswiller invoque toutefois le bénéfice de la prescription acquisitive, qui lui aurait permis de devenir propriétaire de la bande de terrain en litige correspondant à cet empiètement et soutient qu'en l'absence de toute emprise sur leur propriété, sa responsabilité n'est pas engagée vis-à-vis d'eux.
9. Aux termes de l'article 2261 du code civil: " Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ". Aux termes de l'article 2272 du même code: " Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ".
10. La commune fait valoir que dans les années 1970, lors de la construction de leurs maisons, les riverains de la rue de Rosenwiller, qui était alors un simple chemin rural, ont reculé les clôtures de leurs propriétés ainsi que les regards de leurs branchements aux réseaux publics afin que la largeur de l'emprise de la rue puisse être portée à 10 mètres. Elle précise que l'ancien propriétaire du terrain acquis par les époux A...a, à l'époque, lui-même érigé sa clôture en retrait. Elle soutient également avoir, à la même époque, intégré l'ensemble des surfaces ainsi abandonnées dans la voie publique et les avoir aménagées en accotements, trottoirs ou aires de stationnement. Enfin, elle se prévaut de deux jugements du 5 février 2016 par lesquels le tribunal de grande instance de Saverne, saisi par deux autres riverains de la rue de Rosenwiller, lui a reconnu le bénéfice de la prescription acquisitive.
11. Aux termes de l'article R. 771-2 du code de justice administrative : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ".
12. Eu égard au titre de propriété dont disposent M. et MmeA..., au fait que l'abandon des bandes de terrain par les propriétaires riverains de la rue de Rosenwiller dans les années 1970 n'est pas contesté et est corroboré par l'implantation en retrait de leurs murs de clôture, ainsi qu'aux jugements déjà rendus par le tribunal de grande instance de Saverne au sujet d'autres parcelles situées dans la même rue et placées dans la même situation, la contestation soulevée par la commune, dont dépend la solution du litige dans chacune des deux requêtes, présente une difficulté sérieuse sur laquelle il n'appartient qu'au juge judiciaire, gardien de la propriété privée, de se prononcer.
13. Dès lors, il y a lieu pour la cour administrative d'appel de surseoir à statuer sur les requêtes de M. et Mme A...et de la commune de Gresswiller jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur cette question préjudicielle.
Par ces motifs,
D E C I D E :
Article 1er : Il est sursis à statuer sur les requêtes n° 16NC00278 de M. et Mme A... et n° 16NC00307 de la commune de Gresswiller jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si la commune de Gresswiller bénéficie de la prescription acquisitive mentionnée à l'article 2261 du code civil sur la fraction de la parcelle, section 3 n° 623, rue de Rosenwiller à Gresswiller, située côté rue à l'extérieur du mur de clôture de la propriété de M. et MmeA....
Article 2 : La question mentionnée à l'article précédent est transmise au Tribunal de grande instance de Saverne.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et MmeA..., à la commune de Gresswiller et au président du Tribunal de grande instance de Saverne.
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N° 16NC00278-16NC00307