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24/11/2016 | FRANCE | N°15NC02337

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 24 novembre 2016, 15NC02337


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une somme de 125 718,79 euros, déduction faite de la provision de 6 000 euros accordée par le juge des référés, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de l'arrêté du 23 novembre 2007 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé le renouvellement de son titre de séjour.

Par un jugement n° 1105211 du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté

sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une somme de 125 718,79 euros, déduction faite de la provision de 6 000 euros accordée par le juge des référés, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de l'arrêté du 23 novembre 2007 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé le renouvellement de son titre de séjour.

Par un jugement n° 1105211 du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 novembre 2015 et le 28 octobre 2016, M. D...B..., représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 137 160 euros déduction faite de la provision de 6 000 euros accordée par le juge des référés avec intérêts légaux à compter du 27 mars 2011, soit 2 mois après la réception de la demande d'indemnisation du 25 janvier 2011 au ministère de l'intérieur, ainsi que les intérêts des intérêts en application de l'article 1151 du code civil ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros à verser à Me C...au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'illégalité fautive lui a causé un préjudice matériel tenant à une perte de revenus de 67 642 euros pour la période allant du 18 février 2008 au 31 décembre 2012, de 1 500 euros pour la période du 23 novembre 2007 au 18 février 2008 et qu'il a perdu des revenus de remplacement et des allocations ;

- il a également subi des préjudices en raison de frais de perte de logement et d'expulsion, d'un jugement de divorce, de frais de procédure et de frais de transport et apporte en appel des pièces supplémentaires de nature à en démontrer l'étendue ;

- il a subi un préjudice moral qui sera évalué à 30 000 euros.

Par décision du 24 septembre 2015, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M.B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant MeC..., pour M.B....

Considérant ce qui suit :

1. M. D...B..., ressortissant marocain, a fait l'objet le 23 novembre 2007 d'un arrêté préfectoral refusant le renouvellement de son titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français et a été reconduit au Maroc en février 2008.

2. Par un arrêt du 11 mai 2009, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé cette décision au motif que M. B...assurait effectivement l'entretien de son enfant de nationalité française. M. B...est alors rentré en France et a obtenu une nouvelle carte de séjour temporaire " vie privée et familiale ".

3. M. B...interjette appel du jugement du 24 mars 2015 par lequel le tribunal administratif, tenant compte d'une indemnité provisionnelle de 6 000 euros accordée le 18 mai 2011 par le juge des référés, a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Sur l'existence d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat :

4. L'illégalité de l'arrêté du préfet du Bas-Rhin du 23 novembre 2007 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a causés à M.B....

Sur les préjudices matériels :

En ce qui concerne les pertes de revenus :

5. En premier lieu, M. B...demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros au titre des pertes de revenus qu'il aurait subies entre la date d'édiction du refus de titre de séjour du 27 novembre 2007 et celle du 18 février 2008 à laquelle il a été reconduit au Maroc. Toutefois, il n'apporte aucune précision sur la réalité de son préjudice, alors qu'il n'indique pas avoir occupé d'emploi avant cette période, ni sur les modalités de calcul de la somme réclamée. Ainsi, ses conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

6. En deuxième lieu, M. B...demande le versement d'une somme de 61 405 euros au titre des pertes de salaires afférentes à la période du 18 février 2008 au 31 décembre 2012, date à laquelle il a retrouvé un emploi.

7. Le requérant fait valoir que le refus de titre de séjour et l'éloignement du territoire qui l'a suivi, l'ont empêché d'exercer une activité professionnelle et notamment de donner suite à une promesse d'embauche et qu'après son retour en France, le 19 juillet 2009, il n'a pas été en mesure de retrouver un emploi équivalent.

8. M. B...produit une promesse d'embauche du 18 février 2008 comme conducteur dans une entreprise de transports et de location de véhicules pour un montant de 1 280,09 euros par mois pour une durée hebdomadaire de travail de 35 heures. Si cette promesse est assez précise, il ressort toutefois des pièces du dossier, et des termes mêmes de ladite promesse que l'engagement de M. B...ne prendra effet qu'à partir de sa "libération" et qu'elle a été établie alors que le requérant avait été placé en centre de rétention le 9 février 2008, afin d'être éloigné vers son pays d'origine, en application du jugement du 15 février 2008 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation de l'arrêté préfectoral du 27 novembre 2007. Ainsi, la condition à laquelle était subordonnée la conclusion d'un contrat de travail n'était pas susceptible de se réaliser à la date de cette promesse. De plus, il n'est pas soutenu que lors de son retour en France, M. B... ait repris contact avec cette entreprise afin de trouver un emploi. Il a exercé des missions temporaires comme agent de nettoyage, puis après une formation, a trouvé un emploi comme agent de sécurité. En outre, la promesse d'embauche ne se situait pas dans un domaine d'activité dans lequel M. B...avait déjà occupé des emplois. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que M. B...ait perdu une chance sérieuse d'obtenir cet emploi. Ainsi, ses conclusions à fin d'indemnisation du préjudice découlant d'une telle perte de chance ne peuvent être accueillies.

9. En troisième lieu, le requérant demande, compte tenu des salaires perçus pour la réalisation de missions d'intérim, la condamnation de l'Etat à lui verser 97 642 euros au titre de l'impossibilité pour lui de percevoir le revenu minimum d'insertion, le revenu de solidarité active et les allocations logement pour la période du 19 août 2007 au 27 juillet 2011.

10. M. B...ne peut demander d'indemnisation qu'à compter du 27 novembre 2007, date de l'arrêté illégal de refus de titre de séjour. S'il ne résulte pas de l'instruction qu'il a demandé le revenu minimum d'insertion et s'il ne peut prétendre à indemnisation à ce titre, il est constant qu'il a sollicité le bénéfice du revenu de solidarité active le 28 septembre 2009 et en juin 2010 et que cette prestation lui a été refusée au motif qu'il ne disposait pas d'un titre de séjour lui donnant le droit de travailler depuis cinq ans.

11. Aux termes de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles : " Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : (...) 2° Etre français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d'un titre de séjour autorisant à travailler. Cette condition n'est pas applicable : a) Aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, aux apatrides et aux étrangers titulaires de la carte de résident ou d'un titre de séjour prévu par les traités et accords internationaux et conférant des droits équivalents (...) ".

12. Il résulte de l'instruction que M. B...a obtenu une carte de séjour temporaire l'autorisant à travailler valable du 18 août 2004 au 17 août 2005. L'intéressé a présenté une demande de renouvellement de titre de séjour le 4 août 2007. L'administration lui a délivré des récépissés de demande de titre de séjour jusqu'au rejet de sa demande, le 23 novembre 2007, par l'arrêté préfectoral annulé par la cour administrative d'appel. Ainsi, en l'absence de décision illégale, M.B..., qui ne conteste pas la délivrance des récépissés, aurait pu disposer d'une carte de séjour temporaire à compter du 23 novembre 2007, laquelle aurait pu faire l'objet d'un renouvellement.

13. En tant que père d'enfant français ayant eu trois cartes de séjour temporaire, M. B... aurait pu se voir délivrer une carte de résident à compter du 23 novembre 2009, en application du 2° de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aurait donc pu prétendre à partir du début du mois de novembre 2009 à l'attribution du revenu de solidarité active en application de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles.

14. Ainsi, M.B..., qui n'a obtenu une carte de résident qu'à compter du 27 juillet 2011, est fondé à soutenir qu'il a été privé du revenu de solidarité active entre le 1er novembre 2009 et le 27 juillet 2011, comme il le demande. Il évalue son préjudice au cours de cette période à un montant non contesté de 4 842,59 euros. Le requérant indique également qu'il a été privé de diverses allocations en raison du refus d'attribution du revenu de solidarité active et notamment de l'allocation logement pour un montant non contesté de 300 euros par mois. Il y a dès lors lieu de lui attribuer une indemnisation d'un montant de 6 000 euros pour la période de 20 mois au cours de laquelle il aurait pu percevoir le RSA.

15. Il résulte de ce qui précède que M. B...peut prétendre au versement d'une indemnité de 10 842,59 euros au titre de ses pertes de revenus ayant un lien direct avec la faute commise par l'administration en lui opposant illégalement un refus de renouvellement de titre de séjour.

En ce qui concerne les frais dus à l'expulsion de son logement :

16. Le jugement du tribunal administratif rejetant la demande de M. B... contre l'arrêté préfectoral du 27 novembre 2007 a été notifié le 15 février 2008 et le requérant a été éloigné du territoire national à la fin du mois de février 2008. Toutefois, il n'a résilié son contrat de location auprès de l'office public des HLM de la communauté urbaine de Strasbourg, que le 30 septembre 2008 après avoir cessé de payer ses loyers pendant plusieurs mois. Son expulsion a été réalisée en exécution du jugement du tribunal d'instance de Strasbourg du 6 février 2009 constatant la résiliation de son contrat de bail pour défaut de paiement de ses loyers. Dans ces conditions, M. B...n'établit pas l'existence d'un lien direct et certain de causalité entre la résiliation de son contrat de location et les frais qui en ont découlé et l'arrêté illégal du 23 novembre 2007.

En ce qui concerne les frais de divorce et de procédure :

17. M. B...soutient qu'en raison de son éloignement du territoire en février 2008, il n'a pas été mis en mesure de se défendre dans le cadre du jugement de son divorce prononcé le 4 mars 2008, qui l'a condamné à verser une pension alimentaire de 100 euros par mois excédant, selon lui, ses capacités financières, ainsi que 1 000 euros de dommages et intérêts à son épouse. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que M. B..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale et régulièrement représenté par un conseil désigné pour l'assister, a été dans l'impossibilité de faire valoir ses droits dans la procédure de divorce en raison de son éloignement. Dès lors, faute d'établissement de l'existence d'un lien de causalité directe entre ces frais et l'arrêté préfectoral du 23 novembre 2007, M. B...ne peut prétendre au versement d'une indemnité à ce titre.

18. Par ailleurs, les frais de procédure exposés par le requérant dans le cadre de ses recours exercés, d'une part, contre la décision de refus de visa devant le Conseil d'Etat, à l'issue de laquelle une somme de mille euros lui a été allouée au titre de ses frais de justice, et, d'autre part, devant la cour administrative d'appel de Nancy, dont l'arrêt a expressément refusé de faire droit à sa demande de frais irrépétibles, sont également dépourvus de tout lien direct et certain avec l'illégalité de la décision par laquelle le préfet avait refusé à M. B... le renouvellement son titre de séjour. En tout état de cause, ni la réalité de ces frais ni leur paiement ne sont établis.

En ce qui concerne les frais de retour en France :

19. Si M. B... démontre qu'il a exposé des frais de transport de 360 euros pour revenir en France après l'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 novembre 2007, ce préjudice a déjà fait l'objet d'une indemnisation par le juge des référés du tribunal administratif dans le cadre de la provision qui lui a été accordée. Le requérant ne soutient pas que le juge ne lui aurait pas accordé la totalité de la somme demandée à ce titre.

Sur le préjudice moral :

20. M. B...demande la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros au titre des préjudices résultant de ce qu'il s'est trouvé plusieurs mois en situation irrégulière et a dû vivre dans la clandestinité à la suite du refus illégal de titre de séjour, de son placement en rétention administrative, de la difficulté à conserver des relations avec sa fille en raison de son éloignement du territoire national où elle vit avec sa mère et de l'impossibilité de se défendre dans le cadre de la procédure de divorce. Toutefois, le juge des référés lui a accordé une provision de 6 000 euros correspondant pour 5 640 euros à son préjudice moral et a fait une juste appréciation de ce préjudice résultant de son placement en rétention administrative entre le 9 et le 24 février 2008, de ce qu'il a été séparé de sa fille et rencontre des difficultés pour renouer des relations avec elle, difficultés qui tiennent également pour une grande part à l'attitude de la mère de l'enfant.

21. Il résulte de ce qui précède que M. B...est seulement fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions à concurrence de 10 842,59 euros avec intérêts à compter du 27 mars 2011 et capitalisation des intérêts à compter du 27 mars 2012.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 1 500 euros à verser à l'avocat de M.B..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, au titre des frais que celui-ci aurait exposés s'il n'avait bénéficié de cette aide.

D E C I D E :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B... une somme de 10 842,59 euros au titre des pertes de revenus, assortie des intérêts à compter du 27 mars 2011 et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 mars 2012.

Article 2 : Le jugement attaqué du tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à l'avocat de M. B... en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.

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N° 15NC02337


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC02337
Date de la décision : 24/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : BOUKARA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-11-24;15nc02337 ?
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