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19/04/2007 | FRANCE | N°05NC01132

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 19 avril 2007, 05NC01132


Vu le recours, enregistré le 26 août 2005, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401438 du 31 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à la commune d'Epinal une somme de 104 773 euros en réparation du préjudice causé par sa décision de ne pas recouvrer les sommes dues par une société n'ayant pas respecté les conditions auxquelles était subordonnée l'exonération de taxe professionnelle dont elle a bénéficié ;

2°) de rejet

er la demande de la commune d'Epinal devant le Tribunal administratif de Nancy ;

I...

Vu le recours, enregistré le 26 août 2005, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401438 du 31 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à la commune d'Epinal une somme de 104 773 euros en réparation du préjudice causé par sa décision de ne pas recouvrer les sommes dues par une société n'ayant pas respecté les conditions auxquelles était subordonnée l'exonération de taxe professionnelle dont elle a bénéficié ;

2°) de rejeter la demande de la commune d'Epinal devant le Tribunal administratif de Nancy ;

Il soutient :

- qu'il n'avait pas à justifier des motifs pour lesquels, usant du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 1756-1 du code général des impôts, il n'a pas souhaité remettre en cause l'exonération de taxe professionnelle accordée à la SA SAE ;

- qu'il n'est pas allégué que sa décision aurait été entachée d'inexactitude matérielle ou d'erreur manifeste d'appréciation ;

- que si ses décisions doivent être motivées afin de respecter les droits de la défense, cette exigence ne s'applique pas lorsqu'il fait seulement usage de sa faculté de limiter les effets de la déchéance du régime d'exonération ;

- qu'il a au demeurant motivé sa décision dans un courrier du 1er juillet 2003 adressé à un parlementaire ;

- que c'est seulement au regard des considérations d'ordre économique et social auxquelles répond la possibilité pour les collectivités locales de procéder à des exonérations temporaires de taxe professionnelle que le tribunal administratif aurait dû apprécier la légalité de la décision susvisée, compte tenu de la durée pendant laquelle la société avait rempli les conditions prévues dans la décision d'agrément ;

- qu'il incombait au tribunal administratif, avant de censurer sa décision pour absence de motifs, de faire usage de la faculté qui lui appartient de lui demander de préciser les raisons de fait ou de droit ayant présidé à sa décision s'il estimait que le motif contenu dans sa décision était formulé en termes trop généraux pour lui permettre d'exercer son contrôle ;

- qu'il entend apporter devant la cour les motifs complémentaires justifiant sa décision, qui tiennent à sa préoccupation de ne pas entraver le développement de l'entreprise et à ce que la situation financière de la société bénéficiaire n'était pas consolidée ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2006 et complété par mémoire enregistré le 19 octobre 2006, présentés pour la commune d'Epinal, par Me Babel ;

La commune d'Epinal conclut :

- en premier lieu, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

A cette fin, elle soutient :

- que le ministre ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article 1756 du code général des impôts visant la sanction du retrait d'agrément, dès lors qu'un tel retrait n'a jamais eu lieu et que seule la sanction prévue à l'article 1465 était encourue ;

- qu'en tout état de cause, à supposer qu'il pouvait limiter les effets de la déchéance, le ministre devait motiver sa décision ;

- qu'à supposer que l'article 1756-1 du code général des impôts soit applicable, le ministre n'aurait pu que limiter les effets de la déchéance à une fraction des avantages obtenus du fait de l'agrément et non supprimer les effets de la déchéance ;

- qu'en l'absence d'énonciation initiale d'un quelconque motif, le ministre ne saurait valablement procéder à une substitution de motif devant la cour, cette motivation étant au demeurant insuffisante et erronée ;

- en second lieu, par voie d'appel incident, à ce que la somme à lui verser soit portée à 209 377,28 euros ;

A cet effet, elle soutient que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande en se fondant sur les calculs erronés du ministre, dès lors que son préjudice est au minimum de 164 226,61 euros et doit être fixé à 209 377,28 euros en l'absence de justificatifs versés aux débats par la partie adverse ;

Vu les mémoires en réplique, enregistrés les 2 août 2006 et 22 janvier 2007, présentés par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, qui conclut aux mêmes fins que son recours et au rejet de l'appel incident de la commune d'Epinal ;

Il soutient en outre que la commune d'Epinal ne peut faire état d'un préjudice supérieur à 104 773 euros ;

Vu le mémoire complémentaire en défense, enregistré le 14 février 2007, présenté pour la commune d'Epinal, qui conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense par les mêmes moyens ;

Elle soutient en outre :

- que la lettre du 1er juillet 2003 invoquée par le ministre n'est pas motivée et ne constitue pas la décision de ne pas prononcer la déchéance encourue ;

- qu'à supposer que ce courrier soit analysé comme une décision de remise gracieuse, celle-ci serait illégale pour détournement de pouvoir, erreur de droit et absence d'une quelconque appréciation des faits ;

- que le ministre était tenu de consulter le maire avant de prendre sa décision, conformément aux dispositions de l'article R. 247-2 du livre des procédures fiscales ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 16 mars 2007, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre conclut aux mêmes fins que son recours et soutient en outre :

- que la commune n'est pas fondée à soutenir que seule la sanction prévue par le 10è alinéa de l'article 1465 du code général des impôts était applicable en cas de défaut d'exécution des obligations et engagements attachés à l'agrément ;

- que, contrairement à ce qu'elle soutient, le 1 de l'article 1756 alors en vigueur prévoyait les conséquences de l'inexécution des engagements souscrits en vue d'obtenir un agrément administratif et la sanction applicable lorsque les conditions auxquelles son octroi a été subordonné ne sont plus remplies ; qu'en outre, ces mêmes dispositions ne précisaient pas les formes auxquelles devait obéir ce retrait ;

- qu'il était ainsi fondé à faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour limiter les effets de la déchéance, ce qu'il a fait par la lettre litigieuse du 1er juillet 2003 ;

- que la commune d'Epinal n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article R. 247-2 du livre des procédures fiscales, qui ne visent pas l'hypothèse de la déchéance des avantages obtenus en matière de taxe professionnelle en vertu d'un agrément ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mars 2007 :

- le rapport de M. Vincent, président,

- les observations de Me Babel, avocat de la commune d'Epinal,

- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article 1756 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : «1. Lorsque les engagements souscrits en vue d'obtenir un agrément administratif ne sont pas exécutés ou lorsque les conditions auxquelles l'octroi de ce dernier a été subordonné ne sont pas remplies, cette inexécution entraîne le retrait de l'agrément et les personnes physiques ou morales à qui des avantages fiscaux ont été accordés, du fait de l'agrément, sont déchues du bénéfice desdits avantages. Les impôts dont elles ont été dispensées deviennent immédiatement exigibles… Par dérogation aux dispositions ci-dessus, le ministre de l'économie et des finances est autorisé à limiter les effets de la déchéance à une fraction des avantages obtenus du fait de l'agrément» ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, après avoir rappelé que le pouvoir d'appréciation dont dispose le ministre de l'économie et des finances dans l'exercice de la faculté ouverte par les dispositions précitées s'exerçait sous le pouvoir du juge, a annulé la décision dudit ministre de ne pas prononcer la déchéance encourue par la société Socopa Est au motif qu'il ne justifiait d'aucun motif de nature à fonder légalement cette décision ; que si le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE fait grief aux premiers juges de ne pas lui avoir demandé auparavant de leur préciser les raisons de fait et de droit ayant présidé à sa décision s'ils s'estimaient insuffisamment informés pour leur permettre d'exercer leur contrôle, ceux-ci n'ont en l'espèce pas entaché leur jugement d'irrégularité en ne prononçant pas le supplément d'instruction susévoqué, dès lors qu'il résulte de l'instruction que le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le ministre dans l'exercice de son pouvoir était soulevé par la commune d'Epinal et que ce dernier n'a effectivement articulé aucun motif en réponse audit moyen en se bornant à indiquer qu'il n'avait pas souhaité remettre en cause l'exonération précédemment accordée ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1er de l'article 1465 du code général des impôts : «Dans les zones définies par l'autorité compétente ou l'aménagement du territoire le rend utile, les collectivités locales… peuvent, par une délibération de portée générale, exonérer de la taxe professionnelle en totalité ou en partie les entreprises qui procèdent sur leur territoire… à la reprise d'établissements en difficulté exerçant le même type d'activités. Cette délibération ne peut avoir pour effet de reporter de plus de cinq ans l'application du régime d'imposition de droit commun…» ; qu'en vertu du 2ème alinéa du même article, l'exonération prévue en cas de reprise d'établissement en difficulté est soumise à agrément, délivré par le ministre de l'économie et des finances conformément aux dispositions de l'article 1649 nonies du code général des impôts ; qu'aux termes de 10ème alinéa du même article : «… toute entreprise qui cesse volontairement son activité pendant une période d'exonération prévue au présent article, ou dans les cinq années suivant la fin de celle-ci, est tenue de verser les sommes qu'elle n'a pas acquittées au titre de la taxe professionnelle »; que, contrairement à ce que soutient la commune d'Epinal, il résulte toutefois de la combinaison des dispositions précitées des articles 1465 et 1756 du code général des impôts que, dans les cas où l'exonération de taxe professionnelle est subordonnée à l'octroi préalable d'un agrément ministériel, l'obligation de reverser les impositions non acquittées n'intervient qu'en conséquence du retrait d'agrément que le ministre est alors tenu de prononcer ;

Considérant qu'en application d'une délibération du conseil municipal de la commune d'Epinal, la Société d'abattage de l'Est a été exonérée de taxe professionnelle au titre des années 1996 à 1999 dans le cadre de la reprise d'un établissement en difficulté, après avoir obtenu l'agrément requis à cet effet par décision ministérielle du 8 août 1996, qui disposait notamment en son article 4 qu'elle pourrait être déchue de tout ou partie des avantages fiscaux qui y sont attachés à défaut d'exécution de ses engagements ainsi que dans le cas prévu à l'article 1465, 10ème alinéa, du code général des impôts ; qu'il résulte de l'instruction que ladite société a fermé son établissement d'Epinal le 8 décembre 2000, en transférant son exploitation dans une autre commune, avant d'être absorbée le 23 novembre 2001 par la SA Socopa-Est ; que, par courrier du 28 novembre 2002, la direction de contrôle fiscal Est a informé ladite société de son intention de prononcer la déchéance de l'exonération de taxe professionnelle accordée à la Société d'abattage de l'Est et d'effectuer les rappels d'imposition correspondants ;

Considérant qu'à supposer même que la correspondance en date du 1er juillet 2003 produite par le ministre devant la cour puisse être regardée comme emportant implicitement le retrait de l'agrément accordé le 8 août 1996, il résulte des dispositions précitées de l'article 1756 du code général des impôts que le ministre de l'économie et des finances n'est en tout état de cause habilité qu'à limiter les effets de la déchéance à une fraction des avantages obtenus du fait de l'agrément et ne saurait ainsi sans méconnaître ces dispositions exonérer intégralement desdits effets l'entreprise ayant manqué à ses engagements ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en procédant néanmoins à une telle exonération, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

Considérant que s'il résulte des dispositions précitées que s'il aurait pu légalement limiter les effets de la déchéance encourue à une fraction des avantages obtenus par la société bénéficiaire de l'agrément, le ministre n'établit pas, en se bornant à invoquer devant la cour les motifs tirés de ce qu'il importait de ne pas entraver le développement de l'entreprise alors que celle-ci avait respecté les conditions de son engagement pendant quatre ans et que sa situation financière, bien qu'en voie de rétablissement, n'était pas encore consolidée, que l'octroi d'une quelconque dérogation aux dispositions de l'article 1756 du code général des impôts aurait été justifié en l'espèce ; que c'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont estimé que la commune d'Epinal était fondée à demander réparation de l'intégralité du préjudice résultant de la perte de ressources fiscales qu'elle a subie ; qu'il s'ensuit que le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE doit être rejeté ;

Sur le préjudice :

Considérant que si la commune d'Epinal estime son préjudice à la somme de 209 377,28 euros, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE soutient sans être contredit que le taux d'imposition voté par l'assemblée communale applicable aux bases nettes soumises à la taxe professionnelle s'élevait respectivement à 17,64 % pour l'année 1996 et à 17,56 % pour les années 1997 et 1998 ; qu'après rectification d'une erreur non contestée affectant le calcul de la cotisation afférente à l'année 1999, le préjudice subi par la commune d'Epinal correspondant à la somme des parts communales de taxe professionnelle que la Société d'abattage de l'Est aurait dû acquitter s'établit à 104 773 euros ; que l'appel incident de la commune d'Epinal tendant à porter cette somme à 209 377,28 € doit ainsi être rejeté ;

Sur les intérêts des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts afférents à la somme précitée de 104 773 euros, ayant couru à compter du 1er janvier 2004, a été demandée le 10 septembre 2004, date à laquelle il n'était pas dû une année d'intérêts, puis le 7 mars 2005 ; qu'au cas où le jugement susvisé du tribunal administratif n'aurait pas été exécuté, il y aurait lieu, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter de cette dernière date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté ainsi que l'appel incident de la commune d'Epinal.

Article 2 : Au cas où le jugement susvisé n'aurait pas été exécuté, les intérêts au taux légal afférents à la somme de 104 773 euros ayant couru à compter du 1er janvier 2004 seront capitalisés à compter du 7 mars 2005, puis à compter de chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à la commune d'Epinal au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la commune d'Epinal.

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N° 05NC01132


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 05NC01132
Date de la décision : 19/04/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : Mme MAZZEGA
Rapporteur ?: M. Pierre VINCENT
Rapporteur public ?: Mme STEINMETZ-SCHIES
Avocat(s) : BABEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-04-19;05nc01132 ?
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