Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Billard 83 a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, d'annuler la décision du 22 juin 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi d'un ressortissant étranger non autorisé à travailler et séjourner en France pour un montant total de 18 800 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire et, en tout état de cause, de mettre à la charge de l'OFII le paiement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2202296 du 10 octobre 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2024, la société Billard 83, représentée par Me Mezouar, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2024 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du 22 juin 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale pour l'emploi d'un ressortissant étranger non autorisé à travailler et séjourner en France pour un montant total de 18 800 euros et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire ;
4°) de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 000 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif de Toulon a méconnu son office ; le tribunal administratif de Toulon n'a pas répondu aux arguments tirés du caractère vicié de la procédure de contrôle et de la méconnaissance du principe du contradictoire ;
- le tribunal administratif de Toulon a procédé à une substitution de motifs, sans l'en informer au préalable ;
- le procès-verbal de constatation des faits qui lui sont reprochés, rédigé par les services de gendarmerie le 2 mars 2022, est irrégulier ;
- M. A... disposait d'un récépissé de demande de titre de séjour ; elle a rencontré des difficultés pour recruter une personne titulaire d'une autorisation de travail ;
- le montant de la contribution doit être plafonné à 15 000 euros ;
- il y a lieu de faire application des réductions prévues par les dispositions de l'article R. 8253-2 du code du travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2025, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de la société Billard 83 la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François Point, rapporteur,
- et les conclusions de M. Olivier Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 2 mars 2022, à 16h20, les services de la gendarmerie nationale de la compagnie de Le Cannet des Maures ont procédé, sur réquisition judiciaire, au contrôle du restaurant Billard 83 situé voie Jacques Prévert, sur la commune des Arcs-sur-Argens. Lors de ce contrôle, il a été constaté que M. B... A..., ressortissant de nationalité turque, était titulaire d'un récépissé de demande de titre de séjour ne l'autorisant pas à travailler. Un procès-verbal d'infraction a alors été transmis à l'OFII. Par une décision du 22 juin 2022, le directeur général de l'OFII a appliqué à la société Billard 83 la contribution spéciale pour l'emploi irrégulier de M. A..., pour un montant de 18 800 euros. La société Billard 83 relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à la décharge de la somme précitée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif de Toulon était saisi d'un moyen tiré de l'irrégularité du procès-verbal de constatation des faits ayant servi de fondement à la mesure attaquée. En écartant ce moyen au motif que l'irrégularité invoquée était sans influence sur la légalité de la mesure prononcée, le tribunal administratif de Toulon n'a pas méconnu son office et a ainsi répondu audit moyen. Par suite, le moyen d'appel tiré de ce que les premiers juges auraient omis de répondre à un moyen doit être écarté.
3. En considérant, au point 3 du jugement, que les sanctions contestées reposaient sur les constatations effectuées le 2 mars 2022, les premiers juges n'ont pas procédé à une substitution des motifs qui fondent la décision du 22 juin 2022. Par suite, la société Billard 83 n'est pas fondée à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction aurait été méconnu et que le jugement attaqué serait intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. / Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa. ". Aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail dans sa version applicable au litige : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat selon des modalités définies par convention. / L'Etat est ordonnateur de la contribution spéciale. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. /Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette contribution comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines. ".
5. Aux termes de l'article L. 8271-17 du code du travail dans sa version applicable au litige : " Outre les agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés à l'article L. 8112-1, les agents et officiers de police judiciaire, les agents de la direction générale des douanes et les agents du Conseil national des activités privées de sécurité commissionnés par son directeur et assermentés sont compétents pour rechercher et constater, au moyen de procès-verbaux transmis directement au procureur de la République, les infractions aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler et de l'article L. 8251-2 interdisant le recours aux services d'un employeur d'un étranger non autorisé à travailler. / Afin de permettre la liquidation de la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du présent code et de la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration reçoit des agents mentionnés au premier alinéa du présent article une copie des procès-verbaux relatifs à ces infractions. ". Aux termes de l'article R. 8253-3 du code du travail : " Au vu des procès-verbaux qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions de l'article L. 8253-1 sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours. " Aux termes de l'article R. 8253-4 du même code : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1. (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que l'infraction relevée à l'encontre de la société Billard 83 a été constatée lors d'un contrôle des services de la gendarmerie nationale intervenant sur réquisition du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Draguignan, en application des dispositions de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale. Le procès-verbal du 2 mars 2022 est un acte indissociable de cette procédure pénale et il n'appartient pas au juge administratif d'examiner la régularité d'un tel acte. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du procès-verbal du 2 mars 2022 est inopérant et doit être écarté.
7. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail que la contribution spéciale qu'elles prévoient a pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Si la société Billard 83 soutient que M. B... A... disposait d'un récépissé de demande de titre de séjour, il est toutefois constant que ce récépissé, valable du 17 février 2022 au 16 mai 2022, mentionnait explicitement que ce document ne l'autorisait pas à exercer une activité salariée. En outre, il ressort du procès-verbal d'audition du gérant de la société Billard 83 en date du 2 mars 2022 que M. B... A... a été déclaré comme employé au vu de son seul passeport turc, et qu'il ne disposait pas encore de titre de séjour. Par suite, la société Billard 83 ne saurait être regardée comme s'étant acquittée des obligations qui lui incombaient en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et n'est pas fondée à soutenir qu'elle était de bonne foi. Par ailleurs, la société Billard 83 ne peut utilement se prévaloir des difficultés de recrutement qu'elle aurait rencontrées. Par suite, le moyen doit être écarté en toutes ses branches.
8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8256-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15 000 euros ". Aux termes de l'article L. 8256-7 du même code : " Les personnes morales reconnues pénalement responsables (...) des infractions prévues au présent chapitre, à l'exception de l'article L. 8256-1, encourent : / 1° L'amende, dans les conditions prévues à l'article 131-38 du code pénal (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article 131-38 du code pénal : " Le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ".
9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, dont le paiement est mis à la charge de l'employeur ayant méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, ne peut excéder le montant de l'amende pénale susceptible de lui être infligée en application des articles L. 8256-2 et L. 8256-7, dans leur version alors en vigueur. Dès lors, le plafond applicable à la contribution spéciale dont le paiement est mis à la charge d'un employeur, qui est une personne morale, correspond au quintuple du plafond applicable aux contributions dont le paiement est exigé d'un employeur qui est une personne physique. Par suite, la société Billard 83 n'est pas fondée à soutenir que le montant de la contribution mise à sa charge, établi à 18 800 euros, devrait être plafonné à la somme de 15 000 euros.
10. Aux termes de l'article L. 8252-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite : / 1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci (...) / 2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire (...) ". L'article R. 8252-6 du même code prévoit que : " L'employeur d'un étranger non autorisé à travailler s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales. ". L'article L. 8252-4 du même code précise que : " Les sommes dues à l'étranger non autorisé à travailler, dans les cas prévus aux 1° à 3° de l'article L. 8252-2, lui sont versées par l'employeur dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction. ".
11. Aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. ".
12. Il résulte de l'instruction, ainsi que le fait valoir l'OFII, que le procès-verbal du 2 mars 2022 fait apparaitre concernant le travailleur concerné un cumul d'infractions de travail non autorisé d'un salarié étranger et de travail dissimulé, sanctionné à l'article L. 8224-1 du code du travail. Par suite, la société Billard 83 n'est pas fondée à soutenir qu'elle remplissait la condition de non cumul d'infractions. Par ailleurs, il n'est pas établi que la société se serait acquittée des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle remplirait la seconde condition permettant la réduction du montant de la contribution spéciale. Par suite, la société Billard 83 n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du II et du III du R. 8253-2 du code du travail lui étaient applicables.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Billard 83 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Billard 83 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire droit à la demande de l'OFII tendant à l'application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Billard 83 la somme de 1 500 euros sur ce fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Billard 83 est rejetée.
Article 2 : La société Billard 83 versera à l'OFII la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Billard 83 et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. Point, premier conseiller,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juillet 2025.
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N° 24MA02885