Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 5 juin 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter sans délai le territoire français et lui a interdit le retour durant trois ans.
Par un jugement n° 2405599 du 9 juillet 2024, la magistrate désignée près le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Donsimoni, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 9 juillet 2024 ;
3°) à titre principal, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif ou, à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 5 juin 2024 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa demande aurait dû être examinée par une formation collégiale dès lors qu'en l'absence de menace pour l'ordre public, il n'y avait plus d'urgence manifeste à procéder à son éloignement ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;
- il dispose d'un droit de se maintenir sur le territoire sur le fondement des dispositions de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement en raison de l'incompétence du magistrat désigné statuant seul pour statuer sur des conclusions à fin d'annulation d'une obligation de quitter le territoire notifiée à un ressortissant de l'Union européenne qui n'a pas été assigné à résidence ou placé en rétention (application des dispositions de l'article L. 251-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Poullain a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant de nationalité roumaine né en 1993, relève appel du jugement du 9 juillet 2024 par lequel la magistrate désignée près le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2024 du préfet des Bouches-du-Rhône l'obligeant à quitter sans délai le territoire français et prononçant à son encontre une interdiction de retour durant trois ans.
Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle : " L'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance ". Et aux termes de l'article 20 de cette loi : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. M. A..., déjà représenté par un avocat, ne justifie pas du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle compétent et n'a pas joint à son appel une telle demande. Aucune situation d'urgence ne justifie qu'il soit fait application des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991. Sa demande d'aide juridictionnelle provisoire ne peut, dans ces conditions, qu'être rejetée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 251-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui concerne les décisions d'éloignement prises à l'encontre des citoyens de l'Union européenne et des membres de leur famille, dans sa version applicable : " Les décisions portant obligation de quitter le territoire français et les interdictions de circulation sur le territoire français prises en application du présent chapitre peuvent être contestées devant le tribunal administratif dans les conditions prévues au chapitre IV du titre I du livre VI. L'article L. 614-5 n'est toutefois pas applicable ".
5. Dès lors que le litige en cause porte sur une obligation de quitter le territoire français notifiée à un ressortissant de l'Union européenne qui n'a pas été assigné à résidence ou placé en rétention et que les dispositions de l'article L. 251-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile excluent, dans cette hypothèse, l'application de l'article L. 614-5 du même code, prévoyant dans certains cas la compétence d'un magistrat désigné statuant seul, le jugement de l'affaire relevait d'une formation collégiale du tribunal. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit, dès lors, être annulé.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Marseille.
Sur la légalité de l'arrêté du 5 juin 2024 :
7. Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; / 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3° ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; / 3° Leur séjour est constitutif d'un abus de droit. / (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".
8. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative d'un État membre qui envisage de prendre une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un autre État membre de ne pas se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, mais d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. L'ensemble de ces conditions doit être apprécié en fonction de la situation individuelle de la personne, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
9. Si M. A... a été interpelé le 4 juin 2024 par les services de police pour des faits de vol avec destruction ou dégradation, consistant en un branchement illégal sur une borne électrique de la gare ferroviaire de Saint-Martin-de-Crau, l'intéressé conteste en être à l'origine et le préfet indique lui-même que ces faits n'ont donné lieu à aucune poursuite. Par ailleurs, la condamnation prononcée à l'encontre de M. A... par le tribunal correctionnel, pour détention de faux documents et conduite sans permis de conduire et sans assurance, est ancienne dès lors qu'elle date du 5 octobre 2017. Il ne résulte ainsi pas de ces seuls éléments et de la circonstance que le requérant s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement prise au cours de l'année 2017, que sa présence sur le territoire serait de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française au sens de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Toutefois, ainsi que l'a fait valoir le préfet devant le tribunal, il est constant que M. A..., bien qu'ayant travaillé dans le cadre de contrats à durée déterminée de janvier à juillet 2023 et de septembre 2023 à février 2024, n'exerçait pas d'activité professionnelle en France à la date de l'acte attaqué. Il reconnait ne pas disposer de logement personnel et occuper sans titre ni autorisation une maison située à proximité de la gare de Saint Martin de Crau avec sa compagne, sans ressources, qui attend un enfant, le premier enfant de cette dernière et son frère handicapé qui est à sa charge. Ainsi, alors même que l'intéressé perçoit pour une durée d'environ six mois les allocations d'aide au retour à l'emploi d'un montant d'environ 1 070 euros, il ne dispose pas de ressources suffisantes pour ne pas devenir, avec sa famille, une charge pour le système d'assistance sociale. M. A... ne remplit donc aucune des conditions prévues par l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour avoir le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois. Il résulte de l'instruction que le préfet des Bouches-du-Rhône aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce motif et que cette substitution de motif ne prive M. A... d'aucune garantie procédurale. Par conséquent, il y a lieu de faire droit à la demande de substitution de motif que le préfet doit être regardé comme ayant présenté devant le tribunal.
11. M. A... est père de deux enfants en Roumanie et sa date d'entrée en France est inconnue. Eu égard à ce qui précède et alors même que sa compagne, également en situation irrégulière, était enceinte de plus de quatre mois à la date de la décision attaquée, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision portant obligation de quitter le territoire serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 juin 2024 doivent être rejetées.
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de M. A....
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2405599 de la magistrate désignée près le tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2024 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et à Me Marie-Anne Donsimoni.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Point, premier conseiller,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juillet 2025.
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N° 24MA01965
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