Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par un jugement n° 1602244 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné la SARL Westmead Productions à évacuer hors du domaine public maritime les installations et ouvrages visés dans le procès-verbal du 2 février 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et a autorisé l'administration à y procéder d'office, en cas d'inexécution de la société dans ce délai.
Par un arrêt n° 18MA00263, 18MA00639 du 16 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il concernait la destruction de la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse.
Par un jugement n° 2103126 du 9 avril 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice a condamné la SARL Westmead Productions à verser à l'Etat la somme de 300 000 euros au titre de l'astreinte due pour la période du 4 juillet 2018 au 1er mars 2024.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 29 avril 2024, le 6 mai 2025 et le 24 juin 2025, la SARL Westmead Productions, représentée par Me Haddad, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 avril 2024 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier ; c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de renvoi formée le 4 mars 2024 ; son conseil n'a pas été en mesure de prendre connaissance du dossier ; elle n'a pas été mise en mesure de répliquer au mémoire du préfet qui lui a été communiqué le 18 mars 2024 ; il a été porté atteinte au principe du contradictoire et au droit à un procès équitable protégé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le sens des conclusions du rapporteur public n'a pas été communiqué au préalable, en méconnaissance du R.711-3 du code de justice administrative ;
- l'astreinte ne pouvait être prononcée dès lors que la décision était inexécutable en raison d'un cas fortuit ; le syndicat des copropriétaires s'est opposé à la réalisation de travaux ; elle ne pouvait réaliser les travaux sans porter atteinte à la propriété du syndicat de copropriété " La joie de Vivre " ; l'instabilité du mur rendait impossible la réalisation des travaux ;
- la période de liquidation d'astreinte est erronée ; la démarche du préfet est un abus de procédure ; le préfet s'est abstenu de toute exécution d'office ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l'exécution de l'arrêté du 29 novembre 2021 autorisant les agents de la DDTM à pénétrer sur la propriété privée de la copropriété " La Joie de Vivre " ;
- une ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Nice du 5 juillet 2024 lui a interdit la réalisation de tous travaux de démolition dans l'attente de la délimitation préalable de la propriété du syndicat des copropriétaires par rapport au domaine public maritime et de la présentation d'un dossier technique décrivant les plans d'exécution de ces travaux ainsi que les dispositifs prévus pour pallier les risques et conséquences de cette démolition.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2025, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Point, premier conseiller,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Haddad pour la SARL Westmead Productions.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré au tribunal administratif de Nice, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la SARL Westmead Productions et son gérant M. A..., propriétaires de la villa " Le Jardin de la Mer " située au lieudit " Plage de Grasseuil ", au 13 avenue de Grasseuil au Cap Ferrat sur le littoral de la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, pour avoir maintenu sur le domaine public maritime, au droit de la propriété, une portion d'embarcadère de 2 mètres de long et de 0,80 mètre de large débordant de l'emprise de la terrasse, un escalier d'accès à la mer en béton construit sur les roches existantes comprenant deux volées de marches entrecoupées par un palier intermédiaire et un palier supérieur, un appontement situé sous la terrasse mesurant 2 mètres de long et 0,80 mètre de large d'une superficie de 1,60 m2, une terrasse en béton armée, construite sur cinq piliers fondés sur la roche naturelle et enracinée, pour partie, sur la crête du mur de soutènement de la propriété. Par un jugement n° 1602244 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné la SARL Westmead Productions à évacuer hors du domaine public maritime les installations et ouvrages visés dans le procès-verbal du 2 février 2016, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et a autorisé l'administration à y procéder d'office, en cas d'inexécution de la société dans ce délai. Par un arrêt n° 18MA00263, 18MA00639 du 16 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il concernait la destruction de la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse. Par un jugement n° 2103126 du 9 avril 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice a procédé à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'article 3 du jugement du 21 novembre 2017, au titre des deux périodes du 3 juillet 2018 au 31 mai 2021 et du 1er juin au 1er mars 2024, et condamné la SARL Westmead Productions à verser à l'Etat la somme de 300 000 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".
3. Il résulte de l'instruction que pour liquider l'astreinte, le tribunal administratif de Nice s'est fondé sur des éléments nouveaux produits par le préfet des Alpes Maritimes à l'appui de son mémoire enregistré le 15 mars 2024, notamment les pièces jointes numérotées 6 à 12 de ce mémoire. Le tribunal a communiqué ce mémoire à la SARL Westmead Productions le 18 mars 2024, soit la veille de l'audience, qui s'est tenue le 19 mars 2024 à 15 heures. La SARL Westmead Productions n'a pas eu communication de ces éléments en temps utile pour y répondre. Par conséquent, la société requérante est fondée à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière, et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre cause d'irrégularité soulevée par la SARL Westmead Productions, qu'il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement pour irrégularité et de statuer, dans les circonstances de l'espèce, sur la demande de liquidation d'astreinte présentée par le préfet des Alpes-Maritimes par la voie de l'évocation.
Sur la liquidation de l'astreinte :
5. Lorsqu'il a assorti l'injonction de remettre en état le domaine public maritime d'une astreinte dont il a fixé le point de départ, le juge administratif doit procéder à sa liquidation en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive de l'injonction. Il peut toutefois modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle, compte tenu notamment des difficultés rencontrées dans l'exécution de la chose jugée par les parties tenues de procéder à cette exécution, des diligences déjà accomplies par elles et de celles qui sont encore susceptibles de l'être.
6. Il résulte de l'instruction que le jugement du 21 novembre 2017 a été signifié à la société contrevenante le 3 janvier 2018. Le délai de six mois dont disposait celle-ci pour démolir les ouvrages situés sur le domaine public maritime a pris fin le 4 juillet 2018. Il est constant que la société requérante n'a pas procédé à la remise en état des lieux et n'a pas exécuté le jugement.
7. Si la SARL Westmead Productions soutient que le préfet n'a engagé aucune procédure de liquidation d'astreinte entre le 18 janvier 2018 et le 8 juin 2021, date d'introduction de sa demande de liquidation, cette circonstance, au regard de l'objet même de l'astreinte, n'est pas susceptible de caractériser un détournement de procédure. En outre, le préfet des Alpes-Maritimes justifie de démarches en vue de faire exécuter le jugement du 21 novembre 2017, notamment un constat d'occupation sans titre établi le 26 septembre 2018, deux réunions sur site les 28 mai 2021 et 7 juillet 2021, ainsi que la réalisation d'études géotechniques G5-G2 PRO par la société Roxxa et Terra Geotec, en février 2022. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme la SARL Westmead Productions, il n'est pas établi que le préfet n'aurait pas manifesté l'intention de faire exécuter le jugement.
8. Il résulte de l'instruction que l'un des ouvrages à démolir est une terrasse sur pilotis surplombant le domaine public maritime, enracinée sur la crête du mur de soutènement des propriétés voisines. Le 7 juillet 2021, les services de l'Etat ont organisé une réunion avec des experts en construction en vue d'établir un diagnostic sur la démolition de l'ouvrage. Il ressort du compte rendu de cette réunion du 7 juillet 2021 que la destruction de la terrasse présente un risque affectant la solidité du mur de soutènement sur lequel elle s'appuie. A la fin du point II et au point III du compte rendu, il est préconisé un programme d'investigations permettant d'établir les charges à reprendre et la solution à mettre en œuvre. Au point IV du compte rendu de réunion, sont envisagées deux hypothèses techniques consistant, d'une part, en la création de piliers-contreforts, et, d'autre part, en la mise en œuvre de tirants, ancrés dans la partie infrastructurelle du terrain. Pour cette deuxième solution technique, le compte rendu indique, au titre des contraintes, que l'accord de la copropriété " Villa la joie de vivre " serait nécessaire pour utiliser son tréfonds. Si la SARL Westmead Productions verse au dossier un rapport d'expertise géotechnique daté du 29 juillet 2021, confirmant l'existence de risques de déstabilisation du mur de soutènement, ce rapport ne se prononce pas sur les solutions techniques permettant de prévenir ces risques et ne caractérise pas d'impossibilité technique à la démolition. Par ailleurs, à la suite de la réunion du 7 juillet 2021, l'Etat a fait réaliser des études géotechniques G5-G2 PRO par la société Roxxa et Terra Geotec. Le rapport d'études établi par cette société, remis le 16 février 2022, préconise un programme de travaux en cinq phases, permettant la destruction de l'ouvrage et la réalisation de travaux de confortement de nature à préserver à long terme la solidité et la stabilité du mur de soutènement. La phase 2 du programme des travaux prévoit notamment un dispositif de confortement du mur par la mise en œuvre de " croix de Saint-André ". Le rapport du 16 février 2022 présente également des préconisations techniques concernant l'usage des engins à percussion, visant à éviter les mouvements sur les existants, ainsi que des mesures de surveillance et de contrôle concernant le mur de soutènement. Il résulte de ce rapport que, contrairement à ce qu'affirme la SARL Westmead Productions, la démolition de l'ouvrage dans les règles de l'art, bien que complexe, est techniquement possible. Par suite, la SARL Westmead Productions n'est pas fondée à soutenir que la destruction de l'ouvrage porterait une atteinte grave et irrémédiable à la solidité des propriétés voisines et qu'une situation de force majeure ferait obstacle à l'exécution des travaux.
9. La SARL Westmead Productions soutient, par ailleurs, que la copropriété " Villa la joie de vivre ", propriétaire du mur de soutènement sur lequel s'appuie la terrasse, s'oppose à la réalisation des travaux. Il ressort en effet des pièces du dossier que la société requérante s'est heurtée, à de nombreuses reprises, à l'opposition de la copropriété qui, outre l'exercice d'une tierce opposition, laquelle a été in fine rejetée par décision du Conseil d'Etat en date du 13 novembre 2023 a, d'une part, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice aux fins de suspension de l'arrêté DDTM n° 2021-006 du préfet des Alpes-Maritimes du 29 novembre 2021 en tant qu'il autorisait les agents de l'Etat et les personnes mandatées par l'administration à pénétrer dans la propriété privée de la copropriété " Villa la joie de vivre " et obtenu satisfaction à ce titre, et a, d'autre part, saisi le juge judiciaire, lequel a, postérieurement toutefois à la période de liquidation de l'astreinte concernée par le jugement attaqué, interdit à la société Westmead Productions la réalisation de tous travaux de démolition dans l'attente de la délimitation préalable de la propriété du syndicat des copropriétaires par rapport au domaine public maritime et de la présentation d'un dossier technique décrivant les plans d'exécution de ces travaux ainsi que les dispositifs prévus pour pallier aux risques et conséquences de cette démolition.
10. Il résulte de ce qui précède que si la SARL Westmead Productions ne peut utilement se prévaloir de l'impossibilité de procéder à la remise en état du domaine public, l'inexécution du jugement du 21 novembre 2017 trouve toutefois en partie son origine dans des difficultés techniques et juridiques entourant les conditions de destruction de l'ouvrage.
11. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de modérer l'astreinte dans le cadre de la présente liquidation en retenant un montant de 40 euros par jour de retard. L'astreinte doit ainsi être liquidée pour la période du 4 juillet 2018 au 1er mars 2024, représentant un total de 2 067 jours, à la somme de 82 680 euros.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société requérante la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2103126 du 9 avril 2024 est annulé.
Article 2 : L'astreinte prononcée par jugement n° 1602244 du 21 novembre 2017 du tribunal administratif de Nice est liquidée à la somme de 82 680 euros sur la période du 4 juillet 2018 au 1er mars 2024.
Article 3 : Le surplus des conclusions de première instance et des conclusions d'appel des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Westmead Productions et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. Point, premier conseiller,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juillet 2025.
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N° 24MA01101