Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision implicite du 10 mai 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de reclassement, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'ouvrir à son bénéfice une période de préparation au reclassement d'une durée d'un an avec maintien de son plein traitement et de lui proposer un reclassement dans le cadre des personnels administratifs sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, enfin, de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 70 778,84 euros en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n° 2106198 du 12 janvier 2024, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite du ministre de l'intérieur du 10 mai 2021 en tant qu'elle refuse de procéder au reclassement de Mme A..., a enjoint à l'administration de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Marechal, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106198 du 12 janvier 2024 du tribunal administratif de Marseille ainsi que la décision du 10 mai 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de reclassement ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui ouvrir une période de préparation au reclassement d'une durée d'un an avec maintien de son plein traitement ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 105 778,84 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2024 est entaché d'erreurs de droit en ce qu'il a méconnu son droit à une période de préparation au reclassement résultant des dispositions claires et précises de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 ;
- ce jugement est entaché d'une omission à statuer et d'une erreur de fait en ce qu'il ne procède pas à l'analyse d'un trouble exceptionnel dans ses conditions d'existence résultant du délai excessif et de l'inertie de l'administration pour procéder à son reclassement ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il a refusé de condamner l'administration à l'indemniser du préjudice résultant pour elle de la faute de l'administration qui a refusé d'ourdir à son bénéfice une période de préparation au reclassement ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 63 de la loi 11 juillet 1983 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat, en sa version en vigueur à la date du 28 novembre 2017, dont les dispositions sont suffisamment claires et précises pour être d'application immédiate en l'absence de décret d'application ;
- il en résulte que l'Etat doit être condamné à lui verser la somme de 70 778,84 euros correspondant à une période d'un an à plein traitement dont elle avait droit pendant sa période de préparation au reclassement ;
- en outre, elle est fondée à solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral découlant de la privation illégale de son droit à bénéficier d'une période de préparation au reclassement en sa qualité de fonctionnaire titulaire ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation relative à la minoration excessive du préjudice moral résultant de l'inaction fautive durant un délai déraisonnable au cours duquel le ministre l'a laissée dans une position administrative ne lui permettant pas de percevoir son traitement ;
- le jugement est entaché d'erreurs de fait relatives à la réalité des diligences qu'elle a accomplies pour retrouver un poste dans la fonction publique.
Par une ordonnance du 17 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 novembre 2024 à 12 heures.
Un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2024 après clôture de l'instruction, présenté par le ministre de l'intérieur, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le décret n° 2018-502 du 20 juin 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., titulaire du grade de gardien de la paix, a été placée en congé de maladie ordinaire du 19 décembre 2016 au 18 décembre 2017. Le 28 juillet 2017, elle a sollicité son reclassement dans le corps des personnels administratifs du ministère de l'intérieur. Le 28 novembre 2017, le comité médical interdépartemental l'a déclarée définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions actives de police. Placée en position de disponibilité d'office pour raison de santé à l'expiration de son congé de maladie ordinaire, Mme A... a confirmé, par courrier du 12 janvier 2018, son souhait d'être reclassée. Le comité médical, saisi de sa situation, a émis un avis favorable à son reclassement sur un poste administratif le 18 avril 2018. Par un courrier du 8 mars 2021 reçu le 10 mars par l'administration, elle a renouvelé sa demande de reclassement et sollicité l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du délai déraisonnable de la procédure de reclassement, et de la circonstance qu'elle a été abusivement placée en position de disponibilité d'office pour raison de santé avec diminution de moitié de son traitement alors même qu'elle pouvait prétendre au bénéfice de la période préparatoire au reclassement pendant une durée d'un an à compter de l'avis du comité médical avec maintien de son plein traitement. Une décision implicite de rejet étant née du silence gardé par l'administration sur cette demande, elle a saisi le tribunal administratif de Marseille lequel, par un jugement du 12 janvier 2024, a annulé la décision implicite du ministre de l'intérieur du 10 mai 2021 en tant qu'elle refuse de procéder au reclassement de l'intéressée, a enjoint à l'administration de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. Par la présente requête, Mme A... doit être regardée comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si, aux termes de ses conclusions devant le tribunal administratif de Marseille, Mme A... a demandé que soit prononcée la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 45 778,84 euros en réparation de " son préjudice financier et du trouble dans ses conditions d'existence ", et qu'elle a par ailleurs soutenu, dans ses écritures, que la faute de l'administration, résultant du délai déraisonnable d'instruction de sa demande de reclassement, lui a causé un trouble dans les conditions d'existence du fait de son maintien dans une position d'attente, trouble à l'origine de son préjudice financier, il ressort de la description de ses préjudices, figurant au point 4 de son unique mémoire produit devant les premiers juges, que la somme de 45 778,84 euros correspond exclusivement à l'évaluation de ses pertes de revenus. Par ailleurs, il résulte de ce même descriptif que la faute précitée, résultant du délai déraisonnable d'instruction de sa demande de reclassement, est à l'origine non pas de troubles dans les conditions d'existence, mais d'un préjudice moral, qu'elle évalue à 10 000 euros, sans apporter d'élément permettant d'établir qu'il serait distinct d'éventuels troubles dans les conditions d'existence. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer, faute d'avoir statué sur l'existence d'un préjudice de troubles dans les conditions d'existence, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une erreur de droit, d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la légalité de la décision implicite du 10 mai 2021 en tant qu'elle rejette la demande d'octroi d'une période de préparation au reclassement :
4. Aux termes du dernier alinéa de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire reconnu inapte à l'exercice de ses fonctions a droit, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat, à une période de préparation au reclassement avec traitement d'une durée maximale d'un an. Cette période est assimilée à une période de service effectif. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 2 du décret du 30 novembre 1984, pris en application de l'article 63 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat en vue de faciliter le reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, dans sa rédaction applicable au litige, qui résulte du décret n° 2015-502 du 20 juin 2018 instituant une période de préparation au reclassement au profit des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, dans sa version applicable au litige : " L'agent qui fait part de son refus de bénéficier d'une période de préparation au reclassement présente une demande de reclassement en application des dispositions du même article 3.".
5. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'application des dispositions du dernier alinéa de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984, qui résultent de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique, était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à la mise en œuvre de ce nouveau dispositif. Par conséquent, elles ne sont entrées en vigueur qu'à la date d'entrée en vigueur, le 23 juin 2018, du décret du 20 juin 2018 instituant une période de préparation au reclassement au profit des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions. En outre, il résulte des dispositions citées au point précédent du dernier alinéa de l'article 2 du décret du 30 novembre 1984 que, dès lors que la procédure de reclassement de Mme A... était déjà engagée à la date de la décision contestée, l'intéressée s'étant d'ailleurs vue proposer plusieurs emplois pouvant être pourvus par la voie du détachement, elle ne pouvait pas bénéficier d'une période de préparation au reclassement. Dans ces conditions, en se bornant à soutenir que la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984, au seul motif qu'elles étaient d'application immédiate, la requérante n'établit pas que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision implicite du 10 mai 2021 en tant qu'elle rejette sa demande d'octroi d'une période de préparation au reclassement. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de Mme A... :
7. En premier lieu, la décision par laquelle la demande d'octroi d'une période de préparation au reclassement de Mme A... a été rejetée n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, les conclusions de l'intéressée tendant à ce que l'Etat l'indemnise des préjudices financier et moral imputables à cette décision ne peuvent qu'être rejetées.
8. En deuxième lieu, il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il incombe à l'employeur public, avant de pouvoir prononcer son licenciement, de chercher à reclasser l'intéressé dans un autre emploi. La mise en œuvre de ce principe implique que, sauf si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Ce n'est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu'il n'existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l'intéressé, soit que l'intéressé est déclaré inapte à l'exercice de toutes fonctions ou soit que l'intéressé refuse la proposition d'emploi qui lui est faite, qu'il appartient à l'employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l'intéressé, son licenciement.
9. Il résulte de l'instruction que Mme A... a présenté plusieurs demandes de reclassement les 28 juillet 2017, 12 janvier 2018 et 8 mars 2021, et que, par un avis du 28 novembre 2017, le comité médical interdépartemental, qui l'a déclarée définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions actives de police, peut néanmoins être regardé comme ayant rendu un avis favorable à son reclassement sur un poste de nature administrative. Par ailleurs, selon les certificats médicaux versés dans l'instance, notamment le certificat établi le 3 septembre 2018 par le psychiatre qui assure le suivi de Mme A..., l'état de santé de celle-ci est compatible avec une activité professionnelle de nature administrative exclusivement. Toutefois, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Marseille, l'administration n'a proposé aucun poste à Mme A... avant le 29 novembre 2019, et n'a fait état d'aucune diligence pour faire droit à sa demande de reclassement, ni n'a allégué l'absence de poste administratif vacant, compatible avec son état de santé, susceptible de lui être proposé avant cette date. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'en raison de son inertie, l'Etat n'avait pas satisfait dans un délai raisonnable à son obligation de reclassement. Par suite, et alors que Mme A... justifie, quant à elle, avoir fait acte de candidature sur plusieurs postes notamment en septembre 2019 et au premier semestre de l'année 2020, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral, qui inclut, en l'espèce, les troubles dans les conditions d'existence ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, en le fixant à 2 000 euros.
10. Enfin, en troisième et dernier lieu, le préjudice de perte des droits à pension et à avancement, évalué à 15 000 euros par Mme A... sans autre forme de précision, notamment quant au fait générateur auquel il se rattacherait, n'est pas en lien direct avec la seule faute commise par l'administration décrite au point précédent.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a limité l'indemnisation mise à la charge de l'Etat à la somme de 1 000 euros, laquelle doit être portée à un montant de 2 000 euros.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 1 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme A... par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2024 est portée à 2 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2106198 du 12 janvier 2024 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 8 juillet 2025.
N° 24MA00553 2