Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Distribution Casino France doit être regardée comme ayant demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le titre de perception émis le 3 février 2022 à son encontre par le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur pour le recouvrement de la somme de 67 200 euros due au titre des amendes administratives prononcées le 26 octobre 2021, ensemble la décision du 11 mai 2022 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2202109 du 9 janvier 2025, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 4 mars 2025, la société Distribution Casino France représentée par Me Bouchez El Ghozi, doit être regardée comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 janvier 2025 ;
2°) d'annuler le titre de perception du 3 février 2022, ensemble la décision du 11 mai 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance n'est pas certaine dès lors qu'elle est contestée dans le cadre d'une autre instance ; toute autre interprétation, et les dispositions de l'article L. 8115-7 du code du travail, méconnaissent le droit au recours effectif garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de même que la présomption d'innocence garantie par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le système de décompte individuel du temps de travail mis en place respecte les dispositions applicables qui ne prévoient aucun formalisme particulier ; le planning établi, corrigé le cas échéant par les salariés, est fiable, ainsi que cela a pu être constaté lors des contrôles sur place ; il comprend les pauses ; l'employeur n'a pas à vérifier quotidiennement le décompte effectué par son collaborateur ; un récapitulatif hebdomadaire est dûment établi ;
- toute autre interprétation, faute de prévisibilité, méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines.
La procédure a été communiquée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de plusieurs contrôles effectués par les inspecteurs du travail dans l'établissement secondaire de la société Distribution Casino France situé à Saint-Raphaël il a été constaté que durant quatre semaines consécutives entre les mois de février et mars 2020, la société y avait manqué à son obligation, fixée par les articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, de tenir les décomptes individuels et quotidiens de la durée de travail de 28 de ses salariés n'étant pas soumis à un même horaire collectif de travail. Par une décision du 26 octobre 2021, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur a prononcé à son encontre 28 amendes administratives d'un montant unitaire de 2 400 euros à ce titre, pour un montant total de 67 200 euros. La société Distribution Casino France relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis à son encontre le 3 février 2022 pour le recouvrement de cette somme, ensemble la décision du 11 mai 2022, rejetant son recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le caractère certain de la créance :
2. Aux termes de l'article L. 8115-7 du code du travail, applicable à la créance en cause : " Les amendes sont recouvrées selon les modalités prévues pour les créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. L'opposition à l'exécution ou l'opposition aux poursuites n'a pas pour effet de suspendre l'action en recouvrement de la créance ". En application de l'article R. 8115-4 du même code, les articles 112 à 124 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique sont applicables au recouvrement de l'amende, à l'exception du quatrième alinéa de son article 117 qui prévoit que les contestations du titre de perception ont pour effet de suspendre le recouvrement de la créance.
3. Il résulte de ces dispositions que le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités pouvait mettre en recouvrement la somme en cause en émettant le titre de perception litigieux, alors même qu'une instance était en cours quant à la légalité de la décision du 26 octobre 2021 constatant la créance et que cette dernière n'était ainsi pas définitive. La requérante ne saurait en tout état de cause prétendre que ces dispositions méconnaissent à cet égard les principes de présomption d'innocence et de droit au recours, garantis constitutionnellement et conventionnellement, dès lors, d'une part, que la décision constatant la créance n'intervient que lorsque l'autorité administrative estime établi, aux termes d'une procédure contradictoire, que l'employeur a contrevenu à l'une des obligations auxquelles renvoient les dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, d'autre part, qu'il n'est pas fait obstacle à la possibilité, pour l'entreprise à l'encontre de laquelle une telle sanction est prononcée, d'introduire, devant le juge des référés, une demande de suspension de la sanction sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et, qu'enfin, tout recouvrement est réversible dans l'hypothèse où une illégalité serait ultérieurement constatée.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ". En vertu de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : / 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; / 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ".
5. Il résulte de ces dispositions que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible.
6. En premier lieu, en l'espèce, il résulte de l'instruction que la société Distribution Casino France dispose d'un planning hebdomadaire prévisionnel et collectif de travail, faisant apparaître les horaires individuels de prise et de fin de poste de ses salariés prévus pour chaque jour de la semaine, le cas échéant amendé en cas de présence ou d'absence non initialement prévue. Il n'est toutefois pas établi, qu'ainsi qu'elle le soutient, les salariés y reportent quotidiennement leurs heures effectives de début et de fin de période de travail, leur temps de pause ou le relevé du nombre d'heures de travail accomplies. Les rares corrections qui y apparaissent, au demeurant de façon pas toujours lisible, portent sur des temps de présence supérieurs ou égaux à une demi-heure. Si la société établit également un décompte hebdomadaire faisant supposément apparaitre le temps de travail effectivement réalisé chaque jour de la semaine écoulée par chaque salarié, il est constant que ce dernier document reprend exactement les temps et heures de présence portés sur le planning prévisionnel amendé. Dans ces circonstances, alors même que, lors de leurs contrôles, les inspecteurs ont pu constater la présence des salariés prévue au planning hebdomadaire prévisionnel, le système mis en place manque de précision et ne peut être regardé comme objectif, fiable et accessible. Sans que sa forme ou le principe de la participation des salariés à son établissement n'aient en eux-mêmes d'incidence, il ne permet pas le décompte quotidien des heures de travail effectives et ne satisfait ainsi pas aux exigences issues des dispositions des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail.
7. En deuxième lieu, le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.
8. Contrairement à ce que soutient la requérante, en retenant que son système ne permettait pas le décompte du temps de travail effectif de ses salariés, l'administration n'a pas, eu égard à ce qui vient d'être exposé au point 6, ajouté, de façon imprévisible, des exigences formelles aux dispositions applicables. Elle n'a pas méconnu le principe de légalité des délits.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Distribution Casino France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Distribution Casino France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Distribution Casino France et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence, Alpes, Côte-d'Azur.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2025.
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N° 25MA00546
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