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04/07/2025 | FRANCE | N°24MA02183

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 04 juillet 2025, 24MA02183


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée ont demandé au tribunal administratif de Toulon :



1°) d'annuler la décision implicite de refus opposée par le préfet du Var à leur demande du 24 juin 2022 tendant à ce que la SAS Provence Granulats soit mise en demeure de déposer une demande de dérogation telle que pré

vue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, à ce que le projet d'exploitation d'une carrière ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée ont demandé au tribunal administratif de Toulon :

1°) d'annuler la décision implicite de refus opposée par le préfet du Var à leur demande du 24 juin 2022 tendant à ce que la SAS Provence Granulats soit mise en demeure de déposer une demande de dérogation telle que prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, à ce que le projet d'exploitation d'une carrière poursuivi par cette société sur le territoire de la commune de Mazaugues soit suspendu durant l'examen de cette demande, et à ce que l'arrêt de ce projet et la remise en état du site soient ordonnés à défaut de dépôt d'une telle demande ou en cas de rejet de celle-ci ;

2°) de mettre en demeure la SAS Provence Granulats de déposer, dans le délai d'un mois et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, une demande de dérogation telle que prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement et d'ordonner la suspension de tous travaux durant l'examen de cette demande ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, ces mêmes mesures ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de prescrire au préalable une expertise.

Par un jugement n° 2202909 du 24 juin 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 août 2024, 14 mars et 29 avril 2025, et un mémoire, enregistré le 26 mai 2025 et non communiqué, les associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée, représentées par Me Aubret, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 juin 2024 ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la SAS Provence Granulats une somme de 5 000 euros chacun au bénéfice de chaque association requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles ont intérêt et qualité à agir ; le contentieux a été lié ;

- postérieurement à 2017, notamment à la suite de l'extension de la zone Nature 2000 et dans le cadre de la révision du document d'objectif, de multiples chiroptères et d'autres espèces protégées, tels le lézard ocellé, le loup, ou la genette commune, non pris en compte par l'exploitant ni par le préfet, ont été inventoriés sur l'emprise de la carrière, particulièrement dans la mine des Trois Pins, connectée avec la mine de la Caïre, classée en raison de son importance pour les chiroptères ;

- les espèces qui ont quant à elles été prises en compte dans l'étude d'impact n'ont pas fait l'objet des mesures d'évitement et de réduction nécessaires ;

- l'exploitant n'a en réalité pas fait d'inventaire préalable et n'a effectué aucune actualisation ;

- les travaux, notamment de terrassement puis de dynamitage, ont déjà porté et porteront encore atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats ;

- un consensus scientifique existe quant à la nécessité de demander une dérogation telle que prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ainsi que l'illustre l'avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel ; si l'exploitant met en cause la probité des études réalisées, il n'en a fait réaliser aucune ;

- la Cour s'est prononcée en 2017 sur la base d'éléments incomplets, erronés et périmés ;

- le préfet était dès lors tenu, en l'absence de toute dérogation délivrée et nonobstant l'existence d'une autorisation d'exploiter, de faire droit à leur demande, en application des articles L. 171-7 ou L. 171-8 du code de l'environnement ; on ne saurait leur faire grief de ne pas avoir évoqué ce second article dans leur demande ;

- le préfet aurait également dû faire droit à leur demande sur le fondement de l'article L. 181-14 du code de l'environnement ;

- l'état d'avancement du projet n'a pas d'incidence ; au demeurant, l'exploitation a démarré ;

- une expertise pourrait le cas échéant être prescrite.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2025, et un mémoire, enregistré le 26 mai 2025 et non communiqué, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Par des mémoires enregistrés les 2 janvier, 1er avril et 15 mai 2025, la SAS Provence Granulats, représentée par la SELARL Grimaldi et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge solidaire des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande préalable n'a été formulée que par le Comité d'Intérêt Local de Mazaugues ; aucune décision de rejet n'existe s'agissant des autres associations, pour lesquelles le contentieux n'est pas lié ; la qualité pour introduire cette demande n'est au demeurant pas justifiée ;

- la demande des associations se heurte à l'autorité de chose jugée ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ; des mesures spécifiques concernant les chiroptères ont été prévues ; elles ont été récemment renforcées, présentent des garanties d'effectivité et il n'y a pas de risque suffisamment caractérisé pour ces animaux ;

- aucun élément nouveau n'établit une aggravation de ce risque ; les études partiales produites et réalisées en toute illégalité doivent être écartées ; elles n'établissent pas la présence de chiroptères dans la mine des Trois Pins ; il n'y a eu aucun effondrement en lien avec les tirs opérés, ni aucun dérangement de chiroptère ;

- le contrôle conduit par les inspecteurs de l'office français de la biodiversité le 29 avril 2021 a permis de constater l'absence de toute atteinte aux espèces protégées ; si des atteintes à venir étaient envisagées, tel n'est plus le cas au regard des mesures supplémentaires prises ;

- aucun risque suffisamment caractérisé n'est démontré s'agissant des autres espèces protégées ; les observations auxquelles il est fait référence ne sont pas fiables et ne caractérisent aucun impact.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des insectes terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Aubret, représentant les associations requérantes, de Me Dubecq, représentant la SAS Provence Granulats et de M. A..., représentant la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Des notes en délibéré ont été enregistrées le 23 juin 2025 pour les associations requérantes, et le 24 juin 2025 pour la SAS Provence Granulats.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes d'un arrêté préfectoral du 29 juin 2012 et après avoir été autorisée à défricher la zone, la SAS Provence Granulats a été autorisée à exploiter une carrière de calcaire dolomitique à ciel ouvert, sur une superficie d'environ 44 ha, ainsi qu'une installation de traitement de minéraux au lieu-dit " B... ", à Mazaugues, sur un ancien site minier souterrain. Les associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée ont demandé au préfet du Var, le 24 juin 2022, de mettre en demeure la société Provence Granulats de déposer une demande de dérogation telle que prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, de suspendre l'exploitation de la carrière durant l'examen de cette demande, et d'ordonner l'arrêt de cette exploitation ainsi que la remise en état du site à défaut de dépôt d'une telle demande ou en cas de rejet de celle-ci. Ces associations relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à l'annulation du refus implicite qui leur a été opposé par le préfet.

Sur la recevabilité de la demande :

2. D'une part, si la SAS Provence Granulats fait valoir que la demande adressée au préfet du Var le 24 juin 2022 n'a été signée que par le président de l'association Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et que l'habilitation des présidents respectifs des associations requérantes pour introduire cette demande auprès du préfet n'est pas justifiée, ces circonstances sont sans incidence sur l'existence de la décision implicite portant rejet de ladite demande. Il n'est pas contesté que l'objet des associations requérantes leur donne intérêt pour contester le refus du préfet de mettre en demeure la SAS Provence Granulats de déposer une demande de dérogation telle que prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ni que leurs présidents avaient qualité pour introduire la demande de première instance devant le tribunal administratif. Dès lors, cette dernière n'était pas irrecevable quelles que soient les conditions de la saisine du préfet.

3. D'autre part, si les requérantes n'ont pas numéroté les pièces produites à l'appui de leur demande de première instance, il est constant que les juges de première instance n'ont pas, comme le leur permettaient les dispositions de l'article R. 412-2 du code de justice administrative, écarté ces productions des débats. Dès lors, la SAS Provence Granulats n'est pas fondée à soutenir que la demande n'était pas recevable faute d'être assortie de précisions suffisantes.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) ", au nombre desquels figurent les dangers ou inconvénients pour la protection de la nature et de l'environnement. Selon l'article L. 181-4 du même code : " Les projets soumis à autorisation environnementale (...) restent soumis, sous réserve des dispositions du présent titre : / (...) / 2° Aux législations spécifiques aux autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments dont l'autorisation environnementale tient lieu lorsqu'ils sont exigés et qui sont énumérés par l'article L. 181-2, ainsi que, le cas échéant, aux autres dispositions législatives et réglementaires particulières qui les régissent ". En vertu de l'article L. 181-12 de ce code : " L'autorisation environnementale fixe les prescriptions nécessaires au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4. / Ces prescriptions portent (...) sur les mesures et moyens à mettre en œuvre lors de la réalisation du projet, au cours de son exploitation, au moment de sa cessation et après celle-ci, notamment les mesures d'évitement, de réduction et de compensation des effets négatifs notables sur l'environnement et la santé. / (...) ". Aux termes de son article L. 181-14 du même code : " (...) / En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-32. / L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative de prendre, à tout moment, à l'égard de l'exploitant, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts énumérés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment la protection de la nature et de l'environnement. Il lui appartient, à cette fin, de prendre les mesures de nature à préserver les espèces animales non domestiques protégées ainsi que leurs habitats. En application du troisième alinéa de l'article R. 181-45 du code de l'environnement, les arrêtés portant prescriptions complémentaires que le préfet peut prendre sur ce fondement " peuvent imposer les mesures additionnelles que le respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 rend nécessaire (...). Ces arrêtés peuvent prescrire, en particulier, la fourniture de précisions ou la mise à jour des informations prévues à la section 2 ". Parmi ces informations, figure au 5° de l'article R. 181-13 du même code, l'étude impact.

6. D'autre part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits : " 1° La mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ; / 2° La destruction (...) de végétaux de ces espèces (...) ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; / (...) ". Toutefois, le 4° de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

7. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 411-2-1 du même code : " La dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 n'est pas requise lorsqu'un projet comporte des mesures d'évitement et de réduction présentant des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l'article L. 411-1 au point que ce risque apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d'évaluer l'efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l'absence d'incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées ".

8. Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations (...) sont accordées par le préfet (...). / (...) / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale (...) ". En vertu du I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / (...) / 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation (...) d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 ; / (...) ". Aux termes du II de l'article L. 181-3 du même code : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) / 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation (...) des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; / (...) ". Aux termes du 1° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les autorisations délivrées (...) avant le 1er mars 2017 (...) sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions qu'un arrêté en cours de validité à la date du 1er mars 2017 autorisant une installation classée pour la protection de l'environnement est considéré, à compter de cette date, comme une autorisation environnementale. Dès lors que cette autorisation environnementale tient lieu des divers actes énumérés au I de l'article L. 181-2, au nombre desquels figure la dérogation " espèces protégées ", est opérant le moyen tiré de ce que l'autorisation environnementale issue de l'autorisation d'exploiter est illégale en tant qu'elle n'incorpore pas, à la date à laquelle le juge administratif statue, une telle dérogation, dont il est soutenu qu'elle était requise pour le projet en cause.

10. En outre, aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. (...)/ Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l'utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d'autorisation, d'enregistrement, d'agrément, d'homologation ou de certification, à moins que des motifs d'intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s'y opposent. / L'autorité administrative peut, en toute hypothèse, édicter des mesures conservatoires aux frais de la personne mise en demeure (...) ".

11. Les dispositions des articles L. 181-2, L. 181-3, L. 181-12, L. 411-2, L. 411-2-1 et R. 411-6 du code de l'environnement imposent, à tout moment, la délivrance d'une dérogation à la destruction ou à la perturbation d'espèces protégées dès lors que l'activité, l'installation, l'ouvrage ou les travaux faisant l'objet d'une autorisation environnementale ou d'une autorisation en tenant lieu comportent un risque suffisamment caractérisé pour ces espèces, peu important la circonstance que l'autorisation présente un caractère définitif ou que le risque en cause ne résulte pas d'une modification de cette autorisation. Lorsque la modification de l'autorisation conduit l'autorité administrative à imposer des prescriptions complémentaires dont l'objet est d'assurer ou de renforcer la conservation d'espèces protégées sur le fondement des dispositions de l'article L. 181-14 du code de l'environnement, il lui appartient de s'assurer que ces prescriptions présentent un caractère suffisant et, dans ce cadre, de rechercher si elles justifient, lorsqu'il demeure un risque caractérisé pour les espèces, d'imposer au bénéficiaire de solliciter une telle dérogation sur le fondement de l'article L. 171-7 du code de l'environnement.

En ce qui concerne les faits de l'espèce :

12. A titre liminaire, la SAS Provence Granulats ne saurait se prévaloir, compte-tenu des principes énoncés ci-dessus au point 11, de ce que l'autorisation d'exploiter qui lui a été délivrée le 29 juin 2012 est définitive et de ce que les recours formés à l'encontre de cet arrêté par l'association Confédération Environnement Méditerranée, la commune de Mazaugues et le département du Var ont été rejetés par un arrêt devenu définitif rendu par la cour administrative d'appel de Marseille le 13 octobre 2017. En outre, si cet arrêt a écarté un moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux est entaché d'illégalité en raison de l'absence de demande de dérogation telle que prévue par le 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, les motifs d'une décision de rejet ne revêtent pas d'autorité de chose jugée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties.

S'agissant des chiroptères :

13. L'étude d'impact établie en 2008 à l'occasion de la demande d'autorisation d'exploiter reprenait les constations réalisées par l'association Groupe Chiroptères de Provence dans le cadre de l'étude qui lui avait été confiée par la SAS Provence Granulats et indiquait qu'avaient été recensées, à 200 mètres au nord-ouest de la limite du site d'exploitation, dans les cavités d'extraction de bauxite de la Caïre ancienne, sept espèces protégées de chiroptères, soit le grand rhinolophe, le petit rhinolophe, le minioptère de schreibers, le murin à oreilles échancrées, le petit murin, le murin de daubenton et le murin de natterer. Elle précisait que les cavités de la Caïre récente, situées à 150 mètres au sud-ouest de la limite du site d'exploitation, abritaient également le petit rhinolophe. Elle mentionnait enfin que les mines de la Caïre, ancienne et récente, présentaient des connexions avec la mine des Trois Pins, essentiellement située sous la zone d'exploitation de la carrière, mais qu'aucune espèce n'avait été recensée dans cette dernière mine qui en elle-même présentait un enjeu de conservation faible.

14. Diverses mesures ont été prévues afin d'éviter tout impact sur les habitats situés ainsi à proximité de la zone d'exploitation, et notamment le bouchage de la galerie ouest avant son effondrement pour isoler la Caïre récente et la préserver des effets de l'exploitation, le recul des fronts dans le coin nord-ouest de la zone d'extraction d'environ 100 mètres vers l'est pour préserver le secteur à Minioptères de Schreibers de la Caïre ancienne, le maintien d'une épaisseur de 20 mètres de calcaire au-dessus des galeries en principe effondrées de la Caïre récente qui doivent être concernées par la dernière des quatre phases d'extraction, au sud-ouest de la zone, la réduction des charges lors des tirs de mine ou la réalisation d'un suivi sismique de l'impact des vibrations et d'un suivi de la fréquentation du site de la Caïre pendant l'exploitation.

15. S'il ressortait également de cette étude que, pour ces espèces ainsi que pour cinq autres contactées sur le site, les milieux naturels de surface étaient favorables à la chasse, la destruction des milieux devrait être limitée en superficie en raison de l'exploitation par phase, suivie par une reconstitution progressive par réaménagement de la partie exploitée à la fin de chaque phase.

16. Postérieurement à la délivrance de l'autorisation, l'occupation par des chiroptères d'une partie non abattue des galeries de l'ancienne mine des Trois Pins a été détectée. Les investigations conduites ont confirmé que cette partie, située en limite nord du périmètre d'extraction et au-dessus de laquelle les travaux devaient intervenir au cours des deuxième et troisième phases, jouait un rôle d'accueil pour plusieurs espèces protégées, notamment, en sus des précédentes, l'oreillard gris ou le grand murin, sans toutefois, a priori, accueillir de colonies.

17. D'une part, dans l'attente de la réalisation d'une étude plus précise sur l'intérêt de cette zone, par porter-à-connaissance du 18 décembre 2023 dont le préfet a pris acte par décision du 13 janvier 2025, la SAS Provence Granulats a informé l'administration de la réduction du périmètre d'extraction initial pour éloigner les travaux de terrassement et d'extraction desdites galeries. Elle a également prévu, par ce même acte, la réduction de la vitesse maximale de vibration à 5 mm/s lors des tirs de mines, au lieu des 10 mm/s initialement autorisés et l'extension des suivis sismiques et de fréquentation à cette zone.

18. D'autre part, il ressort du rapport de suivi établi à la suite des premiers tirs de la première phase, intervenus notamment les 14 novembre 2024 et 5 février 2025, que les pièges photos, appareils de suivi acoustique et sismographes installés à l'intérieur et à l'entrée de la cavité, n'ont révélé aucune vibration au niveau des galeries, ni aucun mouvement ou enregistrement sonore d'animal à l'occasion desdits tirs. En outre, la SAS Provence Granulats se prévaut de diverses études, notamment l'une réalisée par l'association Groupe Chiroptères de Provence en 2015, dont il résulte que les tirs d'explosif pratiqués par un carrier à proximité d'une colonie de chiroptères ne semblent pas avoir d'incidence sur les animaux.

19. Dans ces circonstances, alors même que les animaux pourraient circuler entre les différentes mines ou accéder à celle des Trois Pins via des fentes du lapiaz en surface, l'exploitation ne comporte pas à ce jour un risque suffisamment caractérisé pour les chiroptères protégés, justifiant que la délivrance d'une dérogation à la destruction ou à la perturbation de ces espèces soit sollicitée.

S'agissant des autres espèces :

20. Il résulte de l'étude d'impact produite à l'appui de la demande d'autorisation d'exploiter que la végétation située au centre de la zone d'extraction initialement prévue correspond à un faciès de bosquets buissonnants thermophiles entrecoupés de zones dénudées accueillant plusieurs espèces animales protégées, telles la Fauvette passerinette, l'Alouette lulu, le Lézard des murailles, la Proserpine et la Zygène cendrée, ces deux dernières étant qualifiées de peu communes. Cette étude mentionne également que sept hectares d'une chênaie pubescente d'une grande richesse floristique seront défrichés, alors qu'elle évoque la présence d'autres espèces animales protégées dans ce milieu. Certaines des protections dont bénéficient ces différentes espèces s'étendent à leurs sites de reproduction et aires de repos. Si l'étude conclut néanmoins que l'extraction ne portera pas atteinte à la richesse faunistique du secteur, cette appréciation n'est étayée par aucune autre explication que celle tiré de l'absence, à l'exception de la Proserpine, d'espèces qualifiées " d'intérêt écologique " sur les secteurs d'extraction. Aucune mesure de réduction ou d'évitement n'est notamment évoquée.

21. Si la SAS Provence Granulats a, ainsi que mentionné précédemment, reculé ses fronts d'exploitation à la suite de cette étude et, par le porter-à-connaissance du 18 décembre 2023 évoqué ci-dessus au point 17, réduit de façon conséquente son périmètre d'extraction, il ressort de la combinaison des plans joints à l'étude d'impact et de ceux du périmètre actuel d'exploitation que d'autres espèces protégées avaient été identifiées, dans le périmètre d'extraction actuel, telle la couleuvre d'esculape, dont l'habitat également est protégé, la couleuvre à échelons, le seps strié, la couleuvre de Montpellier ou le psammodrome. En outre, rien ne permet de conclure que les espaces vitaux des espèces observées aux abords immédiats de ce périmètre, notamment mentionnées au point précédent, ne s'étendraient pas à l'intérieur de celui-ci.

22. Il ressort par ailleurs de rapports d'écologues naturalistes récemment établis à la demande des associations requérantes que d'autres espèces protégées sont présentes dans la zone d'extraction ou, à tout le moins dans sa proximité immédiate dès lors que l'accès à celle-ci est grillagée et qu'ils n'ont pu y pénétrer. Sont ainsi invoquées, parmi d'autres, certaines espèces à enjeu de conservation local fort ou assez fort, tel le circaète Jean-le-Blanc ou le Lézard ocellé, sans que l'impact des travaux et de l'exploitation sur celles-ci n'ait fait l'objet d'aucune étude.

23. Si ces différents éléments ne permettent pas, à eux seuls, de conclure que l'exploitation de la carrière comporte un risque suffisamment caractérisé de destruction ou de perturbation d'espèces protégées justifiant qu'une dérogation telle que prévue au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement soit requise, il en résulte en revanche que l'autorité administrative ne peut détenir, en l'état, d'assurance quant à la préservation des espèces animales et floristiques non domestiques protégées et de leurs habitats, autres que les chiroptères. La circonstance que les inspecteurs de l'office français de la biodiversité n'aient pas relevé d'infraction lors de leur contrôle sur place le 29 avril 2021 est à cet égard sans incidence. Dès lors, le préfet ne peut refuser de donner suite à la demande des associations requérantes sans prescrire au préalable une étude d'impact complémentaire qui y soit relative, ainsi que le lui permettent les dispositions des articles L. 181-14 et R. 181-45 du code de l'environnement.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite du préfet.

Sur les conclusions à fin de mise en demeure de la SAS Provence-Granulats et d'injonction à l'administration :

25. L'annulation de la décision litigieuse implique seulement, eu égard à son motif, qu'il soit enjoint au préfet, préalablement au réexamen de la demande des associations requérantes, de prescrire à la SAS Provence Granulats la réalisation d'une étude d'impact complémentaire relative aux espèces floristiques et animales, hors chiroptères, sur le fondement des dispositions des articles L. 181-14 et R. 181-45 du code de l'environnement. Il y a lieu de lui impartir un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir pour ce faire, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte. Eu égard à la circonstance que le déboisement et le défrichage des zones d'accès et de transit, ainsi que le décapage de la première zone d'extraction, sont déjà intervenus, et qu'aucun nouveau chantier équivalent n'est prévu à court ou moyen terme, il n'y a pas lieu, pour le juge, de suspendre cette exploitation dans l'attente, ni d'enjoindre au préfet de prononcer une telle suspension.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des associations requérantes qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la SAS Provence Granulats une somme globale de 2 000 euros à verser aux auxdites associations sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 24 juin 2024 et la décision implicite de refus opposée par le préfet du Var à la demande présentée le 24 juin 2022 par les associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Var, préalablement au réexamen de la demande des associations et dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, de prescrire à la SAS Provence Granulats, la réalisation d'une étude d'impact complémentaire relative aux espèces floristiques et animales, hors chiroptères.

Article 3 : L'Etat et la SAS Provence Granulats verseront aux associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux associations Val d'Issole Environnement, France Nature Environnement Provence-Alpes-Côte d'Azur, Comité d'Intérêt Local de Mazaugues et Confédération Environnement Méditerranée, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la SAS Provence Granulats.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2025.

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N° 24MA02183

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA02183
Date de la décision : 04/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-045-01 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : AUBRET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-04;24ma02183 ?
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