Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a implicitement rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012 portant création d'une zone de protection de biotope dite " Falaises de la Riviera ", en tant qu'il inclut dans cette zone la parcelle D 496 lui appartenant, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à l'abrogation demandée et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2004469 du 1er février 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 février 2024, M. A..., représenté par Me Szepetowski, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2004469 du 1er février 2024 ;
2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a implicitement rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012 portant création de la zone de protection de biotope des " Falaises de la Riviera ", en tant qu'il inclut dans cette zone la parcelle D 496 lui appartenant ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes d'abroger l'arrêté du 20 juin 2012 en tant qu'il englobe la parcelle D 496 dans le périmètre de protection ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que l'interdiction ne pouvait être générale et qu'elle avait un caractère disproportionné ;
- la décision préfectorale n'est pas motivée ;
- la décision préfectorale n'a pas fait l'objet d'une consultation préalable ;
- à défaut de présence d'espèces susceptibles de fonder un classement de sa parcelle, la décision préfectorale est illégale ;
- le tribunal administratif de Nice a inversé la charge de la preuve en exigeant qu'il démontre la preuve de l'absence d'espèces susceptibles de fonder un classement ;
- l'interdiction de construire est générale et absolue et non limitée dans le temps ;
- l'arrêté attaqué porte atteinte à la sécurité juridique et au droit au respect des biens et des personnes, prévu par l'article 1er du premier protocole de la convention européenne des droits de l'homme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2025, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, demande à la Cour de rejeter la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par courrier du 13 mars 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des moyens de légalité externe soulevés devant la Cour, aucun moyen relevant de cette cause juridique n'ayant été soulevé devant le tribunal administratif de Nice.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2018-1180 du 19 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François Point, rapporteur,
- et les conclusions de M. Olivier Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 juin 2012, le préfet des Alpes-Maritimes a instauré, sur le fondement des dispositions des articles R. 411-15 et suivants du code de l'environnement, une zone de protection de biotope dite " Falaises de la Riviera ", sur le territoire des communes de La Turbie, d'Eze, de Villefranche-sur-Mer, de Beaulieu-sur-Mer et de Cap d'Ail. Par un courrier du 10 juillet 2020, M. A... a demandé au préfet des Alpes-Maritimes d'abroger cet arrêté, en tant qu'il inclut dans la zone de protection de biotope la parcelle D 496, située à La Turbie, dont il est propriétaire. Une décision de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. Par un jugement du 1er février 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté les demandes de M. A... tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet et à ce qu'il soit enjoint au préfet des Alpes-Maritimes d'abroger l'arrêté du 20 juin 2012 en tant qu'il inclut sa parcelle. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien- fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ".
3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il en résulte que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
4. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de l'environnement, dans sa version en vigueur depuis le 24 avril 2017 : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par les articles L. 411-1 et L. 411-3 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes. / Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désignée de ce taxon. ". Aux termes de l'article R. 411-15 du même code, dans sa version issue du décret n° 2018-1180 du 19 décembre 2018, en vigueur depuis le 1er juin 2019 : " I.- Pour l'application de la partie réglementaire du code de l'environnement, on entend par biotope l'habitat nécessaire à l'alimentation, la reproduction, le repos ou la survie de spécimens d'une espèce figurant sur l'une des listes prévues à l'article R. 411-1. / II. -Peuvent être fixées par arrêté pris dans les conditions prévues au III les mesures tendant à favoriser la protection ou la conservation des biotopes tels que : 1° Mares, marécages, marais, haies, bosquets, landes, dunes, pelouses, récifs coralliens, mangroves, ou toutes autres formations naturelles, peu exploitées par l'homme ; 2° Bâtiments, ouvrages, mines et carrières dans les conditions définies ci-après, ou tous autres sites bâtis ou artificiels, à l'exception des habitations et des bâtiments à usage professionnel. (...) Il tient compte de l'intérêt du maintien des activités existantes dans la mesure où elles sont compatibles avec les objectifs de protection du biotope concerné. / III.- L'arrêté mentionné au II est pris : -par le préfet de département compétent lorsque la protection concerne des espaces terrestres ; (...) Cet arrêté précise le caractère temporaire ou permanent des mesures qu'il édicte et, le cas échéant, les périodes de l'année où elles sont applicables. ". Il résulte de ces dispositions que le préfet peut, dans le but de prévenir la disparition d'espèces figurant sur la liste prévue à l'article R. 411-1 du code de l'environnement, édicter des arrêtés afin d'assurer la conservation de certains biotopes.
5. Il ressort de l'examen de l'arrêté du 20 juin 2012 que le préfet des Alpes-Maritimes a instauré une zone de protection de biotope afin de garantir l'équilibre biologique des milieux et la conservation des biotopes nécessaires au maintien et à la reproduction de vingt espèces protégées, énumérées à l'article 1 de la décision. Cette zone, dite " Falaises de la Riviera " est composée de six secteurs. La parcelle cadastrée D 496 située sur la commune de La Turbie et appartenant à M. A... est comprise dans le secteur n° 5, dit C... ". Il ressort des pièces du dossier que les mesures de protection de l'arrêté du 20 juin 2012 ont été édictées au regard d'un rapport scientifique établi en mars 2009 et visé dans la décision. Ce rapport relève notamment que le site est d'un très grand intérêt faunistique pour plusieurs espèces d'oiseaux, de reptiles, de batraciens et de chauve-souris. Cependant, M. A... soutient que les caractéristiques de sa parcelle, à l'heure actuelle, ne justifient aucune mesure de protection particulière. Il fait valoir à cet effet, sans être utilement contredit sur ces points, que la parcelle en cause se situe en limite de la zone de protection de biotope, qu'elle est enserrée entre deux parcelles construites, non incluses dans le périmètre de la zone de protection, qu'elle est traversée par une ligne d'alimentation EDF, qu'il existe un chemin d'accès à cette parcelle et qu'il y a un vallon la séparant du reste du périmètre de la zone. Le requérant fait également valoir, en produisant des procès-verbaux de constat d'huissier, que sa parcelle ne comporte pas de chênes verts, mais des oliviers cultivés, et qu'elle est régulièrement occupée par des chèvres et des ânes. Pour justifier le maintien des mesures de protection en litige, la ministre se réfère aux analyses issues du rapport scientifique de mars 2009, établies il y a plus de quinze ans, sans fournir d'éléments d'actualisation de ces données. Cependant, l'article 8 de l'arrêté du 20 juin 2012 a instauré un comité de suivi ayant pour objet de fournir à l'autorité administrative des éléments techniques et scientifiques nécessaires à l'application des mesures de protection. Aux termes de cet article 8, le comité de suivi est notamment chargé d'organiser une évaluation régulière de l'état de conservation des différents biotopes présents sur le site et des populations d'espèces végétales qu'ils hébergent. La ministre, invitée à produire les travaux d'évaluation du comité de suivi, n'a pas répondu à cette mesure d'instruction et n'a apporté aucun élément d'actualisation relatif à la zone de protection de biotope des " Falaises de la Riviera ". En outre, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 411-15 du code de l'environnement, tel que modifié par l'article 10 du décret n° 2018-1180 du 19 décembre 2018, l'autorité administrative compétente est désormais tenue de préciser le caractère temporaire ou permanent des mesures édictées. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément actuel permettant de justifier la nécessité de maintenir la parcelle D 496 dans le périmètre de protection de biotope des " Falaises de la Riviera ", M. A... est fondé à soutenir que le refus d'abroger l'arrêté du 20 juin 2012, en tant qu'il inclut cette parcelle, est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, ni de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation du refus du préfet des Alpes-Maritimes d'abroger l'arrêté du 20 juin 2012 en tant qu'il inclut la parcelle D 496 dans le périmètre de protection de biotope.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes est tenu de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012 en tant qu'il inclut dans le périmètre de la zone de protection de biotope des " Falaises de la Riviera " la parcelle D 496 située sur le territoire de la commune de La Turbie. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012 en ce sens.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice n° 2004469 du 1er février 2024 est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012, en tant qu'il inclut la parcelle D 496 lui appartenant dans le périmètre de la zone de protection de biotope des " Falaises de la Riviera ", est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 20 juin 2012 en tant qu'il inclut dans le périmètre de la zone de protection de biotope des " Falaises de la Riviera " la parcelle D 496 située sur la commune de La Turbie.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- M. Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2025.
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N° 24MA00504