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04/07/2025 | FRANCE | N°23MA02940

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 04 juillet 2025, 23MA02940


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCI CNC a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet de la Corse-du-Sud l'a mise en demeure de régulariser sa situation administrative au regard des travaux qu'elle a entrepris sur les parcelles cadastrées section B, n° 19, 20 et 432 situées sur le territoire de la commune de Pietrosella.



Par un jugement n° 2100889 du 12 octobre 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
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Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI CNC a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 par lequel le préfet de la Corse-du-Sud l'a mise en demeure de régulariser sa situation administrative au regard des travaux qu'elle a entrepris sur les parcelles cadastrées section B, n° 19, 20 et 432 situées sur le territoire de la commune de Pietrosella.

Par un jugement n° 2100889 du 12 octobre 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 décembre 2023, 22 novembre 2024 et 27 mars 2025, la SCI CNC, représentée par la SCP UGGC Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 octobre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 27 mai 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les agents de l'Etat ont accédé au chantier sans avoir été autorisés à pénétrer sur sa propriété et sans que l'heure de cette visite ne soit précisée ; les dispositions de l'article L. 171-1 du code de l'environnement ont été méconnues ;

- le préfet n'était pas tenu de prendre l'acte contesté dès lors qu'il devait apprécier les faits et la nécessité d'obtenir une dérogation au régime de protection des espèces protégées ; le vice tiré de la méconnaissance des dispositions du III de l'article L. 171-7 du code de l'environnement n'est pas inopérant ; le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté alors que la remise en état des lieux, relevant du II du même article, lui est imposée ;

- les délais qui lui ont été impartis pour se conformer à la mise en demeure sont insuffisants eu égard aux mesures à prendre ;

- le risque pour les espèces protégées est insuffisamment caractérisé ; la tortue d'Hermann et le sérapias négligé n'ont pas été observés sur le terrain qui ne se trouve pas dans l'aire de répartition de ladite tortue ; des mesures d'évitement et de réduction ont été prévues avec l'aval des services locaux de l'Etat, et mises en œuvre, notamment au cours du chantier ; aucune dérogation n'est requise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2024, la ministre chargée de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Les parties ont été informées, par une lettre du 18 décembre 2024, qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire au cours du premier semestre 2025 et que l'instruction pourrait être close à partir du 31 janvier 2025 sans information préalable.

Par une ordonnance du 28 avril 2024, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par la ministre chargée de la transition écologique, a été enregistré le 16 mai 2025.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 20 janvier 1982 fixant la liste des espèces végétales protégées sur l'ensemble du territoire ;

- l'arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Marx, représentant la SCI CNC.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI CNC a obtenu, le 21 décembre 2016, un permis de construire 4 maisons individuelles à Pietrosella, sur les parcelles cadastrées section B n° 19, 20 et 432. A l'occasion d'un contrôle conduit le 17 mars 2021 sur les secteurs de la commune inclus dans l'aire de répartition de la tortue d'Hermann, les inspecteurs de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement ont constaté que les travaux engagés, notamment de déboisement, terrassement et affouillement, intervenaient sur un milieu particulièrement favorable à cette espèce animale ainsi qu'au sérapias négligé, espèce florale, et qu'ils avaient détruit de l'habitat ainsi que potentiellement des individus de ces deux espèces protégées. Ils ont estimé qu'un manquement aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement était constitué dès lors qu'aucune dérogation aux interdictions relatives aux espèces protégées n'avait été sollicitée. Le préfet de la Corse-du-Sud a par conséquent, par un arrêté du 27 mai 2021, mis la SCI CNC en demeure de régulariser sa situation, soit en déposant une demande de dérogation, soit en procédant à la remise en état des lieux. La SCI CNC relève appel du jugement du tribunal administratif de Bastia ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les textes applicables :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° (...), la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; / (...) ". L'arrêté du 20 janvier 1982 cité ci-dessus interdit la destruction de tout ou partie des spécimens sauvages de sérapias négligé. L'arrêté du 8 janvier 2021 cité ci-dessus interdit pour sa part, non seulement la destruction ou la perturbation intentionnelle de tout spécimen de tortue d'Hermann, mais également la destruction de sites de reproduction et d'aires de repos de l'espèce. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'environnement : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, (...), et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants (...) ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement (...) / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens. / (...) ". L'article L. 411-2-1 précise : " La dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 n'est pas requise lorsqu'un projet comporte des mesures d'évitement et de réduction présentant des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l'article L. 411-1 au point que ce risque apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d'évaluer l'efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l'absence d'incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées. / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque (...) des travaux, (...) sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, (...), l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. / (...) / II.- S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, ou si la demande d'autorisation, (...) est rejetée, (...), l'autorité administrative ordonne (...) la cessation définitive des travaux (...) et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code. / III.- Sauf en cas d'urgence, et à l'exception de la décision de mise en demeure prévue au premier alinéa du I du présent article, les mesures mentionnées au présent article sont prises après avoir communiqué à l'intéressé les éléments susceptibles de fonder les mesures et l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations dans un délai déterminé ".

4. Enfin, afin d'effectuer leurs contrôles du respect des dispositions du code de l'environnement, les agents compétents de l'Etat ont, aux termes du 1° du I de l'article L. 171-1 dudit code, dans sa version applicable, accès " Aux espaces clos et aux locaux accueillant (...) des travaux (...), à l'exclusion des domiciles ou de la partie des locaux à usage d'habitation. Ils peuvent pénétrer dans ces lieux entre 8 heures et 20 heures et, en dehors de ces heures, lorsqu'ils sont ouverts au public (...) ". En application du 2° du même I, ils ont accès " Aux autres lieux, à tout moment, où s'exercent ou sont susceptibles de s'exercer des activités soumises aux dispositions du présent code ".

Sur la procédure :

5. En premier lieu, si la requérante soutient que les inspecteurs auraient méconnu les dispositions du 1° du I de l'article L. 171-1 du code de l'environnement limitant leur accès aux espaces clos et aux locaux, il ne résulte pas de l'instruction que le chantier en cause aurait, ainsi que le prétend la requérante, été clôturé. En outre, il ne ressort pas du rapport de constat du 17 mars 2021 que les inspecteurs auraient accédé au chantier. Le moyen doit dès lors être écarté comme inopérant.

6. En deuxième lieu, dès lors que l'arrêté litigieux se borne à mettre la SCI CNC en demeure de régulariser sa situation, sans ordonner, contrairement à ce que soutient la requérante, la cessation définitive des travaux et la remise des lieux en l'état, il ne saurait être utilement soutenu que les dispositions du III de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, qui excluent précisément de leur application les décisions de mise en demeure, auraient été méconnues. Au demeurant, l'administration a bien, préalablement à la mise en demeure litigieuse, transmis à la requérante le rapport de manquement établi le 17 mars 2021, en l'informant par courrier du 2 avril 2021 qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mise en demeure et qu'elle disposait d'un délai de 15 jours pour faire valoir ses observations.

7. En troisième lieu, le préfet a laissé un délai d'un mois à la requérante pour choisir si elle souhaitait présenter une demande de dérogation prévue au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ou remettre le site en état, et lui a laissé le délai maximal d'un an prévu par l'article L. 171-7 du même code pour procéder au dépôt d'une demande de dérogation ou débuter des travaux de remise en état. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que ces délais seraient insuffisants.

Sur le bien-fondé de la mise en demeure :

8. Il résulte du constat établi le 17 mars 2021 par l'inspectrice de l'environnement que les travaux lourds engagés sur les parcelles ont conduit à d'importants mouvements de terrain sur une zone constituée d'alternance de forêt ouverte, de maquis et de pelouse, à proximité d'un cours d'eau en contrebas, constituant un habitat particulièrement favorable à la tortue d'Hermann et au sérapias négligé, protégés ainsi qu'il a été dit précédemment en vertu des arrêtés visés ci-dessus des 8 janvier 2021 et 20 janvier 1982. Une forte densité d'individus de tortue avait d'ailleurs été relevée sur un secteur similaire situé à proximité immédiate, prospecté lors d'une vaste campagne d'inventaire conduite entre 2006 et 2012, et plusieurs spécimens de sérapias négligé ont été trouvés en bordure du chantier. La SCI CNC produit un diagnostic écologique établi le 13 octobre 2023 qui confirme l'intérêt du site pour ces deux espèces, relevant la présence, lors d'une visite, de deux spécimens de tortue d'Hermann vus sur la parcelle voisine. Il ressort en outre dudit diagnostic que d'autres espèces protégées, floristique, telle la linaire changée, et animales, tel un cortège d'oiseaux nicheurs, la couleuvre verte et jaune, le lézard tyrrhénien et le hérisson d'Europe étaient également présentes ou potentiellement présentes sur les parcelles avant travaux. Ceux-ci ont ainsi nécessairement conduit à la destruction d'un peu plus d'un hectare d'habitat de ces espèces, ainsi qu'à la destruction de spécimens.

9. S'agissant des travaux restant à entreprendre à la suite de la mise en demeure, le diagnostic écologique mentionné ci-dessus a prévu la mise en protection des pieds de linaire changée demeurés sur le terrain d'assiette, la création de passages à faune sur le périmètre de la propriété, la mise en œuvre d'un aménagement paysager du lotissement favorable à la biodiversité, conservant 60 % de la superficie d'assiette à l'état naturel, le traitement du bassin de rétention afin qu'il soit favorable à la petite faune et la sensibilisation des futurs propriétaires. Ces différentes mesures, qui ont reçu un accueil favorable des services de l'Etat et ont d'ailleurs été mises en œuvre après reprise des travaux, sont de nature à éviter et réduire de façon conséquente les atteintes aux espèces protégées postérieures à la mise en demeure adressée par le préfet. Toutefois, elles sont sans incidence sur la destruction initiale de plus d'un hectare d'habitat et de spécimens durant la phase de travaux, visée au point 8. Alors même que l'état de conservation des espèces en cause n'en aurait pas été significativement affecté, une telle destruction, qui était nécessairement induite par les travaux à entreprendre, ne pouvait légalement intervenir sans être autorisée par une dérogation mentionnée au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. C'est dès lors à bon droit que le préfet de la Corse-du-Sud a pris l'arrêté attaqué.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI CNC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Il y a lieu de rejeter sa requête, en ce comprises les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI CNC est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI CNC et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2025.

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N° 23MA02940

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02940
Date de la décision : 04/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-045-01 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SCP UGGC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-04;23ma02940 ?
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