Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille :
1°) d'annuler la décision du 22 septembre 2021 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours contre la décision du 28 janvier 2021 rejetant sa demande de pension militaire d'invalidité ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au ministre des armées de fixer le taux d'invalidité de l'infirmité " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied gauche " à 10 % et celui de l'infirmité
" névralgie sciatique d'intensité légère " à 20 % et d'ouvrir ses droits à pension au titre de l'imputabilité par preuve à compter du 6 décembre 2018, à titre subsidiaire de juger que ces infirmités bénéficient de la présomption d'imputabilité, et à titre très subsidiaire d'enjoindre au ministre des armées de lui allouer un droit à pension temporaire à compter du 6 décembre 2018 au titre de l'aggravation au taux de 20 % de son infirmité " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied
gauche " par le fait du service du 23 juillet 2013 en opération extérieure au Mali.
Par un jugement n° 2109668 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision, a jugé que M. B... a droit à une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % au titre de l'infirmité " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied gauche " à compter du 6 décembre 2018, et a mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 novembre 2023 et 13 janvier 2025, le ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 octobre 2023 ;
2°) de confirmer la décision de la commission de recours de l'invalidité du 22 septembre 2021.
Le ministre soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier, d'une erreur de droit et d'une insuffisance de motivation, en considérant que l'infirmité en cause constitue une blessure causée par un fait précis de service, et en écartant l'argumentation en défense tirée d'un état préexistant lié à un lumbago survenu en 2012 ;
- par un rapport établi trois ans après les faits invoqués, le militaire ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que cette infirmité résulte du fait présenté comme survenu le 23 juillet 2013, pour lequel il n'a pas été empêché de consulter aussitôt un médecin ;
- cette infirmité n'est pas une blessure mais une maladie, et son taux d'incapacité n'atteint pas les 30 % susceptibles d'ouvrir droit à indemnisation, le fait invoqué n'étant pas survenu plus de 90 jours après le début de l'opération extérieure et ne pouvant donc bénéficier du régime de la présomption posé par l'article L. 121-2, 4° du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 et 13 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Cohen, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge de l'Etat les entiers dépens et la somme de 2 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- compte tenu de la date de l'accident, les dispositions de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre sont applicables au litige et l'infirmité en cause, qui est une blessure, a été causée en opération extérieure au sens de ces dispositions ;
- les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 12 décembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 janvier 2025 à 12 heures, et par une ordonnance du 3 janvier 2025, a été reportée au 14 janvier 2025 à 12 heures.
Un mémoire produit par le ministre des armées a été enregistré le 4 juin 2025, soit après la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ancien caporal de la légion étrangère, radié des contrôles le 2 novembre 2021, a sollicité le 6 décembre 2018 une pension militaire d'invalidité au titre de l'infirmité " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied gauche ". Par une décision du 28 janvier 2021, le ministre des armées a rejeté sa demande et, par une décision du 22 septembre 2021, la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours contre cette décision de refus. Mais par un jugement du 18 octobre 2023, dont le ministre des armées relève appel, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette dernière décision et a jugé que M. B... a droit à une pension militaire d'invalidité au taux de 20 % au titre de l'infirmité " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied
gauche " à compter du 6 décembre 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date d'ouverture du droit à pension allégué par le requérant : " Ouvrent droit à pension : (...) 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ". Aux termes de l'article L. 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le trentième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas.".
3. En application des dispositions du 3° de l'article L.3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, la présomption d'imputabilité peut bénéficier à l'intéressé à condition que la preuve d'une filiation médicale soit apportée. Cette filiation médicale, qui suppose une identité de nature entre la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée, peut être établie soit par la preuve de la réalité des soins reçus de façon continue pour cette affection soit par l'étiologie même de l'infirmité en cause.
4. Il résulte de ces mêmes dispositions que, si les conditions sont réunies pour que l'intéressé puisse bénéficier du régime de présomption légale d'imputabilité, cette présomption ne peut être écartée que lorsque l'administration apporte une preuve contraire établissant qu'une cause étrangère au service est à l'origine de façon directe et certaine de l'infirmité invoquée ou de son aggravation. Une telle preuve contraire ne saurait résulter d'une simple hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle.
En ce qui concerne les droits à pension de M. B... :
5. En premier lieu, il résulte de l'état des services de M. B... ainsi que de l'attestation de séjour du 4 octobre 2013, que l'intéressé a été en mission au Mali, du 30 mai au 8 octobre 2013, dans le cadre de l'opération " Cerval " qui constitue une expédition déclarée campagne de guerre au cours de laquelle les infirmités subies par les militaires peuvent bénéficier de la présomption d'imputabilité au service posée par les dispositions de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, citées au point 2. Si le rapport circonstancié établi le 18 octobre 2016, selon lequel le 23 juillet 2013, M. B... en chargeant une roue de véhicule de l'avant blindé au cours de cette opération militaire a ressenti une forte douleur au bas du dos, n'est pas un constat contemporain des faits en cause, non plus que le certificat médical de constatations du 18 octobre 2016, la mention de son livret médical du 23 août 2013 restitue ses doléances de souffrance depuis un mois d'une lombalgie avec sciatique gauche, et comporte la confirmation médicale d'une sciatique " S1 gauche " avec raideur lombaire. Cette indication est corroborée par celle portée sur ce livret par le même médecin qui relève, le 27 août 2013, une persistance des douleurs lombaires notamment avec irradiation dans la jambe gauche. Si le livret médical fait état le 23 août 2013 d'un effort de soulèvement produit un mois auparavant, alors que le rapport circonstancié du 18 octobre 2016 se réfère à un chargement de roue de véhicule blindé, l'ensemble de ces pièces établissent que M. B... a été victime, au cours de l'opération extérieure " Cerval " et avant le renvoi dans ses foyers, d'une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service, c'est-à-dire une blessure au sens des dispositions de l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.
6. En deuxième lieu, il résulte du rapport du médecin expert du 23 novembre 2020 que depuis la lomboradiculalgie dont il a été victime en 2013, M. B... a subi une " longue série de lomboradiculalgies traitées " par corticothérapie orale ou par infiltration épidurale et souffre également de névralgie sciatique légère. Il est vrai que ce rapport précise que dès 2016, les imageries médicales ont montré qu'il souffrait d'une hernie discale L.5 gauche, opérée en décembre 2019 mais ayant laissé une faiblesse du releveur du pied gauche et des douleurs neuropathiques évaluées à 4 sur une échelle de 7. Mais ni ce document, qui fait apparaître une continuité médicale depuis 2013 jusqu'au jour de la demande de pension, ni aucune autre pièce du dossier ne démontrent que l'infirmité dont M. B... demande l'indemnisation et que l'administration a qualifiée de " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied gauche ", sans faire apparaître la hernie discale comme une affection distincte, serait d'une nature différente de celle causée par la blessure de 2013, alors désignée par le médecin comme lombalgie avec sciatique gauche.
7. En dernier lieu, la simple mention dans le livret médical de l'intéressé, le 18 avril 2012, soit quelque trois mois après son incorporation, d'un lumbago aigu survenu après une course à pied, ne peut suffire à démontrer un état médical antérieur à son entrée dans l'armée, ni une cause de son infirmité étrangère au service, alors qu'il a été déclaré le 4 avril 2013 apte à celui-ci et à faire campagne en tous lieux et sans restriction.
8. Il suit de là que M. B... doit bénéficier de la présomption légale d'imputabilité au service de l'infirmité dont il demande l'indemnisation et qu'une pension militaire d'invalidité doit lui être accordée à ce titre, au taux d'incapacité qu'il est possible de fixer, en l'état des éléments de l'instruction, spécialement le rapport du médecin expert, et au vu des recommandations du guide-barème, à 20 %.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des armées n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de pension militaire d'invalidité de M. B... au titre de l'infirmité dite " lombalgie avec sciatalgie du membre inférieur gauche chronique sur hernie discale L4-L5 : mobilité articulaire normale, légère raideur du rachis lombaire (distance doigts-sol à 30 cm), diminution de la force du releveur du pied gauche ", au taux de 20%, à compter du 6 décembre 2018, date de sa demande de pension. Sa requête doit donc être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans cette instance, la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre des armées est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 11 juin 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.
N° 23MA026772