Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 6 mai 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté le recours préalable obligatoire qu'il a formé le 3 décembre 2020 contre la décision du 2 octobre 2020 en tant qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité de sa pathologie au service, d'enjoindre à la ministre des armées de reconnaître le lien au service de l'affection dont il souffre et de prendre une décision d'attribution d'un congé de longue durée pour maladie en lien avec le service, dans un délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, d'annuler l'arrêté du 30 mars 2021 portant radiation des contrôles d'office pour réforme définitive à compter du 2 avril 2021, d'enjoindre à la ministre des armées de procéder à la reconstitution de sa carrière et de mettre à la charge de l'État une somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2105450 du 7 juin 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de M. D....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 29 juillet 2024 et 27 février 2025, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, M. C... D..., représenté par Me Maumont, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté ses conclusions afférentes à la décision du ministre des armées du 6 mai 2021 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire contre une décision du 2 octobre 2020, en ce qu'elle refuse de reconnaître le caractère imputable au service de sa maladie ;
2°) d'annuler ladite décision du 6 mai 2021 ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de reconnaître le lien avec le service de son affection, de prendre une décision d'attribution de congé de longue durée pour maladie en lien avec le service et de régulariser l'ensemble de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 6 mai 2021 est insuffisamment motivée ;
- l'administration s'est crue à tort liée par les avis de l'inspecteur du service de santé des armées et du comité supérieur médical ;
- sa maladie est imputable au service ; il n'a commis aucune faute qui serait de nature à détacher la survenance de la maladie du service.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 février 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. D....
Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., entré dans l'armée de terre à compter du 23 août 1995 et promu au grade d'adjudant-chef le 1er juillet 2013, a été affecté, à compter du 1er août 2016, au détachement de la légion étrangère de Mayotte en qualité de directeur délégué de la succursale de Dzaoudzi. Tandis que cette affectation était prévue pour une durée initiale de 3 ans, M. D... a été muté, à compter du 1er septembre 2017, au 1er régiment étranger à Aubagne. En raison d'un burn-out et de troubles dépressifs, M. D... a été placé en congé de maladie à compter du 4 octobre 2017 puis en congé de longue durée par périodes successives de 6 mois du 2 avril 2018 au 1er avril 2021, pour une affection considérée comme étant sans lien avec le service. M. D... a exercé, à l'encontre de la décision du 2 octobre 2020 constituant la 6ème prolongation dudit congé de longue durée, en tant que celle-ci ne reconnaissait pas l'imputabilité de sa maladie au service, un recours administratif préalable obligatoire enregistré le 3 décembre 2020 par la commission des recours des militaires. Par une décision du 6 mai 2021, le ministre des armées a rejeté ledit recours. Par ailleurs, l'intéressé a été radié des contrôles d'office pour réforme définitive à compter du 2 avril 2021 par un arrêté du 30 mars 2021. Par un jugement du 7 juin 2024, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté comme étant irrecevables les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 mars 2021 portant radiation des contrôles dès lors que celles-ci n'avaient pas été précédées du recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires et, d'autre part, rejeté comme infondées les conclusions dirigées contre la décision du 6 mai 2021. M. D... interjette appel de ce jugement en tant qu'il est afférent à la décision du 6 mai 2021 en ce qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 4138-12 du code de la défense dans sa rédaction alors applicable : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie ou des droits du congé du blessé prévus aux articles L. 4138-3 et L. 4138-3-1, pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions ou à la suite de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, ce congé est d'une durée maximale de huit ans. Le militaire perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant cinq ans, puis une rémunération réduite de moitié les trois années qui suivent. / Dans les autres cas, ce congé est d'une durée maximale de cinq ans et le militaire de carrière perçoit, dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant trois ans, puis une rémunération réduite de moitié les deux années qui suivent. Le militaire servant en vertu d'un contrat réunissant au moins trois ans de services militaires bénéficie de ce congé, pour lequel il perçoit sa rémunération pendant un an, puis une rémunération réduite de moitié les deux années qui suivent. Celui réunissant moins de trois ans de services militaires bénéficie de ce congé, non rémunéré, pendant une durée maximale d'un an (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 4138-47 du même code : " Le congé de longue durée pour maladie est la situation du militaire, qui est placé, au terme de ses droits à congé de maladie ou de ses droits à congé du blessé, dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions pour l'une des affections suivantes : 1° Affections cancéreuses ; 2° Déficit immunitaire grave et acquis ; 3° Troubles mentaux et du comportement présentant une évolution prolongée et dont le retentissement professionnel ou le traitement sont incompatibles avec le service ".
3. Une maladie contractée par un militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel du militaire ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de ses fonctions de directeur délégué de la succursale de Dzaoudzi, M. D..., tandis qu'il avait, dès sa prise de fonctions en août 2016, alerté sa hiérarchie sur l'existence de pratiques douteuses de la part du comptable de la succursale, a lui-même été suspecté de détournements de fonds publics et de faux en écritures comptables à compter du mois d'avril 2017 à la suite d'une visite d'assistance technique pour la migration d'un logiciel SIGMESS 2.0. Ces suspicions ont donné lieu, d'une part, à une enquête administrative et, d'autre part, à une enquête pénale avec garde à vue de l'intéressé en juin 2024, audition de sa compagne alors enceinte ainsi qu'à une perquisition de son bureau et de son domicile. Ces circonstances établissent que le contexte professionnel au détachement de la légion étrangère à Mayotte au cours des années 2016/2017 était particulièrement tendu et pathogène. Il ressort, d'autre part, des pièces du dossier et notamment des différents certificats établis par le Dr A..., psychiatre qui a suivi le requérant à compter d'octobre 2017 lors de son retour anticipé en métropole au terme d'une seule année au lieu des trois années initialement prévues, que M. D..., qui n'avait aucun antécédent d'ordre psychique ni aucun trouble de la personnalité, a présenté des troubles constitutifs d'un burn-out, d'un choc post-traumatique et, ensuite, d'une dépression, décrits comme étant consécutifs à des difficultés relationnelles au travail faisant suite à des accusations, ayant conduit à un épuisement considérable et à un état de détresse psychologique profonde. Il ressort également d'un rapport d'expertise établi par le Dr B..., psychiatre, dans le cadre d'une demande de pension d'invalidité présentée par M. D..., qui est certes postérieur à la décision attaquée mais qui fait état de faits antérieurs à celle-ci et peut donc être pris en compte à titre informatif, qu'il existe un faisceau d'arguments en faveur de l'imputabilité au service. Ledit rapport a d'ailleurs retenu un taux d'invalidité de 50 % entièrement imputable au service. Au regard de l'ensemble des éléments précités et en dépit de la circonstance que, par un avis en date du 21 octobre 2020, l'inspecteur du service de santé des armées et par un avis du 11 décembre 2019, le comité supérieur médical aient estimé que la maladie de l'intéressé ne présentait pas de lien avec le service, M. D... est fondé à soutenir, comme l'ont à juste titre relevé à cet égard les premiers juges, que sa maladie doit être regardée comme présentant un lien direct avec ses conditions de travail.
5. Toutefois, le ministre des armées fait valoir que M. D... aurait commis une faute consistant en des détournements de fonds et faux en écritures, qui serait la cause déterminante de la dégradation de ses conditions de travail. S'il résulte d'un rapport d'enquête administrative que M. D..., qui ne conteste pas ces faits précis qui ont donné lieu à la sanction disciplinaire de la rétrogradation le 9 mai 2019, aurait bénéficié de pratiques tarifaires afférentes à la vente de cigarette particulièrement avantageuses, il en résulte également que l'auteur des faits de détournements de fonds et faux en écritures est le comptable de la succursale et non M. D.... D'ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que les plaintes déposées à l'encontre de ce dernier devant le parquet militaire du tribunal judiciaire de Paris et devant le tribunal judiciaire de Mamoudzou ont, toutes deux, été classées sans suite les 29 janvier 2019 et 19 novembre 2019 pour absence d'infraction. La seule circonstance que le requérant, qui a toujours au demeurant été excellement noté par sa hiérarchie et décrit comme un agent remarquable, loyal, franc et digne de la plus grande confiance, ait bénéficié de tarifs de vente de cigarettes avantageux, pour regrettable qu'elle soit et bien que constitutive d'une faute, ne saurait être toutefois regardée comme la cause déterminante de la dégradation de ses conditions de travail et, par suite, de sa pathologie. Il suit de là que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a estimé que ces agissements devaient conduire à détacher la survenance de la maladie du service.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 7 juin 2024 en tant qu'il est afférent à la décision du 6 mai 2021, ainsi que ladite décision en ce qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de M. D....
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le ministre des armées reconnaisse l'imputabilité de l'affection présentée par M. D... au service et régularise sa situation administrative. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre des armées de procéder à une telle reconnaissance et régularisation, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais d'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros qui sera versée à M. D... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2105450 du tribunal administratif de Marseille du 7 juin 2024 est annulé en tant qu'il est afférent à la décision du 6 mai 2021.
Article 2 : La décision du ministre des armées du 6 mai 2021 est annulée en tant qu'elle refuse de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de M. D....
Article 3 : Il est enjoint au ministre des armées de reconnaître l'imputabilité de l'affection de M. D... au service et de régulariser sa situation administrative dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. D... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 4 juin 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la Cour,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2025.
N° 24MA02017 2
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