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19/06/2025 | FRANCE | N°24MA00300

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 1ère chambre, 19 juin 2025, 24MA00300


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Lauryne a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 avril 2021 par laquelle le maire de Vence a enjoint à la société Enedis de procéder à une coupure définitive, à l'enlèvement du compteur et au refus définitif de tout raccordement sur sa parcelle cadastrée section G n° 1070, sise 1900 chemin de la Plus Haute Sine sur le territoire communal.



Par un jugement n° 2102367 du 18 janvier 2

024, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 9 avril 2021 du maire de Vence.





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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Lauryne a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 avril 2021 par laquelle le maire de Vence a enjoint à la société Enedis de procéder à une coupure définitive, à l'enlèvement du compteur et au refus définitif de tout raccordement sur sa parcelle cadastrée section G n° 1070, sise 1900 chemin de la Plus Haute Sine sur le territoire communal.

Par un jugement n° 2102367 du 18 janvier 2024, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 9 avril 2021 du maire de Vence.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2024, la commune de Vence, représentée par Me Plenot, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 18 janvier 2024 du tribunal administratif de Nice ;

2°) de mettre à la charge de la société civile immobilière (SCI) Lauryne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a retenu à tort le moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ;

- la décision contestée pouvait être légalement prise, en raison de l'existence de risques pour la sécurité publique, sur le fondement des pouvoirs de police générale appartenant au maire en vertu du code général des collectivités territoriales.

La requête a été communiquée à la SCI Lauryne, qui n'a pas produit de mémoire.

Par ordonnance du 8 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 décembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la Cour a désigné Mme Courbon, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement de la 1ère chambre, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Claudé-Mougel, rapporteur ;

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;

- et les observations de Me Barrandon pour la commune de Vence

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Vence demande l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice, saisi par la société civile immobilière (SCI) Lauryne, a annulé la décision du 9 avril 2021 par laquelle son maire a enjoint à la société Enedis de procéder à une coupure définitive, à l'enlèvement du compteur et au refus définitif de tout raccordement sur la parcelle cadastrée section G n° 1070, sise 1900 chemin de la Plus Haute Sine sur le territoire communal.

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué :

2. En premier lieu, si la commune de Vence critique le jugement attaqué en ce qu'il a retenu l'insuffisance de motivation de la décision contestée, il ne résulte pas des termes dudit jugement que ce moyen, qui n'était pas soulevé devant le tribunal, ait été retenu par le juge de première instance.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables (...), les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée, qui mentionne l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, retrace les principales infractions au code de l'urbanisme retenues à l'encontre de la SCI Lauryne, notamment les procès-verbaux de constat et d'infraction dressés à son encontre entre octobre 2017 et octobre 2019, ainsi que la condamnation de cette société à la démolition de l'accès bétonné et à la remise en état des lieux par une ordonnance du 22 juin 2018 du juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse. Elle souligne en outre le fait que la parcelle litigieuse est située en zone naturelle, et est concernée par un espace boisé classé ainsi que par un aléa très fort d'incendies de forêt, avant de rappeler la volonté communale de préserver la sécurité publique. Ainsi, en mentionnant les constructions édifiées sans autorisation dans une zone d'aléa très fort au titre du risque d'incendies de forêt et en rappelant l'obligation qui lui incombe de préserver la sécurité publique, le maire de Vence a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales en enjoignant à la société Enedis de procéder à la coupure du réseau d'électricité pour la parcelle appartenant à la SCI Lauryne, et sa décision pouvait légalement être fondée sur ces seules dispositions.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales pour annuler la décision du 9 avril 2021 du maire de Vence.

6. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCI Lauryne devant le tribunal administratif de Nice.

Sur les autres moyens soulevés par la SCI Lauryne devant le tribunal :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ".

8. Si la SCI Lauryne soutient que la décision contestée doit être regardée comme retirant la décision par laquelle le raccordement de la parcelle lui appartenant au réseau public d'électricité a été autorisé, il ressort des pièces du dossier que, ainsi qu'il a été dit aux points 3 à 5, ladite décision constitue une mesure de police prise sur le fondement des pouvoirs de police générale appartenant au maire en vertu des dispositions précitées de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Le moyen tiré du vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peut, dès lors, qu'être écarté comme inopérant.

9. En deuxième lieu, si la SCI Lauryne soutient que la décision contestée serait entachée d'une erreur de fait quant à la présence irrégulière de caravanes et camping-cars sur la parcelle litigieuse, il ressort des pièces du dossier que cette présence a été constatée à plusieurs reprises, par un procès-verbal d'infraction du 31 août 2017 et des rapports de constatations des 23 octobre 2017 et 4 avril 2019, ces constatations ne pouvant être remises en cause par les seuls procès-verbaux de constat établis à la demande de la SCI Lauryne les 1er décembre 2020 et 14 juin 2021, ce dernier étant au demeurant postérieur à la date de la décision contestée. En outre, l'illégalité de la présence de tels véhicules sur la parcelle litigieuse, dont il est constant qu'elle est située dans un espace boisé classé, résulte, en tout état de cause, des dispositions de l'article R. 111-48 du code de l'urbanisme. La SCI Lauryne, qui ne peut ainsi se prévaloir de la régularité de la présence de camping-cars et caravanes sur la parcelle lui appartenant, n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est entachée d'une erreur de fait.

10. En troisième lieu, la SCI Lauryne n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée, qui a été prise sur le fondement des dispositions précitées du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dans les conditions rappelées au point 4, serait dépourvue de base légale, alors en outre que les dispositions des articles R. 443-1 et suivants du code de l'urbanisme invoqués par ladite société ne sont pas au nombre des motifs fondant cette décision.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Il ressort des pièces du dossier que, ainsi qu'il a été dit au point 4, de nombreuses infractions au code de l'urbanisme ont été retenues à l'encontre de la SCI Lauryne à compter du mois d'août 2017, et notamment le fait d'avoir transformé un cabanon en bois en maison d'habitation sans autorisation, d'avoir fait construire une rampe en béton sans autorisation, laquelle a nécessité d'importants terrassements non autorisés, et d'avoir procédé à l'abattage d'arbres dans un espace boisé classé. Ladite société a ainsi été condamnée, par une ordonnance du 22 juin 2018 du juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse, à faire démolir l'accès bétonné et à la remise en état des lieux, notamment par l'enlèvement des terres composant la plate-forme et l'enlèvement des camping-cars et caravanes, sous astreinte de 120 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de trois mois. La SCI Lauryne a, au demeurant, été condamnée, par un jugement du 15 décembre 2021 du tribunal judiciaire de Grasse, à procéder à l'enlèvement des terres et remblais et à la remise en état des lieux, à l'interdiction de tout stationnement de camping-cars et caravanes sur la parcelle, à la démolition du cabanon, de la fosse sceptique et de l'accès bétonné. Ainsi qu'il a été également dit au point 4, la décision contestée a été prise par le maire de Vence dans l'objectif de prévenir des risques d'atteinte à la sécurité publique, résidant dans la circonstance que les constructions non autorisées réalisées par la SCI Lauryne dans une zone naturelle grevée d'un espace boisé classé et concernée par un aléa très fort au titre du risque d'incendies de forêt avaient pour effet d'aggraver ce risque. Dans ces conditions, en enjoignant à la société Enedis de couper l'alimentation en électricité de la parcelle concernée, le maire de Vence n'a pas porté au droit de la SCI Lauryne au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette injonction a été prononcée, alors en outre que ladite société ne peut utilement se prévaloir de la présence sur la parcelle litigieuse d'une maison d'habitation, laquelle n'a jamais été autorisée. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaît les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. La SCI Lauryne, qui, contrairement à ce qu'elle soutient, a été prévenue de la possibilité d'intervention de la décision litigieuse par la mise en œuvre, par le maire de Vence, d'une procédure contradictoire préalable par un courrier du 8 mars 2021, ne peut utilement se prévaloir de ce que la décision contestée aurait pour effet de priver une famille de l'accès à l'électricité, alors que, ainsi qu'il a été rappelé au point 12, aucune maison d'habitation n'a été autorisée sur la parcelle litigieuse. La décision contestée n'a, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de soumettre la SCI Lauryne à des traitements inhumains et dégradants au sens des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Il résulte de ce qui précède que la commune de Vence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 9 avril 2021 de son maire.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Lauryne la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Vence et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2102367 du 18 janvier 2024 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SCI Lauryne devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : La SCI Lauryne versera à la commune de Vence la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Vence et à la société civile immobilière (SCI) Lauryne.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, où siégeaient :

- Mme Courbon, présidente,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025

2

N° 24MA00300


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00300
Date de la décision : 19/06/2025

Analyses

49-04-03 Police. - Police générale. - Sécurité publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: M. Arnaud CLAUDÉ-MOUGEL
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-19;24ma00300 ?
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