Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision révélée instaurant un régime de fouille intégrale systématique à son encontre et d'annuler les décisions de fouilles intégrales réalisées sur sa personne entre le 9 décembre 2020 et le 11 mars 2022 à la maison d'arrêt de Draguignan.
Par un jugement n° 2201601 du 21 octobre 2024, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision révélée instaurant un régime de fouille intégrale systématique, annulé les décisions de fouilles intégrales exécutées le 17 juin 2021, les 20 et 21 juillet 2021, le 15 septembre 2021, le 30 octobre 2021, le 19 novembre 2021, le 3 janvier 2022, le 11 février 2022 et le 11 mars 2022 et rejeté les conclusions tendant à l'annulation des décisions de fouilles intégrales exécutées le 9 décembre 2020, le 18 février 2021, le 24 février 2021, le 12 avril 2021, le 21 avril 2021, le 18 mai 2021 et le 20 mai 2021.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2024 et un mémoire ampliatif enregistré le 21 janvier 2025, le Garde des sceaux, ministre de la justice, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a annulé les décisions de fouilles intégrales des 17 juin 2021, 20 juillet 2021, 21 juillet 2021, 15 septembre 2021, 30 octobre 2021, 19 novembre 2021, 3 janvier 2022, 11 février 2022, et 11 mars 2022 ;
2°) de rejeter les conclusions de M. A....
Il soutient que :
- M. A... n'a pas fait l'objet d'une décision de fouille intégrale systématique ;
- les fouilles intégrales auxquelles il a été soumis étaient nécessaires et proportionnées.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 mars 2025, M. B... A..., représenté par Me Lendom, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de rejeter la requête du ministre de la justice ;
3°) d'annuler l'ensemble des décisions de fouilles intégrales dont il a fait l'objet de décembre 2020 à mars 2022 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est tardive et, dès lors, irrecevable ;
- les moyens de la requête sont infondés.
Le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. A... par une décision du 28 mars 2025.
Par une décision en date du 23 mai 2025, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été placé sous mandat de dépôt à compter du 24 juin 2020 à la maison d'arrêt de Grasse pour des faits de meurtre, tentative et récidive et condamné, par jugement du tribunal judiciaire de Grasse du 21 juillet 2021, à une peine de 5 ans d'emprisonnement pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme entraînant une incapacité supérieure à 8 jours. Il a été transféré le 30 octobre 2020, à la maison d'arrêt de Draguignan. Estimant avoir fait l'objet, de décembre 2020 à mars 2022, d'une décision informelle de fouille intégrale systématique, il a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler cette décision et, d'autre part, d'annuler les décisions de fouilles intégrales exécutées au cours de cette période. Par un jugement en date du 21 octobre 2024, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision révélée instaurant un régime de fouille intégrale systématique, annulé les décisions de fouilles intégrales exécutées le 17 juin 2021, les 20 et 21 juillet 2021, le 15 septembre 2021, le 30 octobre 2021, le 19 novembre 2021, le 3 janvier 2022, le 11 février 2022 et le 11 mars 2022 et rejeté les conclusions tendant à l'annulation des décisions de fouilles intégrales exécutées le 9 décembre 2020, le 18 février 2021, le 24 février 2021, le 12 avril 2021, le 21 avril 2021, le 18 mai 2021 et le 20 mai 2021. Le ministre de la justice doit être regardé comme interjetant appel de ce jugement en tant qu'il a annulé les décisions précitées.
Sur les conclusions d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2025. Il n'y a dès lors plus lieu, pour la Cour, de statuer sur la demande d'admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle que ce dernier présente dans ses écritures.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par M. A... :
3. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 612-5 du même code : " Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n'a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l'envoi ou, dans les cas mentionnés au second alinéa de l'article R. 611-6, n'a pas rétabli le dossier, il est réputé s'être désisté ".
4. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié au ministre de la justice le 21 octobre 2024. Dans le délai de deux mois imparti par les dispositions précitées, ce dernier a déposé, le 20 décembre 2024, une requête sommaire comportant des moyens. Une mise en demeure de produire un mémoire ampliatif dans un délai d'un mois lui a été notifiée le 23 décembre 2024. Un mémoire ampliatif a été enregistré au greffe de la Cour le 21 janvier 2025. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par M. A... doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les décisions de fouilles intégrales exécutées entre le 9 décembre 2020 et le 20 mai 2021 :
5. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté comme étant tardives et, par suite, irrecevables les conclusions de M. A... tendant à l'annulation des fouilles intégrales exécutées entre le 9 décembre 2020 et le 20 mai 2021. M. A... ne conteste pas, dans le cadre de ses écritures d'appel, l'irrecevabilité qui lui a ainsi été opposée. Il y a lieu, par suite, de confirmer, sur ce point, le jugement attaqué.
En ce qui concerne la décision révélée de fouille intégrale systématique :
6. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé une décision de fouille intégrale systématique qui aurait été révélée par la fréquence desdites fouilles à l'endroit de M. A... de décembre 2020 à mars 2022. Il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que sur 29 décisions prises, M. A... a, en réalité, fait l'objet, sur la période considérée, à l'occasion d'évènements spécifiques tenant à des parloirs avec la famille, des sorties d'atelier, des extractions médicales ou judiciaires, de 17 fouilles intégrales, ce qui représente en moyenne environ une fouille intégrale par mois, et d'autre part, qu'il a été fouillé, au cours de la même période, par palpation à 8 reprises. Au regard de ces éléments, M. A... ne peut être regardé comme ayant fait l'objet d'une décision informelle de fouille intégrale systématique. Il suit de là que le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé, alors qu'elle était inexistante, une telle décision.
En ce qui concerne les fouilles intégrales exécutées entre le 17 juin 2021 et le 11 mars 2022 :
7. Aux termes de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 alors applicable : " Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l'établissement sans être restées sous la surveillance constante de l'administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef d'établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. / Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de soupçonner l'introduction au sein de l'établissement pénitentiaire d'objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d'établissement peut également ordonner des fouilles de personnes détenues dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de leur personnalité. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l'objet d'un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l'administration pénitentiaire. / Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. / Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n'exerçant pas au sein de l'établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l'autorité judiciaire ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 57-7-79 du code de procédure pénale dans sa rédaction alors applicable : " Les mesures de fouilles des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont mises en œuvre sur décision du chef d'établissement pour prévenir les risques mentionnés au premier alinéa de l'article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées, des circonstances de la vie en détention et de la spécificité de l'établissement. / Lorsque les mesures de fouille des personnes détenues, intégrales ou par palpation, sont réalisées à l'occasion de leur extraction ou de leur transfèrement par l'administration pénitentiaire, elles sont mises en œuvre sur décision du chef d'escorte. Leur nature et leur fréquence sont décidées au vu de la personnalité des personnes intéressées et des circonstances dans lesquelles se déroule l'extraction ou le transfèrement ". Enfin, aux termes de l'article R. 57-7-80 du même code : " Les personnes détenues sont fouillées chaque fois qu'il existe des éléments permettant de suspecter un risque d'évasion, l'entrée, la sortie ou la circulation en détention d'objets ou substances prohibés ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre de l'établissement. "
8. Il résulte de ces dispositions que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l'un des motifs qu'elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l'intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu'il a pu avoir avec des tiers. Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l'utilisation de moyens de détection électronique. Il appartient à l'administration pénitentiaire de veiller, d'une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d'autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne.
9. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, de la fiche pénale, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, M. A... a été placé sous mandat de dépôt à compter du 24 juin 2020 à la maison d'arrêt de Grasse pour des faits de meurtre, tentative et récidive et notamment condamné, par jugement du tribunal judiciaire de Grasse du 21 juillet 2021 à une peine de 5 ans d'emprisonnement pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme entraînant une incapacité supérieure à 8 jours. Il ressort également des pièces du dossier qu'il a, à de multiples reprises, au cours de la période de son incarcération à la maison d'arrêt de Draguignan, été sanctionné par la commission de discipline à des journées en cellule disciplinaire pour des faits tenant à des refus de rejoindre sa cellule, une altercation avec l'un des codétenus sur lequel il a levé la main, la détention d'un mini téléphone portable et d'une carte SIM. Il résulte également du procès-verbal de la commission de discipline du 22 juillet 2020, que M. A..., qui a fait deux tentatives de suicide et procédait à des auto-mutilations, a été retrouvé en possession d'une lame de rasoir. Au regard de ces éléments, de la circonstance que l'intéressé n'a fait l'objet que de fouilles ciblées à l'issue de visites au parloir, de sorties d'atelier et d'extractions médicales et judiciaires, tous évènements au titre desquels il était susceptible de faire pénétrer au sein de l'établissement des objets interdits ou dangereux tant pour la sécurité de l'établissement que pour lui-même ou ses codétenus, le recours à de telles fouilles apparaît, dans les circonstances de l'espèce tenant aux antécédents judiciaires de l'intéressé, à son parcours disciplinaire et à son comportement et, eu égard au caractère subsidiaire des fouilles intégrales, nécessaire et proportionné, dès lors qu'aucune autre mesure moins intrusive n'aurait permis d'atteindre le même but dans des conditions équivalentes. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas allégué que les agents de l'administration pénitentiaire auraient procédé à ces fouilles dans des conditions qui, par elles-mêmes, seraient attentatoires à la dignité humaine. Il suit de là que le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé les fouilles intégrales exécutées entre le 17 juin 2021 et le 11 mars 2022.
10. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a annulé une décision informelle de fouille intégrale systématique ainsi que les décisions de fouilles exécutées entre le 17 juin 2021 et le 11 mars 2022.
Sur les frais d'instance :
11. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. A... doivent, dès lors, être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de M. A....
Article 2 : Le jugement n° 2201601 du 21 octobre 2024 est annulé en tant qu'il a annulé une décision révélée de fouille intégrale systématique et en tant qu'il a annulé les décisions de fouilles intégrales exécutées le 17 juin 2021, les 20 et 21 juillet 2021, le 15 septembre 2021, le 30 octobre 2021, le 19 novembre 2021, le 3 janvier 2022, le 11 février 2022 et le 11 mars 2022.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. B... A... et à Me Lendom.
Copie en sera adressée au directeur de la maison d'arrêt de Draguignan.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2025, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 juin 2025.
N° 24MA03205 2
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