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06/06/2025 | FRANCE | N°24MA01753

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 06 juin 2025, 24MA01753


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 14 juin 2022 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires (CRM) à l'encontre de la décision implicite de rejet née du silence de la ministre des armées à sa demande de protection fonctionnelle et d'indemnisation faite le 14 mai 2021, d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer la protection fonctionnelle en prenant diver

ses mesures, et de condamner l'Etat à réparer ses préjudices à hauteur de la somme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 14 juin 2022 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires (CRM) à l'encontre de la décision implicite de rejet née du silence de la ministre des armées à sa demande de protection fonctionnelle et d'indemnisation faite le 14 mai 2021, d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer la protection fonctionnelle en prenant diverses mesures, et de condamner l'Etat à réparer ses préjudices à hauteur de la somme de 90 724,88 euros.

Par un jugement n° 2200112 du 14 mai 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Maumont, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 14 mai 2024 ;

2°) d'annuler la décision du 14 juin 2022 portant rejet de son recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires ;

3°) d'enjoindre au ministre des armées de lui octroyer la protection fonctionnelle, de lui reconnaitre la qualité de victime, d'adopter toute mesure disciplinaire justifiée, de le rétablir dans ses attributions et prérogatives, de prendre en charge ses frais de justice, et de mettre en œuvre une enquête administrative ;

4°) de condamner l'Etat à réparer ses préjudices à hauteur de la somme de 90 724,88 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral de la part d'un de ses collègues et de ses supérieurs hiérarchiques ;

- son état de santé s'est dégradé ;

- l'Etat est fautif de n'avoir pas réagi aux faits de harcèlement moral qu'il a subis ;

- le jugement du tribunal administratif de Toulon est entaché de contradictions de motifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une lettre en date du 8 avril 2025, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 15 mai et le 10 juillet 2025, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 29 avril 2025.

Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 7 mai 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. François Point, rapporteur,

- et les conclusions de M. Olivier Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., militaire au sein de la marine nationale, a été affecté à compter du 10 juillet 2017 sur la frégate de surveillance Nivôse à l'île de la Réunion. Le 20 novembre 2018, le premier maître C... a informé sa hiérarchie de la situation qu'il estimait subir de la part de son adjoint, le premier maître F..., en indiquant qu'il souhaitait porter plainte contre ce dernier. Le 6 janvier 2019, il a été victime d'un infarctus du myocarde. Il a été placé en congé maladie jusqu'au 6 janvier 2020, puis en congé de longue durée pour maladie, à compter du 7 janvier 2020. Par courrier recommandé du 14 mai 2021, reçu par l'administration le 19 mai 2021, M. C... a sollicité l'octroi de la protection fonctionnelle et a demandé au ministre de lui allouer la somme de 82 006,88 euros en réparation de ses préjudices. Par une décision du 14 juin 2022, le ministre des armées a explicitement rejeté le recours administratif préalable obligatoire du requérant relatif à ces deux demandes. M. C... a demandé au tribunal administratif de Toulon l'annulation de la décision de rejet de son recours administratif préalable obligatoire porté devant la commission des recours des militaires relatifs à l'octroi de la protection fonctionnelle et au rejet de sa demande indemnitaire. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes (...) Le service compétent pour accorder la protection est celui dont relève le militaire ou, pour l'ancien militaire, celui dont il relevait, à la date des faits en cause. (...) Les conjoints, concubins, partenaires liés par un pacte civil de solidarité, enfants et ascendants directs des militaires bénéficient de la protection de l'Etat lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages (...) ". Aux termes de l'article L. 4123-10-2 du même code : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement moral sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Pour justifier de la situation de harcèlement moral qu'il allègue, M. C... soutient, en premier lieu, qu'il a rencontré des difficultés professionnelles avec son adjoint, le premier maître F..., qui aurait adopté un comportement nocif et insidieux à son égard, manifestant une volonté de lui nuire. Les faits allégués couvrent la période du 10 janvier 2017 au 30 novembre 2018, date du débarquement de M. F.... Si l'attestation de M. B... versée au dossier confirme l'existence de mauvaises relations au sein du service, il ne ressort pas de ce témoignage ou d'autres pièces du dossier que la mésentente entre M. C... et le premier maître F... serait révélatrice d'un harcèlement moral à l'égard du requérant. Par ailleurs, si le premier maître F... a été débarqué de la frégate Nivôse le 30 novembre 2018, le ministre affirme sans être utilement contredit sur ce point que cette mesure a été prise pour des raisons médicales, liées à l'état de santé de l'intéressé. Ainsi, les éléments invoqués par M. C... concernant sa relation avec le premier maître F... ne sont pas suffisants pour faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

5. M. C... soutient, en deuxième lieu, qu'il a été l'objet de propos dévalorisants et victime d'une critique systématique de sa façon de travailler par son supérieur hiérarchique, le lieutenant de vaisseau D.... Toutefois, la matérialité des propos allégués n'est pas établie par la seule attestation de M. B..., au demeurant vague et non circonstanciée sur ce point. Par ailleurs, les allégations relatives à une réduction des responsabilités ou des attributions de M. C..., qui ne sont appuyées que sur un courriel de ce même M. B... daté du 27 septembre 2020, également vague et non circonstancié, ne permettent pas de faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. M. C... soutient, par ailleurs, qu'il a subi une surcharge de travail. Il fait valoir à cet effet que son service s'est vu confier des tâches qui incombaient au secteur industriel et non au secteur électricité, que le service était désorganisé, et qu'il devait refaire le travail du premier maître F.... Toutefois, ces éléments ne sont pas, non plus, de nature à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

6. M. C... soutient, en troisième lieu, que l'administration est restée inactive, alors qu'il avait dénoncé les agissements de harcèlement moral dont il s'estimait victime de la part du premier maître F.... Toutefois, après avoir été saisi par M. C..., l'inspecteur du travail, le 12 mai 2019, s'est adressé au commandant de la frégate le Nivôse, le commandant A..., en vue de recueillir ses observations. Ce dernier a répondu à cette demande le 22 mai 2019. Il ressort du courrier du 22 mai 2019 que le commandant de bord, après avoir reçu en entretien M. C... le 20 novembre 2018, lui a recommandé de consulter le médecin de bord. Le commandant a ensuite reçu le premier maître F... pour recueillir son témoignage et a consulté l'ensemble des membres de l'équipe chargée du suivi des risques psycho-sociaux. Il ressort également de ce courrier que le major conseiller de la base navale, puis le commandant, ont reçu à la fois M. C... et le premier maître F.... Par ailleurs, l'inspecteur du travail a conclu à l'absence de situation de harcèlement moral. Dans ces conditions, au vu des éléments produits par le ministre, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'administration aurait commis une faute en restant inactive ou en ne prenant pas les mesures utiles pour faire cesser une situation de harcèlement moral.

7. M. C... soutient, en quatrième lieu, que le commandant A..., capitaine de frégate et commandant de bord de la frégate Nivôse, a fait l'objet à son égard de partialité et de malveillance. Il résulte toutefois de ce qui a été exposé précédemment au point 6 que le ministre des armées, par les éléments qu'il produit en défense, établit que le traitement de la situation de M. C..., à la suite du signalement de la situation de harcèlement moral dont il estimait faire l'objet, a été conduit de façon objective et impartiale par le commandant de bord. En outre, il n'est pas établi, au vu des éléments fournis par les parties, que M. C... aurait été évincé pour être remplacé dans ses fonctions par un autre militaire. Il n'est pas davantage établi, à l'examen de la fiche de notation de M. C... pour l'année 2019, que la baisse de la notation d'un point par rapport à l'année 2018 correspondrait à une volonté de sanctionner l'intéressé. Ainsi, au vu des éléments fournis par les parties, les allégations de M. C... concernant l'existence d'un comportement malveillant du commandant A... ne sont pas établies.

8. M. C... soutient, en cinquième lieu, que son état de santé s'est dégradé et qu'il a fait un infarctus le 6 janvier 2019, reconnu imputable au service, notamment au regard d'un état de stress au travail. Toutefois, cet élément n'est pas à lui seul de nature à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses demandes.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Vincent, présidente,

- M. Point, premier conseiller,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2025.

2

N° 24MA01753


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA01753
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : MDMH - MAUMONT MOUMNI AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-06;24ma01753 ?
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