Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Ragni Holding a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2004088 du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 5 juin 2024, le 10 octobre 2024 et le 9 janvier 2025, la SAS Ragni Holding, représentée par Me Evrard, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 11 avril 2024 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de condamner l'État aux entiers dépens et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne le moyen tiré de ce que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis défavorable à la rectification relative aux provisions sur créances ;
- le montant des rectifications a été modifié après le recours hiérarchique, sans qu'aucune nouvelle proposition de rectification ne lui soit adressée ;
- en raison de la substitution de base légale que l'administration a opérée, elle a été privée de la faculté de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- l'administration a ainsi méconnu la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-10-50 n° 840 ;
- elle n'a pu bénéficier d'un entretien avec l'interlocuteur départemental malgré sa demande ;
- c'est à tort que l'administration a remis en cause la déduction de la provision pour dépréciation de la créance qu'elle détenait sur sa filiale Ragni GA Inc ;
- c'est à tort que l'administration a remis en cause la déduction de la provision pour dépréciation de la créance qu'elle détenait sur sa filiale Ragni IC ;
- la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis défavorable aux rectifications.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2024, le 20 novembre 2024 et le 30 janvier 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet la requête.
Il fait valoir que :
- les conclusions à fin de décharge des suppléments d'impôt mis à la charge de la requérante au titre de l'exercice clos en 2015 sont irrecevables, faute de réclamation préalable ;
- les moyens soulevés par la SAS Ragni Holding ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Ragni Holding a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, à l'issue de laquelle l'administration a notamment remis en cause au titre des exercices clos en 2015 et 2016 la déduction de provisions. La SAS Ragni Holding relève appel du jugement du 11 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a ainsi été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016 et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif a expressément statué, aux points 7 à 9 du jugement contesté, sur le moyen tiré de ce que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis défavorable à la rectification relative aux provisions sur créances, en indiquant notamment que le législateur, en adoptant le premier alinéa de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, n'a pas entendu déroger aux principes généraux gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif en exigeant de l'administration fiscale qu'elle justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe. Ainsi, le tribunal a répondu de manière suffisante au moyen invoqué.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales : " (...) lorsque l'administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts (...), les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A (...) ". Aux termes de l'article L. 57 du même livre : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 48 de ce livre : " A l'issue (...) d'une vérification de comptabilité (...), lorsque des rectifications sont envisagées, l'administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 (...), le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces rectifications (...) / Pour une société membre d'un groupe mentionné à l'article 223 A ou à l'article 223 A bis du code général des impôts, l'information prévue au premier alinéa porte, en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés et les pénalités correspondantes, sur les montants dont elle serait redevable en l'absence d'appartenance à un groupe (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 dudit livre : " (...) Lorsqu'en application des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts ou de l'article 223 A bis du même code la société mère d'un groupe ou l'établissement public industriel et commercial qui s'est constitué seul redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats d'un groupe est amené à supporter les droits et pénalités résultant d'une procédure de rectification suivie à l'égard d'un ou de plusieurs membres du groupe, l'administration adresse à cette société mère ou à cet établissement public, préalablement à la notification de l'avis de mise en recouvrement correspondant, un document l'informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle ou il est redevable. L'avis de mise en recouvrement, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que la SAS Ragni Holding, qui est la société mère d'un groupe fiscalement intégré, a été destinataire d'une proposition de rectification datée du 23 mars 2018 par laquelle elle a été informée du rehaussement de ses résultats propres au titre des exercices clos en 2015 et 2016, pour des montants respectifs de 11'575 euros et 1'138'166 euros, ainsi que des conséquences financières du contrôle. L'administration lui a également adressé, le 17 décembre 2019, un document l'informant du montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle est redevable en qualité de société mère du groupe à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, qui mentionne des rehaussements du résultat d'ensemble identiques à ceux qui lui ont été notifiés à raison de ses résultats propres, la différence entre le montant des droits et pénalités mis en recouvrement qui sont indiqués sur ce document et ceux qui sont mentionnés dans la proposition de rectification adressée à la société procédant de l'absence de résultat déficitaire d'ensemble. Par conséquent, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le montant des rectifications aurait été modifié après le recours hiérarchique, sans qu'aucune nouvelle proposition de rectification ne lui soit adressée.
5. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait procédé à une substitution de base légale. Par conséquent, la SAS Ragni Holding ne saurait utilement soutenir qu'elle aurait été privée de la garantie tenant à la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
6. En troisième lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Cette charte prévoit, notamment, que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal. / (...) / Si, après ces contacts, des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur. / (...) ". Ces dispositions assurent au contribuable faisant l'objet d'une procédure de rectification contradictoire, après la réponse faite par l'administration fiscale à ses observations sur la proposition de rectification, une garantie substantielle consistant à pouvoir, avant la mise en recouvrement, saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, l'interlocuteur départemental de divergences subsistant au sujet du bien-fondé des rectifications envisagées.
7. Si la SAS Ragni Holding a demandé le bénéfice de la garantie tenant à la saisie de l'interlocuteur départemental, cette demande, formulée dans une lettre du 8 septembre 2020, postérieure à la mise en recouvrement des impositions et de surcroit aux décisions rejetant ses réclamations, était tardive. Est sans incidence à cet égard la circonstance que l'administration lui a indiqué, par un courriel du 23 octobre 2020, après avoir précisé que sa demande de saisie de l'interlocuteur départemental n'était pas recevable, que le " chef de service à l'origine des décisions de rejet " n'était pas opposé à un entretien. La SAS Ragni Holding n'est donc pas fondée à soutenir que la procédure de vérification serait viciée en raison de ce qu'elle n'aurait pu bénéficier d'un entretien avec l'interlocuteur départemental malgré sa demande.
8. En quatrième lieu, la SAS Ragni Holding ne saurait se prévaloir de la doctrine administrative référencée BOI-CF-IOR-10-50-10 dès lors que, relative à la procédure d'imposition, elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
9. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) Les provisions qui, en tout ou en partie, reçoivent un emploi non conforme à leur destination ou deviennent sans objet au cours d'un exercice ultérieur sont rapportées aux résultats dudit exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin, elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des provisions qu'il entend déduire du bénéfice net que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu, comme en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 ". En adoptant le premier alinéa de l'article L. 192 précité, éclairé, au demeurant, par les travaux préparatoires auxquels celui-ci a donné lieu, le législateur a seulement entendu mettre fin, sous réserve du cas prévu au deuxième alinéa du même article, à l'état du droit antérieur sous l'empire duquel l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires avait pour effet, s'il était favorable à l'administration fiscale, d'attribuer au contribuable la charge d'une preuve que l'intéressé n'aurait pas supportée en l'absence de saisine de cette commission et n'a pas, comme le soutient la société requérante, entendu déroger aux principes généraux ci-dessus énoncés en exigeant de l'administration fiscale qu'elle justifie qu'une charge n'est pas déductible dans son principe, dès lors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur les chiffres d'affaires, saisie, a rendu un avis favorable au contribuable.
11. En deuxième lieu, l'administration a réintégré au résultat de la SAS Ragni Holding au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2016 une provision pour dépréciation de la créance correspondant à des avances en compte courant consenties à sa filiale américaine, la société Ragni GA Inc, pour un montant de 1 080 217 euros. La société requérante fait valoir que la provision en litige avait pour objet de tenir compte du risque de perte des avances qu'elle avait consenties à sa filiale, en faisant état des difficultés d'homologation et de certification des produits aux Etats-Unis, de leur impact négatif sur le chiffre d'affaires de sa filiale, et de l'endettement croissant de cette dernière. Toutefois, ces éléments ne permettent pas, à eux seuls, d'établir que les pertes provisionnées par la SAS Ragni Holding auraient été probables à la clôture de l'exercice clos en 2016, alors que la filiale américaine n'a été créée qu'en 2013, qu'il n'est pas justifié des difficultés relatives à l'homologation et à la certification de produits, et qu'il ressort du bilan de la filiale établi au titre de l'exercice clos en 2016, au demeurant postérieur à la comptabilisation de la provision, que sa dette correspond exclusivement aux avances consenties par la SAS Ragni Holding, qui se sont poursuivies au cours de l'année 2016 pour un montant cumulé de 910 500 euros. Dans ces conditions, et alors même que la SAS Ragni Holding, en raison de l'obtention d'une garantie accordée par BPI France en novembre 2015, était tenue de poursuivre le versement des avances, elle ne justifie pas, par les seuls éléments dont elle se prévaut, du caractère irrécouvrable des créances qu'elle détenait sur la société Ragni GA Inc. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a réintégré la somme en litige au résultat de la société Ragni Holding au titre de l'exercice clos en 2016.
12. En troisième et dernier lieu, l'administration a également réintégré au résultat de la SAS Ragni Holding au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2016 une provision pour dépréciation de la créance correspondant à des avances en compte courant consenties à sa filiale établie en Bosnie-Herzégovine, la société Ragni IC, pour un montant de 57 949 euros. La société requérante fait valoir que la provision en litige avait pour objet de tenir compte du risque de perte des avances qu'elle avait consenties à sa filiale, en faisant état de son résultat déficitaire, ainsi que de l'exode de la population et de la masse salariale bosnienne et de la situation économique en Bosnie-Herzégovine. Toutefois, ces éléments ne permettent pas, à eux seuls, d'établir que les pertes provisionnées par la SAS Ragni Holding auraient été probables à la clôture de l'exercice clos en 2016, alors que la filiale n'a été créée qu'à la fin de l'année 2012 et qu'il n'est justifié de sa situation ni par production d'un bilan établi au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017, ni par des considérations générales relatives à la situation économique et sociale de la Bosnie-Herzégovine. Ainsi, la SAS Ragni Holding ne justifie pas, par les seuls éléments dont elle se prévaut, du caractère irrécouvrable des créances qu'elle détenait sur la société Ragni IC. Par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a réintégré la somme en litige au résultat de la société Ragni Holding au titre de l'exercice clos en 2016.
13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, la SAS Ragni Holding n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. En premier lieu, aucun dépens n'ayant été exposé dans cette instance, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Ragni Holding tendant à l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
15. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande la SAS Ragni Holding au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Ragni Holding est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Ragni Holding et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
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N° 24MA01404