Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nice :
- d'annuler la décision du 1er juin 2020 par laquelle le département des Alpes-Maritimes l'a affecté à la direction des routes et infrastructures de transport, subdivision départementale d'aménagement du littoral Ouest Antibes, centre d'exploitation de Châteauneuf-Grasse, pour occuper les fonctions d'agent d'exploitation, ainsi que la décision implicite par laquelle le département a rejeté son recours gracieux du 28 juillet 2020 ;
- d'enjoindre au département des Alpes-Maritimes de reconstituer sa carrière ;
- de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 159,20 euros brut par mois depuis le mois de janvier 2020 jusqu'à sa réintégration dans le dispositif d'astreintes ;
- de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 128,58 euros par mois à compter du mois de janvier 2020 au titre des troubles subis dans ses conditions d'existence ;
- de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par un jugement n° 2004455 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 novembre 2023, M. C..., représenté par la SELARL Lexstone avocats, agissant par Me Bertelle, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 3 octobre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 1er juin 2020 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au département des Alpes-Maritimes de reconstituer sa carrière ;
4°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 159,20 euros brut par mois depuis le mois de janvier 2020 jusqu'au 1er septembre 2022 au titre de son éviction du dispositif d'astreintes, soit la somme totale brute de 5 253,60 euros ;
5°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 128,58 euros par mois à compter du mois de janvier 2020 au titre des troubles subis dans ses conditions d'existence jusqu'au 1er septembre 2022, soit la somme totale de 4 243,14 euros ;
6°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui payer une somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral ;
7°) de majorer les sommes précitées des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts ;
8°) de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la décision de changement d'affectation, qui emporte un changement de résidence administrative et une baisse de rémunération, n'est pas une mesure d'ordre intérieur et fait grief ;
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- la commission administrative paritaire n'a pas été consultée ;
- le changement d'affectation n'est pas intervenu sur un poste vacant ou créé et publié par le centre de gestion ;
- l'arrêté est entaché d'une rétroactivité illégale ;
- la décision constitue une sanction disciplinaire déguisée et révèle un détournement de pouvoir ;
- il est fondé à être indemnisé de la perte de rémunération résultant de son éviction du dispositif d'astreinte, à hauteur de la somme totale brute de 5 253,60 euros ;
- il est fondé à obtenir l'indemnisation des troubles subis dans ses conditions d'existence, à hauteur de la somme totale de 4 243,14 euros ;
- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 15 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2025, le département des Alpes-Maritimes, représenté par la SELARL Bazin et associés, agissant par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la décision de changement d'affectation est une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau;
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;
- et les observations de Me Bertelle, représentant M. C..., et de Me Mercier, représentant le département des Alpes-Maritimes.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., titulaire du grade d'adjoint technique territorial, exerçait depuis le 4 septembre 2010 des fonctions d'agent d'exploitation, à la direction des routes et des infrastructures de transport du département des Alpes-Maritimes, au sein de la subdivision départementale d'aménagement voies rapides urbaines du centre de Mandelieu-la-Napoule. L'intéressé a ensuite été affecté à compter du 10 décembre 2019 au centre d'exploitation de Châteauneuf-Grasse par arrêté du 1er juin 2020. Par un courrier du 28 juillet 2020, M. C... a formé un recours préalable auprès du département des Alpes-Maritimes afin de demander le retrait de cet arrêté, la reconstitution de sa carrière et l'indemnisation de ses préjudices. Cette décision a été implicitement rejetée. M. C... relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions et à la condamnation du département des Alpes-Maritimes à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis.
Sur la régularité du jugement attaqué et la recevabilité de la demande de première instance :
2. D'une part, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.
3. D'autre part, en l'absence de toute disposition légale définissant la résidence administrative d'un agent, il appartient à l'autorité compétente, de déterminer, sous le contrôle du juge, les limites géographiques de la résidence administrative. Si la résidence administrative s'entend en général de la commune où se trouve le service auquel est affecté l'agent, il en va différemment dans le cas où l'activité du service est organisée sur plusieurs communes. Dans cette hypothèse, il incombe à l'autorité compétente, sous le contrôle du juge, d'indiquer à ses services quelles communes constituent une résidence administrative unique. Lorsque l'autorité compétente n'a pas procédé à cette délimitation, la résidence administrative s'entend, par défaut, de la commune où se trouve le service auquel est affecté l'agent.
4. Il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date de la mesure litigieuse, l'autorité administrative compétente aurait déterminé les limites géographiques de la résidence administrative des agents du département des Alpes-Maritimes et, en particulier, les communes des Alpes-Maritimes susceptibles de constituer une résidence administrative unique lorsque, comme en l'espèce, l'activité du service est organisée sur plusieurs communes. En l'absence d'un tel acte, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la résidence administrative de M. C... s'entend, par défaut, de la commune où se trouve le service auquel il était affecté. Par l'arrêté contesté du 1er juin 2020, M. C..., qui exerçait jusque-là les fonctions d'agent de surveillance et d'entretien des routes au centre d'exploitation de Mandelieu-la-Napoule rattaché à la subdivision " Littoral Ouest Cannes ", a été affecté, à compter du 10 décembre 2019, au centre d'exploitation de Châteauneuf-Grasse dépendant d'une autre subdivision dénommée " Littoral Ouest Antibes ". M. C... est par suite fondé à soutenir que cette mesure, qui comportait les effets d'une mutation entraînant un changement de résidence, ne pouvait être qualifiée de mesure d'ordre intérieur et que sa demande tendant à son annulation était dès lors recevable. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé.
5. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nice.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
6. L'arrêté du 1er juin 2020 prononçant le changement d'affectation de M. C..., a été signé par Mme E... D..., directrice des ressources humaines du département, en vertu d'une délégation de signature qui lui a été consentie par arrêté du président du 29 mai 2020 affiché et transmis en préfecture le même jour, à l'effet de signer dans le cadre de ses attributions, tous les actes relatifs au personnel de la collectivité, qui incluent notamment les décisions de changement d'affectation au sein de la direction des routes et des infrastructures de transport. La copie de l'arrêté de délégation produit par le département des Alpes-Maritimes en première instance, correspondant à la version publiée au bulletin des actes administratifs du département, vise la délibération de l'assemblée départementale du 15 septembre 2017 portant élection de M. F... B... en qualité de président, et mentionne les nom et prénom de ce dernier. Si cette copie ne comporte pas la signature du président, cette seule circonstance n'est pas de nature à faire regarder l'acte original comme ayant été pris en violation des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration précité. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit donc être écarté.
7. Les mesures d'affectation dans l'intérêt du service dont les fonctionnaires peuvent faire l'objet ne sont pas au nombre des décisions administratives défavorables dont l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration impose la motivation. En l'espèce, il ressort des éléments exposés au point 14 que la nouvelle affectation de l'intéressé ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en tant que sanction déguisée, la décision contestée serait insuffisamment motivée, doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 52 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa version antérieure à celle qui résulte de l'article 10 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique : " L'autorité territoriale procède aux mouvements des fonctionnaires au sein de la collectivité ou de l'établissement ; seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation des intéressés sont soumises à l'avis des commissions administratives paritaires (...). ". Par l'effet du 3° du III de l'article 10 de la loi du 6 août 2019 ont été supprimés à l'article précité les mots : " ; seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation des intéressés sont soumises à l'avis des commissions administratives paritaires ". Le IV de l'article 94 de la même loi dispose que : " L'article 10 s'applique en vue de l'élaboration des décisions individuelles prises au titre de l'année 2021. / Par dérogation au premier alinéa du présent IV (...) 1° Les décisions individuelles relatives aux mutations et aux mobilités ne relèvent plus des attributions des commissions administratives paritaires à compter du 1er janvier 2020, au sein de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ; / (...) ".
9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que s'agissant des décisions prises à compter du 1er janvier 2020, l'autorité territoriale n'est plus tenue de consulter pour avis la commission administrative paritaire avant de procéder aux mutations des fonctionnaires placés sous son autorité. Dans ces conditions, M. C... ne peut utilement soutenir que la commission administrative paritaire n'a pas été consultée préalablement à l'édiction de la décision litigieuse du 1er juin 2020, quand bien même celle-ci prévoyait un effet rétroactif au 10 décembre 2019. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté comme inopérant.
10. Les dispositions de l'article 41 de la loi du 26 janvier 1984 alors en vigueur, aux termes desquels " Lorsqu'un emploi permanent est créé ou devient vacant, l'autorité territoriale en informe le centre de gestion compétent qui assure la publicité de cette création ou de cette vacance, à l'exception des emplois susceptibles d'être pourvus exclusivement par voie d'avancement de grade. (...) ", ne s'appliquent pas à l'administration dans le cas où elle prononce une mutation dans l'intérêt du service, ce qui est le cas en l'espèce au vu des éléments exposés au point 14. Par suite, le moyen tiré de l'absence de publication d'un avis de vacance d'emploi doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la légalité interne :
11. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, l'administration ne peut, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation.
12. La décision portant changement d'affectation en date du 1er juin 2020, notifiée le 2 juin suivant, prévoyait une date de prise d'effet rétroactive au 10 décembre 2019. Toutefois, il est constant que le requérant a effectivement pris ses nouvelles fonctions à compter du 10 décembre 2019, ainsi que cela ressort de ses écritures et de l'un de ses courriels du 9 mars 2020. L'administration doit ainsi être regardée comme ayant conféré une portée rétroactive à ce changement d'affectation pour régulariser la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de la rétroactivité illégale de cette décision du 1er juin 2020 doit être écarté.
13. Un changement d'affectation prononcé d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
14. Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, M. C... a été affecté, à compter du 10 décembre 2019, sur le poste d'agent d'exploitation, à la direction des routes et des infrastructures de transport du département des Alpes-Maritimes, au sein de la subdivision départementale d'aménagement voies rapides urbaines du centre de Châteauneuf-Grasse. Si cette nouvelle affectation emporte pour l'intéressé un changement quant au lieu d'exercice de ses fonctions, il ressort des écritures mêmes de ce dernier que celle-ci n'occasionne qu'un trajet supplémentaire de 5,6 kilomètres en partant de son domicile. De surcroît, les fonctions exercées, qui correspondent à son grade d'adjoint technique territorial titulaire, sont identiques à celles précédemment exercées, et n'ont pas eu d'effet sur son traitement de base, au demeurant légèrement majoré à compter du mois de janvier 2020, ainsi que sur le paiement conservé de la prime départementale. Si le requérant fait valoir qu'il a été privé de réaliser des heures supplémentaires et des astreintes, lesquelles ne constituent en tout état de cause pas un droit, et de conduire les véhicules du service, les bulletins de paie produits montrent qu'il a, à compter du mois de juillet 2020, de nouveau effectué de telles heures puis réintégré le dispositif d'astreintes, impliquant de fait la mise à disposition d'un véhicule et de l'ensemble des moyens matériels nécessaires à leur réalisation. Le changement d'affectation litigieux n'a pas non plus été de nature à porter atteinte à ses droits statutaires ni à ses droits ou libertés fondamentaux. Enfin, les pièces versées aux débats, par leur nature et leur teneur, ne révèlent aucune intention de la part de ses supérieurs hiérarchiques de le sanctionner, ni ne permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, alors que le requérant a, par courriel du 9 mars 2020, indiqué être satisfait de son nouveau poste au centre d'exploitation de Châteauneuf-Grasse et de son souhait d'y travailler jusqu'à son départ à la retraite. Enfin, alors même que l'arrêté contesté du 1er juin 2020 a été édicté en considération du comportement de M. C..., notamment en raison de tâches non réalisées et d'absences non justifiées, le changement d'affectation litigieux doit être regardé comme ayant été pris dans l'intérêt du service, dont le fonctionnement était altéré par cette situation. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige constitue une sanction déguisée fautive.
15. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision contestée du 1er juin 2020 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par le requérant doivent être rejetées, ainsi que celles à fin d'injonction.
Sur les frais liés au litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004455 du tribunal administratif de Nice du 3 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au département des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2025.
N° 23MA02708
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