Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... F... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 6 février 2024 par lequel le préfet du Var l'a obligé à quitter sans délai le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2400422 du 21 mars 2024, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2024, M. B..., représenté par Me Lagardère, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 mars 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 6 février 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Var de réexaminer sa situation, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé quant aux réponses apportées aux moyens tirés du défaut de motivation des décisions attaquées ;
- la signataire de l'arrêté ne disposait plus d'une délégation de signature ; l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- les décisions sont insuffisamment motivées s'agissant de l'examen de sa situation personnelle et de la justification de l'interdiction de retour au regard de l'ensemble des critères figurant à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'interdiction de retour a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire sans délai est entachée d'erreurs de fait quant à son parcours, notamment quant à l'engagement de démarches de régularisation ; elle est entachée d'erreur d'appréciation ;
- il en est de même de la décision portant interdiction de retour au regard des dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La procédure a été communiquée au préfet du Var qui n'a pas produit d'observations.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Poullain a été entendu en audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né en 1989, relève appel du jugement du 21 mars 2024 par lequel le magistrat désigné près le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 février 2024 du préfet du Var, l'obligeant à quitter sans délai le territoire français et prononçant à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an.
Sur les conclusions tendant à l'admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ".
3. Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 28 juin 2024, M. B... a été admis à l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur sa demande tendant à ce qu'il soit admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait présenté, dans ses écritures ou au cours de l'audience, un moyen tiré du défaut de motivation des décision attaquées. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait à cet égard insuffisamment motivé.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Par un arrêté n° 2023/47/MCI du 21 août 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture spécial n° 156 du même jour, le préfet du Var a accordé à Mme A... D..., directrice de cabinet, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Lucien Giudicelli, secrétaire général de la préfecture, une délégation à l'effet de signer " tous actes, décisions (...) notamment en matière de police des étrangers ". Si M. B... fait valoir que, par décret du 30 janvier 2024, Mme D... a été nommée directrice de cabinet du préfet de la région Occitanie, préfet de la Haute-Garonne, il ressort du courrier adressé le 6 février 2024 au préfet du Var par la sous-directrice des autorités préfectorales et de l'encadrement supérieur au ministère de l'intérieur que la date d'effet de ce mouvement a été fixée au 12 février 2024. Dès lors, la délégation de signature qui avait été consentie à Mme D... par le préfet du Var continuait à produire ses effets le 6 février 2024, date à laquelle a été pris l'arrêté attaqué. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que M. E... n'aurait pas été absent ou empêché à cette date. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cet arrêté doit donc être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire sans délai :
6. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " (...) l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". L'article L. 612-3 précise que ce risque : " peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) / 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; / (...) / 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; / 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, (...) ". L'article L. 613-1 du même code énonce que la décision portant obligation de quitter le territoire est motivée.
7. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les dispositions citées ci-dessus. Il relève que M. B... est entré irrégulièrement en France en 2018 et, qu'après consultation des fichiers, il n'a effectué aucune démarche administrative afin de régulariser sa situation et se trouve dès lors en situation irrégulière. Il mentionne également que M. B... a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire, qu'il s'est fait interpeller pour usage de faux documents et qu'il ne présente pas de garanties de représentation faute notamment de documents d'identité ou de voyage en cours de validité. Il procède en outre à l'examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressé. Il est dès lors suffisamment motivé en ce qu'il prononce une obligation de quitter le territoire sans délai.
8. En deuxième lieu, si M. B... produit à l'instance des attestations de demande d'asile en date des 22 août 2018 et 28 mai 2020 ainsi que la copie d'un courrier électronique qu'il aurait adressé à la préfecture du Var le 27 janvier 2024 afin de se voir admettre au séjour, il est constant que cette dernière demande n'était pas complète à la date de l'arrêté en litige et que ses demandes d'asile n'avaient pas prospéré. Ainsi, il ne saurait contester qu'il se maintenait sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et qu'à ce titre, ne pouvant justifier être entré régulièrement, il pouvait se voir obligé à quitter le territoire. Par ailleurs, il ne conteste pas avoir mentionné son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire, s'être fait interpeller pour usage de faux documents et ne pas posséder de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, de telle sorte que le préfet pouvait lui refuser un délai de départ volontaire. Dans ces conditions, la circonstance que le préfet aurait par erreur indiqué qu'il n'avait effectué aucune démarche de régularisation est sans incidence et le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Si M. B... soutient qu'il réside en France depuis 2018, qu'il a, dès 2020, procédé à des déclarations fiscales, qu'il travaille depuis 2021 et est titulaire d'un bail d'habitation à Toulon, il s'est maintenu sur le territoire irrégulièrement, ne conteste pas s'être fait interpeller pour usage de faux documents et ne donne aucune indication sur ses attaches personnelles et familiales. Dans ces circonstances, la décision portant obligation de quitter le territoire sans délai ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées ci-dessus de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire :
11. En application de l'article L. 612-6 dudit code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
12. D'une part, contrairement à ce que soutient M. B..., en relevant qu'il se trouvait en France en situation irrégulière depuis 2018, qu'il ne précisait pas sa situation familiale et ne justifiait ainsi pas de l'intensité de ses liens sur le territoire, tout en soulignant que l'intéressé n'avait jamais fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire et ne représentait pas une mesure à l'ordre public, le préfet a suffisamment motivé sa décision de fixer à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire, laquelle n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.
13. D'autre part, alors que M. B... relève que les forces de police ont sollicité ses observations sur les mesures d'éloignement, d'interdiction de territoire ou de rétention dont il était susceptible de faire l'objet, ainsi que le mentionnent les procès-verbaux du 6 février 2024 auxquels l'arrêté litigieux fait référence, il ne saurait prétendre que son droit d'être entendu préalablement à l'adoption de la décision litigieuse aurait été méconnu.
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10 ci-dessus, la décision portant interdiction de retour sur le territoire durant un an ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné près le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Dès lors, il y a lieu de rejeter ses conclusions d'appel, en ce comprises les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant au bénéfice de l'admission à titre provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Carole Lagardère.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2025.
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N° 24MA00933
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