Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande indemnitaire préalable, la décision du 9 octobre 2019 par laquelle le maire de la commune de Cannes a rejeté sa demande indemnitaire préalable, de condamner l'Etat et la commune de Cannes à lui verser la somme totale de 478 755,46 euros en réparation du préjudice résultant de la non-exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 21 mars 2000. Il lui a également demandé, à titre subsidiaire, de désigner un expert à fin d'estimer le coût de la remise en état des parcelles cadastrées section CN n° 150 et 51 et d'enjoindre à la commune de Cannes, préalablement à l'expertise, de procéder au débroussaillage du terrain en application de l'article L. 134-14 du code forestier.
Par un jugement n° 1905702 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 septembre 2023 et 13 janvier 2025, M. B..., représenté par Me Duburcq, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler les décisions de rejet de ses demandes indemnitaires préalables et de condamner l'Etat et la commune de Cannes à lui verser la somme totale de 588 516, 76 euros en réparation du préjudice subi ;
3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert à fin d'estimer le coût de la remise en état des parcelles cadastrées section CN n° 150 et 151 et d'enjoindre à la commune de Cannes, préalablement à l'expertise, de procéder au débroussaillage du terrain en application de l'article L. 134-14 du code forestier ;
4°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de l'Etat et la somme de 5 000 euros à la charge de la commune de Cannes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre les dépens conjointement à la charge de l'Etat et de la commune de Cannes.
Il soutient que :
- s'il a invoqué devant le tribunal administratif la responsabilité pour faute de l'Etat et de la commune, il a bien lié le contentieux du fait des demandes préalables adressées au préfet des Alpes-Maritimes et au maire de Cannes, quand bien même celles-ci tendaient à engager la responsabilité sans faute de l'Etat et de la commune, compte tenu de l'assouplissement introduit par la jurisprudence " Citécable Est " ;
- il entend revendiquer, devant la Cour, à la fois la responsabilité sans faute et la responsabilité pour faute ;
- il résulte des articles L. 480-5, L. 480-7 et L. 480-9 du code de l'urbanisme qu'il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution d'une décision de justice ; il aurait ainsi dû bénéficier du concours de la force publique pour procéder à cette exécution ; en s'abstenant sans motif légitime de lui accorder ce concours, l'Etat a commis une faute ; il a d'abord fondé son action sur la responsabilité sans faute, pensant que l'Etat ou la commune feraient état d'un motif légitime faisant obstacle à l'exécution de la décision de justice ;
- il justifie d'un préjudice grave et spécial, dès lors qu'il bénéficie de décisions de justice favorables, d'une créance de 588 516, 76 euros et que l'absence de remise en état complète des terrains ne lui permet pas de les vendre dans des conditions financières acceptables.
Par un mémoire, enregistré le 5 décembre 2024, la ministre du logement et de la rénovation urbaine conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 5 décembre 2024, la commune de Cannes, représentée par Me Paloux, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevable la requête de M. B..., fondée sur la responsabilité pour faute, à raison de l'absence de liaison du contentieux ;
- la requête est infondée, que ce soit sur le terrain de la responsabilité pour faute ou sur celui de la responsabilité sans faute.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure,
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,
- et les observations de Me Duburcq, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 21 mars 2000, M. D... C... et M. A... F... ont été condamnés à la remise en état des parcelles cadastrées CN 150 et 51 situées 18 à 22 allée du Parc Saint-Jean à Cannes dans un délai de quatre mois, sous astreinte de 500 francs par jour de retard à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif. Ils ont également été condamnés à indemniser M. E... B... à hauteur de la somme de 30 000 francs au titre des dommages et intérêts et de 10 000 francs au titre des frais de procédure judiciaire. M. B... a par ailleurs obtenu, par jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 26 juin 2006, l'autorisation de procéder à une licitation des biens appartenant aux époux C... et à M. F.... Par acte du 11 mars 2014, une hypothèque judiciaire de ces biens a été faite à son profit. Estimant que la remise en état du terrain en cause n'avait pas été totalement exécutée par M. C... et M. F..., M. B... a demandé au maire de la commune de Cannes, par courrier du 23 avril 2019, de procéder à une exécution d'office de cette remise en état. En l'absence de réponse à cette demande, M. B... a, par courriers du 14 août 2019, présenté une demande indemnitaire préalable auprès de la commune de Cannes et du préfet des Alpes-Maritimes. Ce dernier n'a pas répondu à cette demande et le maire de Cannes l'a rejetée par une décision du 9 octobre 2019. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat et de la commune de Cannes à lui verser la somme totale de 478 755,46 euros, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du refus d'exécution de la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 21 mars 2000.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable.
3. Aux termes de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme : " En cas de condamnation d'une personne physique ou morale pour une infraction prévue aux articles L. 480-4 et L. 610-1, le tribunal, au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent, statue même en l'absence d'avis en ce sens de ces derniers, soit sur la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, l'autorisation ou la déclaration en tenant lieu, soit sur la démolition des ouvrages ou la réaffectation du sol en vue du rétablissement des lieux dans leur état antérieur. (...) ". Par ailleurs, l'article L. 480-7 du même code dispose : " Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol un délai pour l'exécution de l'ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation (...) ". L'article L. 480-9 de ce code dispose enfin que : " Si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, au terme du délai fixé par la décision du juge pénal prise en application de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme, il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 480-9 du code, de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics justifient un refus. En outre, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l'autorité compétente n'est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables. Dans le cas où, sans motif légal, l'administration refuse de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l'absence de toute faute de l'administration, la responsabilité sans faute de l'Etat peut être recherchée, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d'un préjudice revêtant un caractère grave et spécial.
5. Il résulte de l'instruction que M. B... a sollicité du maire de la commune de Cannes l'exécution d'office de la remise en état des parcelles cadastrées CN 150 et 51 situées 18 à 22 allée du Parc Saint-Jean à Cannes ordonnée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence par un arrêt du 21 mars 2000. Bien que cette demande soit restée sans réponse et n'opposant, de fait, aucun motif tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics, l'intéressé a indiqué clairement, dans ses demandes préalables formées le 14 août 2019 auprès du préfet des Alpes-Maritimes et de la commune de Cannes, vouloir engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute. Par conséquent, en se plaçant, dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif de Nice, sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat, M. B... a entendu engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement d'une cause juridique distincte de celle de sa demande préalable. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables ses conclusions indemnitaires fondées sur la faute en l'absence de demande préalable de nature à avoir lié le contentieux sur ce terrain.
Sur les conclusions indemnitaires :
6. M. B... indique, dans ses écritures d'appel, qu'il entend se placer à la fois sur le terrain de la responsabilité sans faute que sur celui de la responsabilité pour faute. Toutefois, et pour les mêmes motifs que ceux énoncées au point 5 ci-dessus, il n'est pas davantage, en l'absence de demande indemnitaire préalable relevant de la même cause juridique, recevable à invoquer la responsabilité pour faute de l'Etat en appel. Au demeurant, M. B..., qui n'a pas tenté de vendre le terrain comme il y était autorisé, n'en démontre pas la perte de valeur, et par suite, l'existence d'un préjudice certain. En outre, l'intéressé n'établit pas davantage l'existence d'un lien de causalité directe entre la faute qu'il impute aux services de l'Etat et le préjudice qu'il invoque, qui résulte principalement du classement de ce terrain en espace vert à protéger opéré par le plan local d'urbanisme de la commune.
7. Ainsi qu'il a dit au point 4 du présent arrêt, seule la responsabilité de l'Etat peut être engagée en cas de refus de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution d'une décision du juge pénal, et non celle de la commune. Aucun motif tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics de nature à justifier un tel refus à la demande d'exécution d'office de M. B... n'a été opposé par le préfet des Alpes-Maritimes préalablement à l'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif. Ainsi que l'indique l'intéressé lui-même dans ses écritures d'appel, les considérations, invoquées en défense par le préfet devant le tribunal administratif, tirées du classement de la parcelle en espace vert à protéger dans le plan local d'urbanisme de la commune de Cannes et du coût des travaux par rapport à l'intérêt public, ne sont pas de nature à caractériser un motif d'ordre ou de sécurité publics permettant de justifier légalement le refus d'exécution d'office. Dans ces conditions, la responsabilité de l'Etat ne saurait, en tout état de cause, être engagée à raison de ce refus sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande indemnitaire. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la commune de Cannes, qui ne sont les parties perdantes dans la présente instance, la somme demandée par M. B... sur ce fondement. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'intéressé une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Cannes en application de ces dispositions.
10. Aucun dépens n'ayant été exposé au cours de l'instance, les conclusions présentées à ce titre par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la commune de Cannes la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., au ministre de l'aménagement, du territoire et de la décentralisation et à la commune de Cannes.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Portail, président,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mai 2025.
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N° 23MA02352
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